Notre invité du mois : Patrick Bouchardon, Directeur général des services du Conseil départemental du Val-d’Oise.
Notre invité de ce mois est Patrick Bouchardon, Directeur général des services du Conseil départemental du Val-d’Oise. Ancien élève de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’INET, Patrick Bouchardon a exercé des fonctions de direction générale aux trois niveaux de collectivités : successivement DGA du Conseil départemental des Yvelines (2012-2014), DGS de la Ville de Limoges (2014-2017), DGA de la Région Auvergne-Rhône-Alpes (2017-2019), et DGS du Conseil départemental du Val-d’Oise depuis 2022. Il a auparavant occupé des fonctions dans le corps préfectoral comme directeur de cabinet du Préfet de Maine-et-Loire (2009-2010) puis secrétaire général de la Préfecture de l’Yonne (2010-2012).
Patrick Bouchardon passa par ailleurs deux années dans le conseil, comme responsable du secteur public de Charles Riley Consultants international puis fut, entre 2019 et 2022 conseiller au cabinet du Président du Sénat, en charge des collectivités locales, de l’aménagement du territoire, des transports et du logement.
Il nous livre dans cet entretien une vision passionnante et très personnelle de l’action menée dans son département. Outre la prise en compte au titre des grandes transitions des questions liées à l’intelligence artificielle, Patrick Bouchardon nous propose ici une véritable pédagogie de la conduite du changement.
Questions à l’invité :
Quelle est votre vision des enjeux de transition ?
Sans nier l’urgence d’un changement de « modèle », j’ai tendance à m’en tenir à la définition même du mot « transition », passage d’un état à un autre « défini comme lent et graduel » : en clair, et en étant bien conscient de paraphraser le PDG d’une grande entreprise pétrolière française, j’ai la conviction que nous devons construire nos réponses avec des trajectoires et des délais raisonnables. Evitons de nous enferrer dans des calendriers et des normes imposées d’en haut mais décidons nous-même de manière pragmatique, de nos propres objectifs et échéances.
Un exemple : le « budget vert » est évidemment une excellente idée mais est-il bien raisonnable d’en imposer l’adoption à l’heure où toutes les collectivités (particulièrement les départements frappés par la crise des DMTO) s’interrogent sur leur capacité à boucler l’exercice en cours ?
Je suis convaincu que de la contrainte ne naitra jamais la moindre initiative pertinente.
L’autre enjeu, et c’est particulièrement vrai au sein d’une administration telle que celle du département du Val-d’Oise, c’est de faire preuve de la plus grande pédagogie pour entrainer le plus grand nombre de nos agents.
Nos collectivités ne pourront réussir les transitions, tant pour la mise en œuvre des politiques publiques que dans leur fonctionnement interne, qu’en mobilisant l’intelligence collective.
Quelles sont les stratégies de transitions engagées par votre collectivité ?
Le Val-d’Oise est un département jeune, en très forte évolution démographique (deux fois supérieure à la moyenne francilienne). D’ici 2040, si les tendances démographiques récentes se poursuivaient, le Val-d’Oise serait le département francilien dont la population augmenterait le plus rapidement (+ 0,32 % par an), pour atteindre 1 340 000 habitants.
Le territoire du Val-d’Oise est en outre très contrasté, entre zones urbaines denses et ruralités, les espaces agricoles et forestiers représentent plus de 68 % du territoire.
Le département déploie ainsi une offre très diversifiée répondant tant aux enjeux des territoires ruraux que d’autres, plus urbains, et tant aux besoins de jeunes usagers que des personnes âgées, puisqu’une partie de la population est également vieillissante. Il porte donc dans chacune de ses politiques publiques une stratégie de transition destinée à anticiper les évolutions à venir. Stratégie qui se matérialise tout d’abord par une projection des besoins de la population, puis par des Schémas directeurs thématiques lui permettant ainsi de planifier ses actions. Un exemple, dans le domaine scolaire : nous allons livrer ainsi huit collèges neufs sur la durée de l’actuel mandat, tout en en rénovant quatre autres, ce qui relève de la gageure pour nos équipes techniques : outre la charge de travail, les bâtiments neufs ou rénovés doivent être pensés pour être le moins coûteux en fonctionnement.
Enfin, les départements exercent un rôle majeur en faveur des transitions en accompagnant les dynamiques territoriales. Le Val-d’Oise s’inscrit parfaitement dans cette logique en aidant le bloc communal à faire aboutir ses projets, en consacrant une enveloppe sur six années de 270 millions d’euros d’appui à l’investissement. Parmi ces aides, plusieurs visent à cofinancer les investissements pour la protection de la ressource en eau, ceux contribuant à maintenir ou restaurer la qualité écologique des milieux aquatiques mais aussi la création ou la renaturation, toutes solutions fondées sur la nature en ville…
Tous les territoires bénéficient de cet appui. Nous avons ainsi développé un environnement de travail collaboratif avec les dix intercommunalités valdoisiennes, les quatre communautés d’agglomérations et les six communautés de communes. Toutes ont, par exemple, été associées étroitement à la préparation de notre futur schéma d’attractivité territoriale, par des séquences de travail auxquelles notre Présidente a convié l’ensemble des Présidents d’intercommunalité.
Quel est le projet en particulier que vous avez choisi de nous présenter ?
Notre futur projet d’administration. En début de mandat, nos élus ont adopté un document stratégique intitulé « Faire grandir le Val-d’Oise », qui est la feuille de route des services. L’administration est donc naturellement prête à l’action pour décliner ces projets, dans une logique de soutenabilité, en termes de moyens humains et financiers. Financiers au vu des contraintes fortes que nous subissons aujourd’hui, humains, car nous n’échappons pas aux fortes tensions sur les recrutements, conséquence d’une désaffection pour la fonction publique, aggravée par la concurrence entre collectivités. Mais le Val-d’Oise dispose de nombreux atouts et les équipes du département travaillent sur la « marque employeur », afin de mettre en place des outils garantissant une vraie qualité de vie au travail.
D’où l’importance d’un projet d’administration qui soit à la fois un guide pour atteindre un fonctionnement que l’on pourrait qualifier d’exemplaire et un document socle d’une culture collective, autour de valeurs partagées. J’y vois aussi un facteur d’attractivité pour attirer de nouveaux talents et conserver ceux qui nous ont déjà rejoints.
La transition écologique et la responsabilité environnementale constitueront le fil conducteur de notre projet d’administration, avec l’ambition d’irriguer toute l’organisation. Ce document stratégique sera composé de quatre chantiers principaux : impact de l’IA sur nos métiers et nos politiques publiques, laboratoire des futurs possibles (prospective), l’usager au centre et accompagnement managérial des parcours professionnels.
Notre réflexion sur l’IA illustre notre souhait d’exploiter l’ensemble des nouvelles technologies pour répondre au mieux aux besoins de nos usagers (pré-inscription des dossiers de prestation ou même de subvention jusqu’à la gestion en mode « smart city » de nos bâtiments). Chantier passionnant qui nécessite cependant de prendre en compte l’ensemble des risques liés à l’utilisation de cet outil (usage des données personnelles, prise en main par les agents …).
Quel est votre rôle en tant que DGS dans ce projet et quelle organisation spécifique avez-vous mis en place ?
La démarche du projet d’administration doit être pilotée par le collectif de la direction générale et non par le seul DGS, même s’il me revient de porter la démarche, d’en être le « sponsor » comme disent les consultants. Cette démarche se doit d’être collaborative et transversale. Elle permet de passer d’une vision technique à une vision stratégique. Ce travail permet aux directions de prendre du recul sur leurs activités et de se poser les bonnes questions.
Parallèlement, une démarche de maitrise des risques a pu se déployer : la construction d’indicateurs d’activités et stratégiques permettront ainsi de suivre la feuille de route stratégique et le projet d’administration. La création d’un laboratoire de prospective permettra aussi d’ajuster les politiques publiques et les moyens de l’administration, par rapport aux grandes tendances analysées et aux mesures d’impact. Et c’est bien là le rôle du DGS que de veiller à la bonne adéquation moyens/résultats pour atteindre les objectifs de l’exécutif.
Quels enseignements en tirez-vous en matière de conduite des projets de
transition ?
Adosser le projet à un objectif inscrit dans la durée, la transition vers un modèle plus vertueux, nous permet d’impulser un rythme pour donner toute sa force à notre projet.
La conduite des projets de transition demande du temps, des moyens humains et financiers et une forte abnégation. La transition pourrait se définir comme « la capacité d’un écosystème à encaisser un choc sans s’effondrer et à se réorganiser en se réinventant pour le surmonter » (formule que j’emprunte à Luc Semal). C’est le propre d’un projet de transition, de se réinventer, et il touche donc à toutes les composantes de nos organisations.
Pensez-vous que l’on conduit des projets de transition comme des projets plus classiques de modernisation ou de changement ?
Précisément non, même si dans la méthode on peut retrouver des similitudes entre les projets plus classiques de modernisation et ceux dits de transition. Mais un projet de transition est donc, par définition, en rupture ou pour le moins à la recherche d’un nouvel équilibre. Ces changements doivent être accompagnés tant d’un point de vue humain que technique. Le pôle ressources, avec les ressources humaines, les systèmes informatiques, la mission innovation, doivent être mobilisables pour accompagner ces projets.
Par ailleurs, et c’est ce qui m’intéresse, le projet de transition s’adresse, au-delà des organisations, aux individus. La prise en compte de leurs perceptions, de leurs opinions, voire de leur capacité à s’engager au sein de l’organisation est essentielle pour évaluer la préparation au changement.
Conseil de lecture de l’invité
Walden ou la Vie dans les bois, récit publié en 1854 par l’écrivain américain Henry David Thoreau (1817-1862). Autofiction avant l’heure, bien plus percutante et surtout plus juste que bon nombre d’ouvrages récents, écrite par un auteur qui fait le choix de tourner le dos à la civilisation durant deux années, et qui réinvente sa vie, seul et sans ressources autres que celles de la nature, en épicurien avisé.