Chaque mois, Stéphane Sautarel, Sénateur du Cantal, Vice-président de la commission Finances du Sénat, nous livre son analyse. Du « quoi qu’il en coûte » aux 20 milliards d’économies promis par le gouvernement, la question des finances locales n’a jamais parue si centrale et brûlante.
La nouvelle trajectoire budgétaire de la France a été dévoilée par Bercy le 10 avril dernier à l’occasion de sa transmission au Haut conseil des finances publiques, après le dérapage constaté en 2023. Si l’objectif est de ramener le déficit à moins de 3 % à l’horizon 2027, on voit de moins en moins bien comment cela sera possible. Après le « quoi qu’il en coûte », c’est l’affirmation du « coûte que coûte » que semble privilégier le programme de stabilité présenté par la France et soumis au Parlement fin avril. Cette feuille de route budgétaire, bien peu documentée à ce stade, n’a jamais été respectée et l’écart n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui.
Après le dérapage surprise et sévère du déficit 2023 de 4,9 à 5,5 % du PIB, la nouvelle trajectoire présentée au Haut conseil des finances publiques, pose une véritable question de crédibilité. En effet, la trajectoire présentée confirme « l’ancre » du Président de la République qui veut quitter l’Elysée en ayant ramené le déficit à 2,9 % en 2027. Mais comment y croire ?
Rappelons d’abord, que même si cet objectif était tenu, ce qui semble bien aléatoire à ce stade pour les raisons que je vais développer plus loin, la France resterait le dernier pays de la zone euro à ramener son niveau de déficit sous les 3 %. Tous les pays européens ont connu la crise du Covid et la période inflationniste, qui ont nécessité des politiques budgétaires assouplies mais momentanées, des recours à l’endettement exceptionnels mais ponctuels. Seule la France ne parvient pas à revenir à un niveau de dette et de déficit amaigri.
Le déni subsiste pourtant au niveau de Bercy, affirmant comme à l’Elysée qu’il ne s’agit que d’un problème d’insuffisance de recettes et non de niveau trop élevé de dépenses. Ce n’est pas acceptable quand on sait qu’en sept ans les gouvernements successifs ont accru de près de 1000 milliards d’euros la dépense publique.
Pire Bercy fait même valoir que seules les collectivités territoriales auraient vu leurs dépenses déraper de 4 milliards d’euros par rapport aux objectifs fixés, y voyant là une possibilité de contribution. Cette attitude est bien peu respectueuse du dernier rempart de proximité qui garantit encore un niveau de service et d’investissements publics, mais aussi un soutien à l’activité économique et à l’emploi.
La prévision de croissance dans la loi de finances 2024 est elle aussi beaucoup trop optimiste. En deux mois elle a déjà dû être revue pour passer de 1,4 % à 1 %, ce qui constitue sans doute encore une surestimation de l’ordre de 0,2 points. Ainsi, le Gouvernement a aussi adapté sa prévision de déficit pour 2024, passant de 4,4 % à 5,1 %.
Cela montre la faiblesse de l’ambition présentée pour 2024, et qui par voie de conséquence rend presque impossible l’objectif affiché par ailleurs pour 2027 de 2,9 %. Cela constitue aussi un déni de démocratie puisque, sur instruction du Président de la République, le Gouvernement a annoncé renoncer à présenter un PLFR pour 2024.
Cela signifie donc à la fois que l’ambition de réduction de la dépense pour 2024 ne pourra dépasser les 12 milliards autorisés par la LOLF d’ajustements sans passer par le Parlement, et que la transparence du débat démocratique sur le sujet premier qui relève de la compétence du Parlement n’est pas respectée.
Du coup, les mesures techniques sont mobilisées pour tenter d’atteindre au global 20 milliards d’économie sur 2024, après la réduction dès février de 10 milliards de crédits budgétaires. La limitation de l’augmentation des dépenses des collectivités (0,5 % en-dessous de l’inflation, soit 2 %, ce qui représente un effort de l’ordre de 2,5 milliards d’euros) est brandie. Les ministères vont devoir trouver quant à eux 5 milliards supplémentaires, au-delà des 10 déjà ponctionnés, en s’appuyant sur les gels de crédits traditionnels de début d’exercice. Enfin, le différentiel devrait être trouvé via une taxe exceptionnelle sur les producteurs d’énergie dont le rendement n’a pas été à la hauteur des attentes en 2023. C’est là que réside a priori la fameuse « taxation des rentes » annoncée par le Premier ministre. Mais s’arrêtera-t- elle vraiment là ?
Bref, la sincérité du PLF 2024 est plus que jamais questionnée et l’absence de réels efforts structurels de baisse de la dépense publique fait craindre malgré les dénégations le recours un peu pavlovien dont la France est souvent victime, à l’augmentation cachée des prélèvements obligatoires pourtant déjà exorbitants dans notre pays.
Le gros morceau est donc renvoyé à 2025… Le déficit devra alors chuter de 1 %, passant de 5,1 % à 4,1 %, ce qu’aucun spécialiste de finances publiques ne croit vraiment réaliste. Une nouvelle fois Bercy parie davantage sur la croissance que sur les efforts de réduction de dépense. Or, même si l’inflation semble en reflux, la reprise de la consommation et le climat des affaires restent marqués par un environnement incertain, des risques géopolitiques et un déficit commercial qui ne recule pas.
Pourtant même avec ces prévisions de croissance optimistes, la trajectoire nécessitera de gros efforts de réduction des dépenses publiques jusqu’en 2027.
Le gouvernement veut les adosser à des réformes touchant à l’assurance-chômage, à la fonction publique ou à la simplification, ce qui est sans doute utile mais dont les effets risquent de se faire attendre. La variation du déficit structurel est chiffrée à 1,7 % du PIB de 2024 à 2027, soit le minimum requis par les règles européennes. Cela correspond au final aux 50 milliards identifiés par la Cour des comptes que je partage depuis longtemps et que j’ai déjà évoqués ici.
Dans l’attente de la mise en œuvre de cette trajectoire encore peu documentée et qui interroge donc beaucoup quant à sa crédibilité, la France va ce printemps retomber en procédure pour déficit excessif, et n’échappera sans doute pas à la dégradation de sa note par les agences de notation indépendantes. Cela risque encore de peser sur nos finances publiques par un surenchérissement du coût de notre dette, elle aussi astronomique et dont le Gouvernement a perdu toute ambition de baisse (de 110,6 % du PIB en 2023 à 112 % en 2027, avec un pic à 113,1 en 2025, quand l’Allemagne par exemple est revenu aux environs de 60 %).
Bref, notre situation budgétaire et financière nous affaiblit au moment où il conviendrait d’affirmer des positions fortes au niveau européen et international, au moment où les efforts de réarmement et les défis des transitions numériques et climatiques appellent à investir. Notre impuissance politique, qui ne sait ni rétablir l’ordre dans la rue, ni dans les comptes, devient un facteur de déclassement pour le pays après l’avoir été pour chacun des Français.
Le rendez-vous européen de juin prochain risque encore de souligner nos fragilités, faisant craindre que par-delà tous les défis que nous avons à relever, la crise de la démocratie s’invite vraiment dans nos débats : impuissance publique, déliquescence citoyenne et déclassement. Il s’agit d’une véritable crise de civilisation qui arrive à un point culminant et de basculement auquel nous devons répondre d’urgence par une vision d’avenir.