Ce n’est pas sans émotion que les Français ont commémoré, le 2 avril dernier, le cinquantenaire de la disparition de Georges Pompidou, Premier ministre puis président de la République, emporté par la maladie de Waldenström en 1974. Incarnation des années bonheur, d’une France de la modernité et du panache, il était aussi un amoureux de la vie et des lettres.
Né en 1911 à Montboudif, dans le Cantal, Georges Pompidou était fils d’instituteurs et petit-fils de paysans. Produit de la méritocratie républicaine, il fait sa scolarité à Albi, où il il est décoré du premier prix de version grecque, puis intègre l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm en 1931, étant reçu premier à l’agrégation de lettres en 1934 mais aussi, c’est moins connu, diplômé de l’Ecole libre des sciences politiques, l’ancêtre de Sciences Po.
Professeur de français au lycée Saint-Charles de Marseille puis au lycée Henri-IV de Paris, il est mobilisé en 1940, servant comme officier de renseignement, car parlant allemand. S’il ne mène pas d’activités résistantes, il se met néanmoins au service du général de Gaulle dès la Libération, obtenant un poste de chargé de mission pour les questions d’éducation au sein du Gouvernement provisoire de la République française.
Nommé maître des requêtes au Conseil d’État en 1946, il reste néanmoins très proche du chef des Français libres, l’épaulant dans la création de la fondation Anne-de-Gaulle, du nom de la petite fille trisomique du Général. Et c’est cette proximité qui le conduit à occuper des fonctions de chef de cabinet, lorsque le Grand Charles lance son mouvement politique, le Rassemblement du peuple français (RPF). Dans un très touchant livre de souvenirs, C’était mon père (Robert Laffont, 2023), Alain Pompidou, le fils unique de l’ancien Président, raconte cette relation, au départ surprenante mais devenue si forte avec le temps.
Séparés en 1954, après l’échec des législatives de 1951 et des municipales de 1953, les deux hommes restent néanmoins en contact, se voyant de manière régulière bien que Pompidou ait choisi la voie de la banque. Revenu au pouvoir en 1958, de Gaulle l’appelle à ses côtés comme directeur de cabinet, à l’époque presque un vice-Premier ministre. Raison pour laquelle Pompidou refuse le ministère des Finances qu’on lui propose dans le gouvernement de Michel Debré en 1959, préférant retourner chez Rothschild.
En avril 1962, après le référendum approuvant les accords d’Evian sur l’avenir de l’Algérie française, de Gaulle crée la surprise en le nommant Premier ministre. Pompidou, triomphant, met les bouchées doubles pour moderniser le pays, même si les crises se multiplient : démission des ministres démocrates-chrétiens en 1962 après la polémique sur l’Europe intégrée, grève des mineurs en 1963, etc.
Qu’à cela ne tienne, il crée la DATAR, développe les métropoles d’équilibre, le littoral, lance le projet de création d’un nouvel aéroport à Roissy, inaugure le premier satellite français, baptisé du nom d’un célèbre petit gaulois : Astérix !
Le Général ayant un temps hésité à briguer sa propre succession à la présidentielle de décembre 1965, Pompidou se rêve alors en Président. Ambition qui sépare les deux hommes, même si de Gaulle lui renouvelle sa confiance en janvier 1966. Leur relation n’est cependant plus la même : la question de la participation divise la famille gaulliste et Pompidou ne cache plus ses ambitions, menant personnellement la campagne des législatives de 1967, tout en prenant le parti gaulliste à sa main.
C’est au fond 1968 qui provoque la rupture entre eux. De Gaulle et Pompidou n’ont pas la même analyse de la situation et n’envisagent pas les mêmes solutions. Le Général croit en la puissance d’un grand référendum sur la participation, quand Pompidou veut dissoudre l’Assemblée nationale, afin de redonner une dynamique politique au pays.
Leur incompréhension réciproque laisse place à des interrogations, des hésitations même, desquelles découle l’arrivée de Maurice Couve de Murville, inamovible ministre des Affaires étrangères, à Matignon.
En réserve de la République, Pompidou, qui a été élu conseiller municipal de Cajarc, dans le Lot, en 1965, et député du Cantal en 1968, scrute néanmoins la vie politique française. Depuis Rome, en janvier 1969, il dit sa disponibilité si le général de Gaulle venait à se retirer, précipitant les résultats d’un référendum déjà mal engagé et au terme duquel le président de la République tire en effet sa révérence. Meurtri par l’affaire Markovic, dans laquelle certains ont voulu salir sa femme, il entend prendre sa revanche !
Élu président de la République en juin 1969, Pompidou s’impose en héritier du général de Gaulle, poursuivant sa politique d’indépendance, tout en l’assouplissant, ainsi en permettant l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté économique européenne.
Soucieux de développer la France, il fait construire des autoroutes, encourage le lancement d’un programme nucléaire, inaugure le périphérique parisien et le TGV. L’Hexagone change de vitesse.
En même temps, soucieux de la nature, il crée un ministère de l’Environnement, rappelle, lors d’un célèbre discours à Chicago, les devoirs de solidarité qu’implique la sauvegarde de la maison des Hommes, et met toute son énergie pour préserver la culture, le patrimoine et l’identité française. Atteint par la maladie, il décède en fonction, laissant le souvenir d’un grand serviteur de l’tat, dont “Les Leçons” sont encore d’une pleine actualité, pour reprendre le titre d’un récent ouvrage de David Lisnard et Christophe Tardieu (L’Observatoire, 2024).
Plus qu’un exercice de nostalgie, ce cinquantenaire est donc l’occasion de redonner espoir. La France a été un grand champion international, un pays à la pointe de l’innovation technologique et du progrès, en même temps qu’une patrie soucieuse de ses arts et de sa culture.
Il faut relire et réapprendre ce visionnaire, qui disait il y a un demi-siècle déjà : “Je suis de ceux qui pense que dans cinquante ans, la fortune consistera à pouvoir s’offrir la vie du paysan aisé du début du XXe siècle, c’est-à-dire de l’espace autour de soi, de l’air pur, des oeufs frais, des poules élevées avec du grain, etc.”
Il n’avait pas tort.