S’affirmer comme un territoire d’avenir dans un contexte très difficile pour les Départements, c’est toute l’ambition de Nicolas Lacroix, président du Conseil départemental de la Haute-Marne. Une ambition qui passe notamment par un choc d’investissement et la mise en valeur des nombreux atouts d’un territoire parfois méconnu. Nicolas Lacroix nous présente sa vision de long terme d’un département en pleine mue.
Vous avez initié pour la Haute-Marne un plan d’actions « CAP’2030 » qui vise, sur dix ans, un « choc d’investissements » et un renversement de la courbe démographique. Où en est le déploiement de ce plan d’actions ?
Les fractures qui touchent notre pays trouvent un écho plus fort dans les territoires ruraux : accès aux soins et aux services publics, désindustrialisation, mobilité…Et les crises successives n’ont fait qu’accentuer le sentiment d’une France à plusieurs vitesses. La crise du covid a été de ce point de vue particulièrement marquante et il a fallu se poser une question : comment notre territoire va-t-il pouvoir rebondir et miser sur l’avenir ? Notre réponse, c’est « Cap’2030 » : un choc d’investissement inédit pour la Haute-Marne, avec près d’un demi-milliard d’euros injectés par le Conseil départemental pour rénover les équipements publics (collèges, hôpitaux, gendarmeries…), investir dans notre réseau routier, faire émerger de nouveaux projets sportifs et culturels et soutenir notre souveraineté à travers le monde agricole. A la fin 2024, par effet de levier, plus d’un milliard d’euros d’investissements auront été générés sur notre territoire depuis 2021, avec de nombreux projets sortis de terre et, même si nous sommes aussi dépendants de nombreux facteurs, les chiffres de l’évolution démographique s’améliorent et semblent aller dans le bon sens.
À vos yeux, quelles sont les clés pour faire de la Haute-Marne un département pleinement attractif ?
D’abord, il faut faire connaître notre territoire et ses richesses, parfois méconnues, y compris des Haut-marnais. Nous avons une qualité de vie incroyable, avec une nature omniprésente, un important patrimoine historique et nous sommes en proximité immédiate de grandes villes comme Dijon, Troyes, Reims, Nancy ou même Paris. Nous avons créé une agence d’attractivité départementale qui a ce rôle : faire connaître notre territoire au plus grand nombre, attirer de nouveaux habitants et de nouveaux porteurs de projets.
Ensuite, c’est en investissant dans des projets structurants comme nous l’avons fait. Nous investissons par exemple beaucoup pour l’accès aux soins. Nous sommes en ce moment même engagés pour la construction de deux nouveaux centres hospitaliers, nous salarions des médecins, nous allons également déployer deux camions médicalisés pour sillonner la Haute-Marne… Enfin, il faut avoir une vision à long terme. Si vous voulez attirer des habitants, si vous voulez attirer des investisseurs et de porteurs de projets, il faut qu’ils puissent se projeter sur notre territoire. Avec « Cap 2030 », c’est notre ambition en Haute-Marne.
Président du groupe des Départements de la droite, du centre et des indépendants au sein de Départements de France, vous êtes en première ligne pour dénoncer l’asphyxie financière que subissent les Départements. A l’heure où un Conseil départemental comme l’Aisne vote un budget en déséquilibre et risque une mise sous tutelle, quel regard portez-vous sur cette situation et comment appréhendez-vous les mois à venir ?
Je l’ai dit dans votre journal il y a quelques semaines : nous assistons à une mise à mort budgétaire des Départements. L’État, qui ne compense pas suffisamment les compétences qu’il nous a transférées, nous impose des charges et des dépenses toujours plus fortes. Il faut le dire clairement : si l’État poursuit dans sa logique actuelle, il sera directement responsable de la mort des Départements. Mais il y a plus grave : derrière les Départements, ce sont nos territoires qui vont être brutalement mis à mal. Il faut changer radicalement de logiciel si notre pays veut s’en sortir.
Autonomie financière des Départements ou redéploiement des compétences entre collectivités : quelle est la priorité, selon vous ?
Ce sont deux sujets indissociables. Sans autonomie financière, il n’est pas possible d’assumer pleinement notre rôle et nos compétences. C’est d’ailleurs la situation actuelle de nombreux Départements, en particulier sur les questions de Solidarités : ces compétences transférées par l’État se traduisent par des dépenses obligatoires toujours plus importantes et de moins en moins compensées.
Or, contrairement à l’État, nous votons des budgets à l’équilibre donc le résultat, c’est que certains Départements n’ont pas d’autre choix que de réduire leurs investissements et leurs soutiens aux projets. Le résultat, c’est aussi que nos habitants ont le sentiment que l’action publique n’a plus de sens. Notre pays vit une profonde crise démocratique et si nous voulons relever la tête, il faut faire confiance au terrain et aux élus locaux.
À l’heure où de nombreux élus locaux semblent avoir le moral en berne, ou souhaitent jeter l’éponge, la question du statut de l’élu est au cœur des enjeux d’engagements locaux. Sur ce sujet, plaidez-vous pour une évolution ou une révolution ?
Les démissions d’élus locaux atteignent un niveau jamais vu et c’est un puissant symptôme de la crise démocratique que nous vivons. Ce découragement se ressent encore plus fortement dans nos territoires ruraux, où les Maires se trouvent bien souvent seuls à assumer les responsabilités. Ce découragement c’est aussi celui d’avoir toujours moins de moyens et d’être quotidiennement confronté à certaines règles éloignées de la réalité des territoires, à l’image du ZAN qui a été vécu comme un vrai mépris du terrain.
Enfin, les élus locaux sont en première ligne face aux tensions de notre société et au délitement de l’autorité dans notre pays, avec une hausse des violences verbales et physiques à leur encontre. Nous devons donc faire évoluer radicalement les choses si nous voulons que la France retrouve le bon chemin en redonnant aux élus locaux les moyens d’agir et d’assumer les responsabilités qui leur ont été confiées par les citoyens.
Votre Département porte un effort tout particulier sur la santé et l’accès aux soins, avec des investissements très importants. Est-ce, selon vous, un facteur d’attractivité primordial ?
Quand une famille veut s’installer sur un territoire, elle s’intéresse naturellement aux possibilités de s’y faire soigner. Nous voyons également de plus en plus d’entreprises qui font entrer l’accès aux soins dans leurs critères d’implantation sur les territoires. La santé, en plus d’être importante pour nos habitants, est donc un facteur déterminant d’attractivité. En Haute-Marne, nous en avons fait une priorité de mandat en portant de nombreux projets innovants, à l’image du centre départemental de santé que nous avons lancé cette année.
A travers lui, nous salarions des médecins généralistes que nous déployons dans les maisons et centres de santé de l’ensemble du territoire. D’ici la fin d’année, nous allons également déployer deux camions médicalisés, avec médecins et des équipes administratives, qui iront au cœur des communes pour réaliser des consultations. Nous avons aussi pris une décision historique : celle d’investir dans la reconstruction de deux nouveaux centres hospitaliers. C’est un investissement de près de 50 millions d’euros pour nous et c’est la première fois en France qu’un Conseil départemental s’engage à ce niveau là sur un tel projet.
À l’image de son soutien important à l’agriculture, la Haute-Marne, comme la plupart des Départements, embrasse un champ d’action plus large que ses compétences obligatoires. Est-ce par choix ou par nécessité ?
Dans notre territoire, le Département est partenaire d’une grande partie des projets qui se réalisent. C’est à la fois une nécessité, parce que nous portons une grande part de l’investissement public et que si nous n’investissons pas, alors peu de projets verraient le jour, mais c’est aussi un choix : celui d’agir pour nos habitants sur les priorités qui sont les leurs. La santé, j’en ai parlé, mais aussi l’agriculture que nous soutenons fortement, la sécurité en investissant dans les gendarmeries et dans nos casernes de pompiers, ou encore l’accès aux équipements sportifs et plus globalement aux services publics en soutenant les autres collectivités et en particulier les Maires à porter leurs projets.
2024 est une année particulièrement sportive pour votre département. Le relais de la Flamme ou le passage du Tour de France sont aussi des vecteurs majeurs de visibilité touristique. Quelle est votre stratégie dans le domaine du tourisme, et quelles marges d’évolution identifiez-vous ?
L’année 2024 va être très forte en émotion pour les Haut-marnais. Nous avons la chance d’avoir le passage de la flamme olympique le 28 juin mais aussi, le 6 juillet, d’avoir un passage du Tour de France et une arrivée d’étape à Colombey-les-deux-Eglises. Ces deux événements sur une même année, ça ne se renouvellera sans doute plus jamais. Nous allons montrer que la Haute-Marne est un magnifique terrain de jeu et de sport. Cette image positive de notre territoire, nous la cultivons. Nous avons lancé une marque territoriale et, en 2023, nous avons officiellement lancé notre agence d’attractivité, en lien avec l’ensemble des offices de tourisme pour porter une stratégie collective.
Nous avons en Haute-Marne de formidables atouts : nous sommes à la fois l’un des départements les plus verts de France et à la fois proche de grandes villes comme Paris, Dijon, Troyes ou Nancy. La Haute-Marne a de quoi être fière de ce qu’elle est, nous avons une identité forte, un patrimoine exceptionnel et belle qualité de vie : il faut revendiquer ces atouts.
Pour conclure, et sans exclure une part de rêve, comment voyez-vous la Haute-Marne en 2030 ?
La Haute-Marne est un territoire d’ave-nir. J’en suis intimement convaincu. Malgré les contraintes toujours plus fortes, nous bataillons avec les forces vives de ce département pour construire cet avenir. Nous avons déjà beaucoup avancé grâce à notre choc d’investis-sement. Ce que je souhaite à nos habitants et à la Haute-Marne, c’est que nous réussissions ce formidable défi de renverser la courbe démographique à l’horizon 2030, parce qu’alors, cela voudra dire que nos efforts collectifs auront payé et que la fatalité n’existe pas.