On parle beaucoup d’interdire la Corrida. Qu’en pensez-vous ?
Tout d’abord, sur un sujet aussi clivant, permettez-moi de faire quelques remarques préalables et d’essayer humblement et consciencieusement de parler de ce sujet passionnel. Donc, pour prévenir toute polémique je voudrais juste dire qu’à titre personnel, je répugne à voir des spectacles cruels, sanguinaires et funestes et que comme le personnage d’Agnès dans l’ « École des femmes » de Molière , « je compatis tant aux gens qu’on fait souffrir et je ne peux sans pleurer voir un poulet mourir » . Ceci étant dit, essayons d’analyser rationnellement ce débat politique et la communication qui le porte.
Quelles sont les forces en présence ?
Une fête traditionnelle locale du sud de la France, une interdiction nationale déjà existante avec quelques exceptions, une proposition de loi portée par un député de l’opposition élu… à Paris.
Donc si je schématise : un élu parisien veut interdire une fête traditionnelle qui se déroule en région à plus de 500km de Paris. La question n’est pas celle de la légitimité mais celle de la crédibilité. Certes un député représente la république toute entière mais imaginerions-nous un élu du Gers proposant de supprimer les bateaux mouche sur la Seine pour limiter la pollution, ou les défilés de mode à Paris car l’industrie de la mode est très polluante et que l’être humain y est objetisé, érotisé et maltraité ? Cela ferait bien rire … Que monsieur Caron, élu du 18 ème arrondissement de Paris s’attaque à la Corrida peut avoir comme conséquence d’attiser l’esprit frondeur des territoires éloignés de la capitale . Mais surtout il peut être la risée du monde rural. Du point de vue de la communication, il peut être perçu par les méridionaux comme un bobo parisien idéologue qui adopte une posture pour plaire aux citadins des centres villes en sacrifiant la culture des territoires locaux. La Nupes n’a pas fait porter le projet par un de ses élus des territoires où la corrida est pratiquée, ce qui ajoute une interrogation supplémentaire qui est celle de l’intention de M.Caron.
Vous pensez donc que son discours est une posture ?
Je m’interroge…. Quand on lui pose la question de savoir pourquoi au nom de la défense du bien-être animal, il ne propose pas une loi sur les conditions d’abattage des animaux en France qui touchent des millions d’animaux plutôt que d’interdire la Corrida qui concerne mille taureaux par an, il prétend que c’est par manque de temps de débat à l’assemblée nationale. L’argument paraît fallacieux. Il serait dommage de penser que l’intention de M.Caron est de laisser son nom dans l’histoire, comme Marthe Richard, en étant le député qui a fermé les arènes en France. A la différence qu’elle avait pratiqué avant d’interdire ! (sic)
Pensez-vous qu’il faut continuer de pratiquer ces spectacles barbares ?
Personnellement, je le redis, je n’irai pas assister à ces spectacles. Cependant je m’interroge sur ces rites. Aristote parlait des vertus de la catharcis. Aller voir des spectacles de mises à mort dans la tragédie par exemple aurait la fonction de purger les spectateurs de leurs propres passions. La question de la cruauté est centrale. Doit-on, peut-on purger l’Homme de sa propre cruauté ? C’est une question métaphysique qu’il faudrait poser aux philosophes. Si on observe la société, on distingue une dichotomie entre les discours et les actes. On revendique le respect de la condition animale , la considération des minorités , l’empathie envers les défavorisés etc et on observe des mœurs violentes , des jeux vidéos de guerre hyperréalistes ( combien de personnes un joueur tue-t-iI par partie ?) , des spectacles de mort par le biais de séries où la mort est un objet de fascination ( comme dans « Dahmer » ) et même des scènes tragiques mises en ligne sur les réseaux sociaux (suicides ou actes de tortures filmés…) . La fascination pour le funeste me paraît être constitutive de l’être humain. Le nier me paraît au mieux naïf au pire dangereux.
Protégeons au moins les animaux de la maltraitance !
Oui, mais soyons honnêtes et abordons les vrais sujets et pas que les cas particuliers, tellement limités par leur nombre et leur fréquence . Je crains que cette initiative échoue et qu’au final elle n’ait servi qu’à raviver des tensions, à redynamiser les défenseurs d’une pratique qui allait s’amenuisant vers une inéluctable disparition et à inquiéter tous ceux qui travaillent avec des animaux.
La corrida est un symbole !
Oui, bien-sûr ! Et c’est pourquoi l’attaquer depuis Paris déclenche des réactions si vives et que le débat se déplace vers d’autres enjeux que le bien être-animal.