Parlons d’abord ce que n’est pas un« territoire ». Dans le cadre qui nous occupe, il ne peut être limité à une somme de descriptions topographiques ou par les frontières administratives d’une collectivité.
La notion de territoire doit plutôt se fonder sur le bassin de vie vécu par les habitants, les salariés ou les entrepreneurs, les visiteurs, etc.
Qu’il s’agisse de loisirs, de commerces, d’habitat, d’infrastructures de santé, d’enseignement ou de transports, d’économie, d’emploi, de déplacements quotidiens, ou encore de sites touristiques comme de simples promenades dominicales, c’est l’usage qui dessine un bassin pertinent pour le marketing territorial. Et il se moque des limites d’un département. C’est ce qui explique en partie les jobdating parisiens organisés conjointement depuis deux ans par les départements de La Manche et du Calvados (et de la marque Caen-Normandie), qui ont compris la porosité, de fait, de leur zone d’emploi.
Le normand Armand Frémont a défini dans les années 70 une géographie « sensible, sociale et humaniste ». Pour lui, l’espace est considéré comme vécu dans le sens où il est « vu, perçu, ressenti, aimé ou rejeté, modelé par les hommes et [qu’il projette] sur eux des images qui les modèlent. C’est un réfléchi. Redécouvrir la région [l’espace – ndlr] c’est donc chercher à la saisir là où elle existe, vue des hommes ». Un espace vécu est, pour Frémont, la somme d’un espace de vie (« l’ensemble des lieux fréquentés par une personne ou par un groupe »), d’un espace social (l’espace de vie plus « les interrelations sociales ») ainsi que « toutes les valeurs [que les hommes] attribuent à ces espaces en tant qu’hommes », ce « un système particulier de relations unissant hommes et lieux dans un espace spécifique ».
Dans le magazine L’inspiration politique (13/10/22), le sociologue Jean Viard est sur la même longueur d’onde : « Il n’y a pas une définition du territoire, mais plusieurs, en fonction de la carte, du vécu et du projet » […] Il n’est pas simple de donner une seule définition [du territoire – ndlr], selon qu’on regarde une carte géographique ou une carte familiale et sentimentale […] Un territoire, c’est savoir où l’on est et avoir un projet ».
Autre cadre de référence, la définition d’une « société ». La revue Sciences Humaines dans son dossier « Qu’est-ce qu’une société ? » (février 2012) note : « Tous les sociologues s’accorderont pour dire qu’une société est plus qu’une collection d’individus qui coexistent sur un même territoire […] Pour faire « société », il faut que les individus forment une unité plus vaste et soient reliés entre eux par : des liens, des règles, une culture commune, et des interactions. »
Définitivement, un territoire ne peut se définir, surtout dans un contexte concurrentiel, que par ce qui le rend unique. Ses habitants, son héritage, sa culture, ses valeurs, la force de l’attachement aux lieux, sa connectivité (les liens qui unissent toutes ses composantes vivantes), etc. autant de paramètres à prendre en compte pour ouvrir la notion de territoire et dépasser une approche trop technocratique.