Pour Nicolas Lacroix, président du Conseil départemental de la Haute-Marne, la loi sur la fin de vie actuellement en discussion au Parlement, ne doit pas éclipser la question du grand âge. Un sujet de société majeur sur lequel il est particulièrement mobilisé dans son département et au sein de Département de France où il préside le groupe « Droite, Centre, Indépendants ». Pour lui, il y a urgence à traiter cet enjeu devenu « un véritable impensé politique ».
S’il y a bien une fatalité à laquelle nous devons tous nous résigner, c’est la mort. Elle angoisse et inquiète chaque être vivant de cette planète et l’Homme a depuis des milliers d’années cherché à la comprendre, parfois même à la dompter. Sans succès pour l’instant, malgré les progrès médicaux colossaux et les contours encore incertains liés au transhumanisme.
À ne pouvoir la dépasser, nombreux sont celles et ceux qui ont souhaité décider du moment où ils souhaitaient partir. Depuis les années 90, notre société s’est ainsi adaptée : en introduisant d’abord les soins palliatifs comme missions des hôpitaux puis leur élargissement avec la loi Neuwirth, en passant par la première loi Leonetti et enfin la seconde Claeys-Leonetti qui instaure
« une sédation profonde et continue » jusqu’au décès, sans aller jusqu’à l’eutha-nasie active. A chaque fois, l’évolution législative avait pour cause une situation humaine, personnelle et familiale, extrêmement douloureuse : que cela soit avec l’affaire Vincent Lambert ou le drame vécu par Chantal Sébire, chacune et chacun d’entre nous en est ressorti bouleversé dans ses certitudes, nul ne souhaitant être contraint à l’impasse à laquelle ils ont été confrontés.
Ainsi, en voulant « bouger » sur le sujet de la fin de vie « parce qu’il y a des situations inhumaines qui persistent », le Président de la République répond une nouvelle fois aux attentes des personnes et des familles foudroyées par le dilemme le plus difficile qui soit et engage officiellement notre pays sur la voie du processus de dépénalisation de l’aide à mourir, comme il l’avait promis devant la Convention citoyenne sur la fin de vie en avril 2023.
Je laisse à chacun, individuellement en son âme et conscience, juger de ce qu’il voudra faire et même voter. Les trésors de prudence dans les propos de Catherine Vautrin, Ministre en charge de la défense du texte au Parlement, et l’équilibre souhaité entre chaque phrase du projet de loi démontrent à quel point aucune leçon ne saurait être donnée sur la façon dont on souhaite mettre fin à ses jours, comment et jusqu’où la société doit accompagner.
Plutôt que de donner un avis sur cette question qu’ Emmanuel Macron a voulu mettre au cœur du débat public et dont le débat vient de débuter devant le Parlement, interrogeons-nous sur celle qu’il a laissée de côté : avant d’envisager le sujet de l’aide à mourir, notre pays ne devrait-il pas envisager le « bien vieillir » ?
On ne peut qu’être frappé du peu d’intérêt que suscite cet enjeu au point de devenir un impensé de nos politiques publiques.
Pourtant, les premières semaines de la crise sanitaire nous avaient renvoyé un sentiment de honte plus ou moins avouée de laisser son aîné dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) aux frais exorbitants et à la qualité de soin incertaine.
Depuis plusieurs mois, j’alerte dans le quasi désert : de tribunes en rencontres, je cherche à faire comprendre que la loi
« pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie » qui vient d’être promulguée n’est pas à la hauteur des attentes, à peine permettra-t-elle d’améliorer le quotidien des résidents, de rendre leur vie moins morose : droit de visite garanti pour vaincre la solitude qui avait tant pesé pendant la crise sanitaire, permission d’avoir des animaux de compagnie sous réserve qu’ils soient en capacité d’en « assurer les besoins physiologiques, comportementaux et médicaux »… Car la bonne volonté et le dévouement des personnels ne suffisent plus : nombreux sont ceux d’ailleurs qui sont dépités par l’évolution de leurs métiers, le manque de temps pour s’occuper de leurs patients et de reconnaissance de leur travail.
Ils ont été les premiers à constater que les promesses faites au lendemain de la crise sanitaire n’ont pas été tenues.
Les perspectives sont alarmantes : d’ici à 2050, près d’un Français sur trois sera âgé de plus de 65 ans (c’est même déjà le cas dans certains départements comme la
Haute-Marne) ; dès 2030, le nombre de personnes de plus de 65 ans sera supérieur à celui des moins de 15 ans et, d’ici 2050, sans le fameux « réarmement démo-graphique », le risque est grand de voir le nombre d’actifs passé sous celui des retraités.
Face à cette mutation inéluctable de notre société, il ne s’agit plus de tergiverser. La question est claire et a été posée : comment souhaitons-nous que nos personnes âgées soient traitées dans notre pays ? Elle n’a pas trouvé de réponse. Pourquoi ? Parce qu’il faut une véritable loi de financement du Grand âge. Car il y a une certitude : le mur auquel nous faisons face ne sera pas surmonté par la seule mise en place d’une nouvelle journée de solidarité comme cela avait été décidé par Jacques Chirac après le drame de la canicule de 2003.
Devant cette situation, nous ne devons avoir aucun tabou : en 2030, ce sont
5 millions de personnes âgées de plus de
85 ans (150 % de plus qu’aujourd’hui !) que nous avons le devoir d’accompagner et d’aider. Elles ne demandent pas à mourir ; elles souhaitent simplement vieillir dignement. Nous n’avons d’autre choix que de relever cet immense défi. Car si un pays qui a peur de sa jeunesse est un pays sans avenir, je crois qu’un pays qui déconsidère ses aînés est un pays perdu.