La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication impose aux chaînes de télévision d’assurer l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information et fait de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) la garante du respect par les chaînes de ces obligations.
Estimant que CNews ne respectait pas ces exigences, l’association Reporters sans frontières (RSF) a demandé à l’Arcom de mettre en demeure cette chaîne de les respecter. Face au refus de l’Arcom de prononcer une telle mise en demeure, RSF a saisi le Conseil d’État. Dans sa décision, faisant suite à cette saisine, le Conseil d’État (5ème et 6ème SSR) a jugé le 13 février 2024, conformément aux conclusions de son rapporteur public, Florian Roussel, que, « pour apprécier le respect par une chaîne de télévision, quelle qu’elle soit, du pluralisme de l’information, l’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinion représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités, et pas uniquement le temps d’intervention des personnalités politiques. »
Le Conseil d’État a, également, jugé que l’Arcom doit s’assurer de l’indépendance de l’information au sein de la chaîne en tenant compte de l’ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation, et pas seulement à partir de la séquence d’un extrait d’un programme particulier. Ainsi, faute d’avoir examiné tous ces aspects, l’Arcom devra réexaminer sous 6 mois la demande de mise en demeure à l’encontre de CNews, formulée par RSF, en tenant compte des précisions apportées par le Conseil d’État sur la portée des obligations prévues par la loi. Le Conseil d’État a en revanche écarté l’argumentation de RSF sur les autres points en litige. « Il a considéré que la place des émissions de débat dans la programmation de CNews ne remet pas en question son format de service consacré à l’information.
S’agissant des séquences pointées par Reporters sans frontières comme manquant à l’honnêteté de l’information, le Conseil d’État a retenu, selon les cas, que l’Arcom avait déjà adressé des mises en garde à la chaîne ou que les éléments apportés par l’association étaient insuffisants. » Dans son communiqué de presse, publié le même jour que sa décision, le Conseil d’État indique ne pas s’être prononcé sur le respect par les programmes de la chaîne CNews des exigences de pluralisme et d’indépendance de l’information.
Il estime avoir seulement précisé « les principes applicables au contrôle que l’Arcom doit exercer sur le respect de leurs obligations légales par l’ensemble des chaînes » et avoir rappelé « que, dans le respect de ces principes, le régulateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’exercice des prérogatives qui lui sont conférées par la loi. » Roch-Olivier Maistre, Président de l’Arcom, interrogé par l’hebdomadaire « La Tribune Dimanche », du 18 février 2024, sur la question de savoir si la décision du Conseil d’État ne constituait pas un désaveu, a répondu, non sans pratiquer la langue de bois : « Ce n’est pas le cas. Il s’agit d’une évolution, avec une capacité d’appréciation élargie de la notion de pluralisme. Ces dernières années, l’Arcom n’a pas été inactive. Concernant CNews et C8, puisque les débats ont beaucoup porté sur ces deux chaînes, nous avons pris un certain nombre de sanctions significatives à des niveaux sans précédent dans l’histoire de notre institution. Et pas uniquement en matière de pluralisme. Le régulateur remplit sa mission. » Pour ma part, et je ne suis pas seul à le penser, je trouve la décision du Conseil d’État un peu inquiétante.
Dès lors qu’il n’existe pas une seule chaîne de télévision, ou une seule station de radio, comme au bon vieux temps des débuts de l’ORTF, et du ministère de l’information, (créé, soit dit en passant, en 1938, sous le Front Populaire, et disparu définitivement en 1974), les téléspectateurs, comme les auditeurs de programmes radiophoniques, ont le choix, étant donné la multiplicité des médias auxquels ils ont accès, de regarder les programmes des chaînes de télévision et d’écouter les émissions de radio, qui correspondent le mieux à leurs opinions et à leurs attentes.
Seules les chaînes et radios du service public (France Télévision et Radio-France) devraient, dans un État réellement démocratique, être soumises à l’obligation de neutralité. Les autres ne devraient être tenues qu’à l’obligation éthique, sanctionnée pénalement, de ne pas propager de fausses nouvelles et de s’abstenir de diffamer ou de calomnier. Et ce, dans les mêmes conditions que la presse écrite. Le résultat auquel conduit cette décision du Conseil d’État est d’autant plus contestable, que l’on aimerait bien que le respect du pluralisme soit véritablement assuré par les médias du service public, au sein duquel les opinions majoritairement exprimées par les journalistes, animateurs et invités ne sont pas exemptes, elles non plus d’esprit partisan, mais cela ne saurait constituer une circonstance atténuante, il est vrai, l’exact opposé des messages véhiculés par CNews. J’entends bien l’objection : le Conseil d’État n’a fait qu’appliquer la loi de 1986 relative à la liberté de communication ! Peut-être, mais cette loi n’est pas une vache sacrée, et ce qu’une loi a décidé, une autre peut le défaire !