Spécialisée en communication, Cécile DELOZIER accompagne des élus dans leur prise de parole partout en France.
Elle conseille des élus locaux, des parlementaires mais aussi des candidats aux élections dans leur stratégie de communication et leur capacité à persuader et à convaincre en présentiel ou dans les médias.
Sa pédagogie est fondée sur la bienveillance afin de développer la confiance en soi et pouvoir ainsi réaliser des performances.
La rédaction : L’inscription dans la constitution de la liberté de recourir à
l‘interruption volontaire de grossesse a-t-elle été selon vous portée par une communication efficace ?
Cécile DELOZIER : Indéniablement l’information a été diffusée abondamment sur les réseaux sociaux comme dans la presse écrite et audiovisuelle.
Cependant je déplore que le débat n’ait pas été aussi riche qu’il aurait pu l’être . Faire de la communication , ce n’est pas seulement trouver le meilleur canal pour communiquer, ce n’est pas seulement s’intéresser à la forme , c’est aussi travailler le fond ! C’est aussi trouver des formules chocs dont les significations portées par les sonorités bien choisies s’inscriront dans la tête des gens.
Or, il y a des arguments majeurs, me semble-t-il, qui ont été oubliés lors du débat par les défenseurs de la constitutionnalisation de l’IVG. Le journal
« Le Monde » dans une étude intéressante publiée sur ce sujet apportait un argument redoutable…mais un peu tardivement car après le congrès de Versailles.
Cette étude présente une carte du monde qui indique la législation des pays en matière de droit à l’avortement . La France est devenue le premier État au monde à inscrire cette liberté dans la constitution. Mais qu’observons-nous ailleurs à travers le monde ? Un groupe de 77 pays autorisent
actuellement l’avortement sans restriction autre que la durée de gestation ( presque tous les pays d’Europe sauf la Pologne).
D’autres ne permettent aux femmes d’avorter qu’avec une autorisation médicale (au Royaume Unis, en Inde). Enfin 21 pays interdisent formellement toute interruption de grossesse même en cas de viol ou de menace vitale pour la femmme. C’est le cas en Egypte, en Irak, au Sénégal, aux Philippines.
Ces chiffres sont intéressants mais l’argument chiffré le plus spectaculaire est le suivant. QUELLE QUE SOIT LA LEGISLATION DES PAYS , LES FEMMES ONT RECOURS A L’IVG DANS LES MEMES PROPORTIONS ! 37 sur 1000 quand la loi l’interdit, 34 sur 1000 lorsqu’elle l’autorise. Cela veut dire qu’on avorte autant -voire plus !- à Bagdad qu’à Paris !
La différence est donc le danger pour la santé des femmes. Avorter à Bagdad, c’est prendre le risque de mourir !
Les IVG clandestines sont la troisième cause de mortalité maternelle dans le monde.
Interdire l’avortement ou limiter son accès ne fait donc pas baisser le nombre d’IVG mais menace cruellement la santé des femmes.
Je ne comprends pas que cette étude ait été publiée au mois de mars certes mais après le congrès du 4 mars 2024 ! Je ne comprends pas que cet argument de santé publique n’ait pas été largement utilisé par les défenseurs de l’IVG ! Je ne comprends pas que les partisans de la modification de la constitution aient fait l’économie de cet argument saisissant et tellement efficace pour convaincre .
On aurait pu imaginer un slogan : « Les femmes avortent autant à Bagdad qu’à Paris . Mais là-bas, elles peuvent en mourir ! Protégeons la santé des femmes en inscrivant cette liberté de recourir à l’avortement dans la constitution !»
LR: Vous trouvez que le débat n’a pas été suffisamment nourri chez les défenseurs de l’inscription dans la constitution de l’IVG. Et dans le camp d’en face ?
CD : La voix des opposants à l’inscription dans la constitution de l’IVG n’a quasiment pas été entendue. Elle est tellement discordante par rapport à la majorité des journalistes qu’elle n’a pas tellement été relayée, je veux dire de manière honnête . Elle est tellement irritante pour beaucoup qu’elle n’apparaît que sous forme de caricature. Je le regrette car le débat démocratique en pâtit . Etre sûr de ses convictions , c’est bien… mais écouter la position adverse -qui représente une partie de la population- c’est aussi un façon d’affiner sa pensée.
LR : Quelles conclusions tirez-vous de ce débat ?
CD : Que les pro IVG ont mal hiérarchisé leurs arguments. Que leurs adversaires n’ont pas réussi à faire entendre les leurs.