L’origine du différend :
Comme on s’en souvient peut-être, le département des Hauts-de-Seine, dirigé alors par Charles Pasqua, avait, au début des années 1990, décidé la construction d’un Pôle universitaire « départemental » dans le prestigieux quartier d’affaires de La Défense.
Cette initiative avait, alors défrayé la chronique, dans la mesure où, les lecteurs du JDD le savent bien, la collectivité départementale n’a aucune compétence en matière d’enseignement supérieur. Mais, à l’époque, personne au niveau de l’État, ni même aucun requérant, n’avait osé s’opposer au charismatique et tout puissant ministre de l’Intérieur !
Le dessein du « terrible M. Pasqua », (l’expression est du Président François Mitterrand), préoccupé par le contraste entre les beaux quartiers des Hauts-de-Seine (Neuilly, Boulogne, Saint-Cloud…) et ceux moins favorisés de Nanterre, Bagneux, ou Gennevilliers, était de permettre aux jeunes altoséquanais, de tous milieux, de pouvoir suivre des études supérieures de haut niveau, dans des formations (études commerciales et d’ingénieur) débouchant sur l’emploi,…ce que, à son sens, ne leur offraient pas, ou leur proposaient insuffisamment les universités et autres établissements de l’État.
Nicolas Sarkozy, son premier successeur, n’a pas remis en cause le projet de Pôle universitaire qui, jusqu’à la présidence de Patrick Devedjian s’est développé, (Charles Pasqua, restant président de l’Association Léonard de Vinci, créée pour gérer l’établissement universitaire), grâce, en particulier à d’importantes subventions apportées par le Département.
Charles Pasqua ayant passé la main quelques années avant sa mort, le consensus qui prévalait dans les Hauts-de-Seine a pris fin, ce qui s’est concrétisé par la diminution drastique, puis la suppression des subventions de fonctionnement. Dans le même temps, le Président Devedjian, souhaitant faire déménager le siège du département de Nanterre (qu’il avait rebaptisé, en privé, « Berlin-Est » à La Défense, jetait son dévolu sur les locaux du Pôle, pour y installer le vaisseau amiral du Conseil départemental.
Lors de la création de l’ensemble universitaire, personne ne s’était vraiment posé sérieusement la question de la nature du domaine sur lequel était installé le Pôle. Créé par le Département, fortement subventionné par lui, dirigé par son Président, qui en présidait lui-même l’association gestionnaire, il allait de soi, que les locaux occupés par les écoles (une école d’ingénieurs, l’ESILV, une école de management, l’EMLV, et différentes autres structures), appartenaient au domaine public du Département. La conséquence en était nécessairement le caractère précaire de l’occupation des locaux par l’ALDV, qui, selon l’analyse de la collectivité départementale, pouvait être « mise à la porte » sans délai, ni indemnité.
Cette analyse n’était évidemment pas partagée par l’ALDV qui, considérant que le Département n’avait de par la loi aucune compétence en matière d’enseignement supérieur, estimait que les locaux occupés par ses deux écoles, établissements d’enseignement supérieur privés, appartenaient au domaine privé de la collectivité. La conséquence en résultant obligatoirement était l’existence d’un bail commercial, au lieu de la convention d’occupation précaire alléguée par le Département !
Dans le même temps, cependant, s’est présentée une opportunité par la voie d’un appel à projet de l’État concernant le devenir de l’ancienne école supérieure d’architecture de Nanterre, qui depuis sa fermeture était devenue une sorte de friche industrielle, livrée aux squatteurs, et qu’il importait de réhabiliter.
L’ALDV s’est portée candidate à la reprise et à la réhabilitation de l’école pour en faire le nouveau siège des deux grandes écoles, avec le soutien de toutes les parties intéressées : État, Métropole du Grand Paris, Ville de Nanterre, Région, mais aussi naturellement Département, celui-ci étant trop content d’obtenir à terme rapproché, sans qu’il soit besoin d’utiliser la contrainte, le déménagement de 7000 étudiants et la libération de son bien !
On passera sur les péripéties juridiques qui ont marqué les relations entre le département des Hauts-de-Seine et l’ALDV, et à la sorte de partie de « poker menteur », à laquelle elles s’assimilent, pour en venir, après cette introduction un peu longue, à l’objet de la présente chronique : le caractère ou non licite d’une transaction pour mettre fin à un litige.
Le droit applicable :
Aux termes de l’article 2044 du code civil, « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. / Ce contrat doit être rédigé par écrit. »
La possibilité de transiger est applicable aux personnes publiques, car, « ainsi que le prévoit l’article 2044 du code civil et sous réserve qu’elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l’administration. La transaction est formalisée par un contrat écrit. » (article L.423-1 du code des relations entre le public et l’administration).
Enfin, bien que le contrat de transaction soit exécutoire de plein droit, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a, dans un Avis d’Assemblée, du 6 décembre 2002, 249153, publié au recueil Lebon, conclusions G. Le Chatelier, admis la possibilité de saisir le juge administratif d’une demande d’homologation de la transaction et jugé que :
a) Sous réserve que la transaction ait pour objet le règlement ou la prévention de litiges pour le jugement desquels la juridiction administrative serait compétente, le juge saisi de conclusions recevables tendant à l’homologation de cette transaction vérifie que les parties consentent effectivement à la transaction, que l’objet de cette transaction est licite, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu’elle ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public…
b) Si une de ces conditions n’est pas remplie, la non-homologation entraîne la nullité de la transaction….
c) Pour exercer le contrôle qui lui incombe, le juge dirige une instruction contradictoire, écrite ou orale. La demande d’homologation est communiquée à toute personne qui aurait eu la qualité de partie dans une telle instance.
Lorsque le contrat de transaction doit être adressé au représentant de l’Etat pour l’exercice du contrôle de légalité, la demande d’homologation portant sur ce contrat lui est communiquée.
Le juge peut demander à toute personne de produire des observations susceptibles d’éclairer sa décision. Il peut ordonner aux parties à la transaction la production de tout élément susceptible de compléter son information et il peut refuser l’homologation au seul motif qu’il ne dispose pas des éléments d’appréciation nécessaires. Il dispose de tous les moyens d’investigation mentionnés au titre II du livre VI du code de justice administrative….
d) La décision d’homologation est revêtue de l’autorité relative de la chose jugée.
La décision prise par les Parties de transiger … et celle du CD92 de faire homologuer le Protocole :
Sur la base de l’article L.423-1 du CRPA, le département des Hauts-de-Seine et l’ALDV, sans rien renoncer à leurs analyses respectives divergentes, ont décidé de transiger, le premier en acceptant de ne pas faire payer à la seconde la totalité de la redevance et des charges d’occupation du domaine calculées aux tarifs des loyers des bureaux de la Défense, la seconde en consentant à abandonner son idée de saisir le juge judiciaire pour obtenir la conversion de sa convention précaire d’occupation du domaine du Département en bail commercial et le droit de bénéficier d’une indemnité d’éviction.
Il s’agissait, du point de vue de chacune des deux parties d’un compromis raisonnable et on aurait pu en rester là !
Mais tel n’a pas été le cas, car Georges Siffredi, Président du Conseil départemental des Hauts-de-Seine, conseillé par son service juridique et l’avocat de la collectivité, a tenu, sur le fondement de l’Avis du Conseil d’Etat de 2022 précité, à faire « homologuer » le Protocole signé avec l’ALDV par le tribunal administratif compétent, à savoir le TA de Cergy-Pontoise.
Un jugement funeste du TA de Cergy-Pontoise :
Or, mal lui en a pris, car les premiers juges suivant des conclusions indigentes, totalement à charge, de son rapporteur public, ont refusé l’homologation du Protocole, en considérant, d’une part, que la domanialité publique du Pôle Léonard de Vinci ne faisait pas de doute, et d’autre part, que l’Association occupante des lieux n’ayant aucun droit de se maintenir sur le domaine public, l’effort financier consenti par la collectivité pour réduire le coût et les charges de l’occupation des locaux, constituait une libéralité illégale !
D’un commun accord, les deux parties ont décidé de faire appel du jugement du 15 décembre 2023, et pour se donner plus de chances de convaincre la Cour administrative d’appel de Versailles, ont recouru à une médiation (assurée par deux professeurs de droit émérites et un président honoraire de TA), cette procédure revêtant en l’espèce un type un peu spécial, puisque le Département comme l’ALDV étaient d’accord sur l’objectif tendant à l’homologation du Protocole.
… Heureusement démenti par la CAA de Versailles validant le Protocole :
Cette stratégie a été payante, puisque par un arrêt du 16 mai 2024, très précisément motivé la Cour administrative d’appel de Versailles a annulé le jugement du TA de Cergy-Pontoise et jugé, conformément aux conclusions de Madame Janicot, Rapporteur Public, que :
« l’objet du protocole est licite », car « s’il fixe une redevance d’un montant inférieur à la valeur locative d’une propriété privée dans le secteur de La Défense, il doit cependant être regardé, dans les circonstances de l’espèce, comme comportant des concessions réciproques et équilibrées entre les parties » ; qu’ « Il n’est pas contraire à l’ordre public et ne caractérise pas l’existence d’une libéralité consentie à l’Association Léonard de Vinci », et qu’ « Ainsi le protocole peut être homologué. »
On relèvera que la Cour de Versailles n’a pas eu besoin de se prononcer sur la nature de la domanialité privée ou publique des locaux du Pôle universitaire Léonard de Vinci, mais a simplement considéré que le risque existait que cette domanialité puisse être privée, avec toutes les conséquences juridiques et financières qui en résultaient.
Intérêt de l’arrêt :
La leçon à tirer de l’arrêt ici commenté est de démontrer l’intérêt pour une collectivité publique, et tout particulièrement pour un département, de transiger, tant pour des raisons de rapidité que de risque sérieux de ne pas être suivi par le juge sur le fond de la solution espérée.
Cet intérêt est aussi de démontrer tout le prix qu’il convient d’accorder au double degré de juridiction, car comme le prouve la nouvelle appréciation, (raisonnable celle-ci), faite par les juges versaillais, le juge de première instance est quelquefois faillible.