Chaque mois, Stéphane Sautarel, Sénateur du Cantal, Vice-président de la commission Finances du Sénat, nous livre son analyse. Du « quoi qu’il en coûte » aux 20 milliards d’économies promis par le gouvernement, la question des finances locales n’a jamais paru si centrale et brûlante.
Déficit : l’addition se paiera aussi à Bruxelles !
Le nouveau projet de programme de stabilité, présenté en conseil des ministres le 17 avril 2024, porte jusqu’à la fin du quinquennat, en 2027 ; il réactualise fortement les prévisions de la loi de programmation des finances publiques, adoptée il y a quatre mois seulement, le 18 décembre 2023. Si les prévisions ont été révisées à la baisse en 2024 et 2025, elles demeurent inchangées en 2026 et 2027, reposant sur une conjonction de facteurs favorables. Cette critique est partagée par le Haut conseil des finances publiques (HCFP), qui estime que la trajectoire de PIB est surévaluée.
En 2027, le taux d’endettement serait supérieur de 1,4 point au taux actuel, alors qu’il y a quatre mois, dans la loi de programmation, il était prévu une baisse de 1,6 point. Notre niveau de dette demeurera très élevé, ce qui est particulièrement préoccupant.
La France va en effet rester le plus mauvais élève de l’UE avec la Grèce et l’Italie. Selon les chiffres publiés par Eurostat le 22 avril dernier, en 2023, la France a un taux d’endettement de 110,6 %, contre 63,6 % en Allemagne, 81,7 % en moyenne dans l’UE et 88,6 % dans la zone euro (ZE).
En 2007, la France avait 0,8 point de moins d’endettement que la moyenne de la ZE.
En 2012, la France avait 0,4 point de plus d’endettement que la moyenne de la ZE.
En 2017, la France avait 10,3 points de plus d’endettement que la moyenne de la ZE.
En 2023, la France a 22 points de plus d’endettement que la moyenne de la ZE.
Cela signifie qu’en 2027, presque la totalité de l’impôt sur le revenu payé par les contribuables français ne servirait qu’à rembourser les intérêts de la dette.
Hélas l’optimisme forcené du Gouvernement ne saurait masquer le faible dynamisme de l’économie française. Un seul chiffre y suffit : plus de 1000 milliards de dette supplémentaire en 7 ans. La trajectoire des finances publiques qui nous est ainsi proposée, dans une présentation pour le moins « lacunaire » selon les mots mêmes du HCFP, est le reflet des renoncements du Gouvernement : renoncement à sa propre loi de programmation des finances publiques, renoncement à une trajectoire de désendettement, renoncement à redresser les comptes par un projet de loi de finances rectificative soumis au Parlement.
Ainsi, les scénarios proposés semblent bien peu cohérents et d’autant moins crédibles.
Dans le droit fil de la transmission du programme de stabilité à Bruxelles, la nouvelle est passée un peu inaperçue, éclipsée par d’autres actualités dramatiques, mais les prévisions économiques publiées mi-mai par la Commission européenne ont de quoi inquiéter les autorités françaises. Bruxelles anticipe un taux de chômage qui pourrait se rapprocher de 8 % l’an prochain, et surtout un déficit public toujours considérable, à 5 % de PIB. Cela constitue un écart de près de 1 point par rapport à l’engagement du gouvernement français, malgré une croissance attendue à 1,3 %.
Comme toujours, Bercy relativise, en soulignant que cette prévision ne prend pas en compte les mesures à venir dans le prochain budget. Mais justement, cela donne une idée assez précise de l’ampleur de l’effort à accomplir : autour de 25 milliards d’euros. Un gouffre. Et la Commission d’ajouter qu’un tel plan de redressement minorerait forcément la croissance et donc les recettes fiscales. Bref, ça ne colle pas. C’est exactement ce que disait déjà le HCFP le mois dernier… Et ce que nous disons à la commission des finances du Sénat depuis des mois sans être entendu !
L’heure des comptes se rapproche donc, mais elle ne pouvait pas sonner avant le 9 juin. Afin de ne pas interférer dans la campagne des élections européennes, la Commission a en effet renvoyé à plus tard ses recommandations. Le calendrier est déjà néanmoins bien balisé : après le verdict de Standard & Poor’s sur la dette française à la fin du mois de mai, la France devrait être mise sous procédure de déficit excessif par la Commission mi-juin, et un bras de fer commencera à l’été sur le budget 2025 et la trajectoire de retour sous les 3 % de déficit d’ici à 2027.
La France ne sera certes pas la seule dans le viseur, une dizaine d’Etats membres dépassant les 3 % devraient être mis sous surveillance, mais elle apparaît de plus en plus décalée par rapport au reste de la zone euro. Et surtout de l’Allemagne dont le déficit serait à peine supérieur à 1 % l’an prochain… Sans réactions fortes, la France s’expose à 3 milliards d’euros de sanctions par an. Cette perspective ne ferait qu’aggraver encore la situation de nos finances publiques et va nous obliger plus que jamais.
Dans une longue interview à « la Tribune dimanche », début mai, le Président de la République, Emmanuel Macron, semblait considérer que le plus dur était fait avec les coups de rabot réalisés cette année, prétendant qu’il s’agissait selon ses termes
« d’une réponse conjoncturelle à un choc conjoncturel ». Mais la réalité est tout autre : le plus dur reste à faire, et l’on ne voit guère de pistes d’économies ambitieuses fleurir.
La stabilité fiscale est un acquis précieux qu’il faut garantir. On peut toutefois s’interroger pour savoir si le Gouvernement y parviendra vraiment et si ce sera vraiment encore le cas après le 9 juin. Mieux il faudra amorcer la baisse de la pression fiscale qui est en France la plus élevée ou presque de l’OCDE, sans réelle efficacité, dès que nous aurons rétabli les fondamentaux de nos comptes publics. L’urgence est aux mesures d’économies et de réformes dans la sphère publique qui ont été trop longtemps repoussées, ce qui les rend d’autant plus difficiles.
Dopée à l’argent public, dupée par un « quoi qu’il en coûte » qui a conforté l’illusion d’un argent magique, notre société sait pourtant qu’il est nécessaire de faire enfin preuve de courage et de justice pour garantir le système français auquel nous sommes tous attachés et qui doit être profondément réformé, faute de quoi il s’effondrera. Si le social et le territorial peuvent y concourir, de manière juste et équitable, c’est d’abord à l’État de faire des efforts. C’est lui et lui seul qui a creusé le déficit et la dette, là est le réel défi de notre souveraineté. N’oublions jamais la formule de Napoléon: « lorsqu’un gouvernement est dépendant des banquiers pour l’argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement, qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. »
Les rendez-vous post 9 juin sont nombreux tant nous avons attendu, procrastiné et différé, même si cela ne trompe plus personne mais risque de coûter cher à chacun.