Docteur en histoire et rédacteur en chef de la revue “Défense Nationale” depuis 2014, le Général Jérôme Pellistrandi est l’un des grands spécialistes français de la stratégie militaire. Il revient pour le Journal des Départements sur le conflit en Ukraine.
Après près de 750 jours de guerre, la guerre imposée par la Russie de Vladimir Poutine à l’Ukraine reste un défi majeur pour l’Europe, en première ligne, qu’elle le veuille ou non.
Passée l’émotion des premiers mois avec les flots de réfugiés fuyant vers l’Ouest, nos opinions publiques ont pu sembler lasses des images des immenses champs de bataille ou des immeubles d’architecture soviétique à moitié détruits. D’autres sujets de préoccupation ont pris le relai notamment sur les chaines d’information en continu, au risque de zapper l’essentiel pour se concentrer sur l’accessoire, dont les faits divers.
Or, il faut rester lucide. Cette guerre reste existentielle.
Tout d’abord, pour l’Ukraine elle-même. Après le non-succès ou l’échec de la contre-offensive de l’été 2023, la situation sur le plan militaire est difficile. Le rapport de force est largement en faveur de la Russie et la priorité pour Kiev est de résister et d’éviter que la ligne de front –sur près de 1000 km- soit percée par les forces russes.
Tenir sur le front terrestre et donc s’enterrer et créer des lignes d’obstacles quasi continues. Tenir face aux attaques aériennes nombreuses visant tout : installations militaires, industrielles mais aussi les populations civiles avec un cynisme aveugle. De plus, les objectifs de guerre énoncés par Poutine n’ont pas changé : neutralisation, démembrement, démilitarisation, dénazification…
Autant de conditions impossibles à accepter pour un État souverain, indépendant et dont la population regarde désormais vers l’Ouest, c’est à dire l’Europe.
Existentielle pour Vladimir Poutine qui a décidé de cette opération spéciale militaire qui ne devait durer que quelques semaines et qui, en cas de succès, aurait mis l’Occident devant le fait accompli.
Or, rien ne s’est passé comme prévu et depuis plus de deux ans, Moscou est obligé de livrer une vraie guerre, avec des pertes énormes, obligeant à mentir effrontément y compris devant sa propre opinion publique manipulée depuis des années. Poutine sait qu’il n’a pas le choix et qu’il doit gagner cette guerre, quoi qu’il en coûte. Et cela l’oblige à devenir l’obligé de Pékin, Téhéran et Pyongyang pour des années. Mais aussi existentielle pour l’Europe, que ce soit dans les formats de l’UE ou de l’OTAN.
Moscou a très clairement démontré son animosité à l’égard des Européens et ne cesse d’œuvrer pour déstabiliser nos institutions, en utilisant un spectre hybride d’actions polymorphes allant des cyber-attaques à la désinformation permanente et à la déstabilisation de nos démocraties.
Avec deux événements que le Kremlin cherche à instrumentaliser : les élections européennes du 9 juin en soutenant les listes anti-Europe et les Jeux olympiques de Paris cet été.
D’où l’urgence de la réaction de l’Europe qui a pris conscience que son avenir se jouait également en Ukraine et qu’une défaite de celle-ci serait une catastrophe pour tout le
« vieux continent ».
À cela se rajoute l’inquiétude des capitales européennes avec l’échéance des élections américaines de novembre et un risque du retour de Donald Trump à la Maison blanche, ouvrant alors une ère tumultueuse pour les relations transatlantiques.
L’annonce faite par Joe Biden, après des mois de discussions houleuses, de l’aide de 61 milliards $ vers l’Ukraine arrive opportunément et permet d’abord aux Ukrainiens de reprendre espoir mais conforte également les Européens de l’importance à accorder à soutenir Kiev dans la durée.
En effet, il faut être réaliste, la guerre va continuer non seulement dans les mois à venir mais très vraisemblablement encore en 2025.