Experte en communication, Cécile Delozier nous propose chaque mois son regard différent sur l’actualité et la société. Spécialiste de la prise de parole, notamment pour les élus, elle aide à développer la confiance en soi, par une approche bienveillante. Elle a regardé pour nous la série événement La Fièvre, et nous en donne son analyse.
La rédaction : Comment avez-vous apprécié le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella ?
Cécile DELOZIER : Comme vous pouvez l’imaginer, cela m’a vivement intéressée ! D’abord l’incongruité de la présence du non-candidat, le premier ministre. Le gouvernement choisit une femme inconnue tête de liste pour les élections européennes mais reprend les rênes dés que la tension monte. C’est particulièrement violent pour Valérie Hayer. Quelle perte de crédibilité ! Est-ce pour cela que Jordan Bardella s’autorise une remarque condescendante à son sujet : « elle a du mal avec ce dossier» où affleure la misogynie ? En sous-entendant l’incompétence de la candidate absente, a-t-il essayé de cacher ses propres fragilités ?
LR: Trouvez-vous que Jordan Bardella était fragile?
CD: Non. Je trouve qu’au début du débat, les deux ont fait jeu égal. La qualité des arguments se valait. Mais au fur et à mesure, le premier ministre s’est distingué par une connaissance très précise des dossiers. Il parlait sans notes
avec beaucoup d’aisance. En revanche, le président du Rassemblement National était plus fragile dès lors que les questions sortaient de ce qu’il avait préparé.
LR: Gabriel Attal a-t-il gagné le débat ?
CD: Pas forcément. La supériorité intellectuelle ne suffit pas à remporter l’adhésion. En politique ( comme dans la vie d’ailleurs ), la rationalité ne triomphe pas systématiquement. Ce qui convainc et remporte l’adhésion, c’est l’émotion. Sur ce terrain, Jordan Bardella a été meilleur.
En s’érigeant en défenseur des classes défavorisées, il a touché la corde sensible des spectateurs. L’argument de la souffrance est plus fort que celui de la lucidité. « Les Français n’ont pas les moyens d’acheter une voiture électrique » est plus fort en débat que « Il faut interdire les véhicules thermiques pour protéger la planète ». La dimension humaine et sensible prime toujours sur la raison.
Le philosophe Pascal était péremptoire : entre l’imagination et la raison, c’est toujours l’imagination qui prime ! Quand Gabriel Attal en appelle à la raison, à la connaissance, à la pondération, il appelle au fond au vote utile, au vote anti-RN. Cette équation a déjà porté ses fruits dans le passé lors d’élections nationales. Je doute qu’elle fonctionne aujourd’hui dans une élection où un tiers des votants annoncent avoir choisi la liste du RN. Donc je dirais, match nul…
LR: Pas de gagnant … Finalement que retenir de ce débat ?
CD: La jeunesse des débatteurs est un fait marquant. Quand on observe ce qui se passe Outre-Atlantique, on ne peut qu’être étonné que la super puissance américaine de 300 millions d’habitants ne puisse présenter que des candidats âgés aux élections présidentielles. A l’inverse, que la France réussisse à renouveler son personnel politique est une raison de se réjouir.