Mesdames, Messieurs les Députés (ées),
Au moment où s’installe une Commission d’enquête
parlementaire sur les manquements de l’Aide Sociale à l’Enfance, je veux vous dire combien nous souhaitons que vos travaux aboutissent à un vrai bilan de la situation de la protection de l’enfance dans notre pays et à des recommandations qui fassent l’objet d’une mise en œuvre par le gouvernement.
Sans revenir sur Les causes pointées depuis plusieurs années dans les différents rapports, missions d’informations, sur l’aggravation de la situation depuis la crise sanitaire du Covid-19, depuis 2023 la protection de l’enfance est à bout de souffle. Comme le Conseil National de protection de l’enfance (CNPE), l’UNIOPSS, Départements de France, le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU et d’autres la Défenseure des Droits constate dans son bilan annuel « la gravité sans précédent de la détérioration de la situation de la protection de l’enfance ».
C’est pourquoi nous serons attentifs à vos travaux et à sa rapporteuse Isabelle SANTIAGO, Députée du Val de Marne, Vice-Présidente de la délégation parlementaire des Droits de l’enfant, auparavant Vice -Présidente durant 11 ans chargée de la Protection de l’Enfance au Conseil Départemental du Val de Marne.
Nous connaissons ses compétences, sa détermination à porter à l’Assemblée Nationale la voix des enfants et de leurs familles et celles des professionnels, en parlant plutôt de familles fragilisées que de parents défaillants !
Je souhaite que vous entendiez les professionnels et pas seulement leur encadrement qui au quotidien agissent pour l’intérêt de ces enfants avec esprit de responsabilité sans démagogie, pour que chacun puisse connaître la situation à laquelle ils sont confrontés.
L’arrivée d’une nouvelle Ministre déléguée, Sarah El Haïry me semble déterminante pour faire avancer le dossier de la protection de l’enfance. Sera- t’elle entendue par les 3 Ministres de tutelle, santé, justice, solidarité et par le Premier Ministre qui a fait abstraction de l’enfance dans son discours de politique générale lors de sa nomination ?
UNE SITUATION AU BORD DE LA RUPTURE
Anne Devreese, présidente du CNPE déclarait récemment « malgré les avancées récentes, la protection des enfants est aujourd’hui menacée et le risque de rupture bien réel sur de nombreux Départements ».
Les constats sont alarmants comme le montre le groupement national des établissements publics (GEPSO), l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (ANMECS) et la Convention nationale des associations de protection de l’enfance (CNAPE) qui dressent un tableau inquiétant de la situation :
– 20 % d’enfants en déscolarisation complète,
-30 à 34 % d’enfants en situation de handicap confrontés au manque de places et à l’attente de prise en charge au sein d’établissements médico sociaux,
– 79,5 % des mesures éducatives judiciarisées,
– les maltraitances institutionnelles qu’il ne faut pas nier même si elles sont très minoritaires.
Cela se traduit par une situation de souffrance des enfants admis à l’Aide Sociale à l’Enfance : difficultés psychiques, troubles du comportement, difficultés à vivre en collectif, violences sexuelles, addictions, violences tournées vers autrui ou vers soi avec une augmentation des idées suicidaires avec passages à l’acte en hausse. Ajoutons les décisions de protection non mises en œuvre par saturation des dispositifs, à l’exemple du centre de l’enfance du Puy de Dôme où sont entassés 61 nouveaux nés pour 36 places, des fermetures d’établissements qui posent les risques de rupture réelle de protection.
Le suivi de la santé de l’enfant à l’ASE prévue par la loi du 7 Février 2022 lors de l’admission est déficient. Pris en charge par l’assurance maladie il doit être complété par un suivi annuel qui reste rare. Notons que si le bilan de santé physique est réalisé pour la santé psychique seuls 32 % d’enfants souffrant de troubles graves sont suivis en pédopsychiatrie avec un délai d’attente d’une consultation pouvant atteindre 12 mois. Quant à la coopération avec la santé scolaire elle est inopérante avec 800 médecins scolaires pour 60 000 établissements.
Ajoutons l’application du décret du 12 Février 2024 sur l’interdiction d’accueil en milieu hôtelier. En l’état il devient inapplicable faute d’avoir soutenu les Départements pour la création de structures nécessaires au 8 000 à 10 000 jeunes séjournant à l’hôtel sans présence éducative, aboutissant à des tentatives de suicides, la prostitution des mineurs, les violences sexuelles, etc…
Que se passe-t-il ?
Pour faire face à cette situation les moyens déployés sont insuffisants avec 30 000 postes de travailleurs sociaux vacants pour seulement 4 300 diplômés chaque année et un manque d’attractivité des métiers du lien, comme le montre le livre blanc du travail social remis à 5 Ministres en Septembre 2023 avec 14 propositions qui à ce jour n’ont vu aucune concrétisation.
Notons aussi la formation initiale inadaptée aux situations complexes rencontrées par ces professionnels dont 75 % observent un manque inquiétant dans la préparation de ces nouveaux agents à la confrontation directe avec des enfants accompagnés.
Quant à la formation continue obligatoire que j’avais proposée lors de l’élaboration de la loi du 5 Mars 2007 sur la protection de l’enfance, elle n’a pas été retenue dans la loi. Je le regrette !
Les conditions de travail durcissent avec l’absence de normes d’encadrement, s’y ajoute des postes vacants. Cette situation ne garantit plus la sécurité ni une réponse adaptée aux besoins fondamentaux de l’enfant comme prévu par la loi du 14 Mars 2016. La conséquence est un recours massif à l’intérim qui outre son inadaptation représente un coût élevé de 7 000 euros mensuels par intérimaire.
Un autre sujet concerne l’attractivité des métiers du social et leur rémunération qui débute à 1 300 euros net pour ceux du secteur associatif habilité, soit légèrement au-dessus du SMIC mais un écart d’environ 400 euros avec ceux de la fonction publique territoriale, d’où une fuite des professionnels vers les Conseils départementaux, alors que le secteur associatif est à l’origine de 80% des mesures éducatives.
Enfin soulignons ces dernières années que l’activité administrative a pris une part importante du temps de travail des professionnels au détriment de l’intervention éducative auprès des jeunes.
Enfin, la situation des mineurs non accompagnés (MNA) accueillis avec soupçon sur leur minorité malgré des documents d’état civil et un recours à l’examen d’âge osseux dénoncé par l’académie de Médecine.
S’y ajoute le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM) désormais obligatoire avec une suppression partielle ou totale de l’aide financière de l’État envers l’ASE pour les Départements qui refusent d’y avoir recours. La Loi asile et immigration du 26 Janvier 2024 a encore fragilisé l’accès des jeunes isolés étrangers des contrats jeunes majeurs en excluant ceux qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Pourtant leur vulnérabilité appelle des solutions pérennes et une protection complète pour ces jeunes fuyant les guerres où la famine.
UN ENJEU IMPORTANT POUR L’AVENIR DE LA NATION
Le Président de la République s’était engagé à faire de la protection de l’enfance une priorité nationale pour la France…. Nous attendons ses engagements.
La Commission d’enquête parlementaire devra s’inscrire dans cet objectif avec à mon sens quelques mesures prioritaires immédiates :
Rendre de nouveau attractif les métiers du secteur social et médico-social en créant une campagne de communication nationale exceptionnelle et une action durable de l’État soutenue par les Régions pour leurs compétences sur la formation et les Départements en lien avec les Établissements scolaires et centres de formation.
– Développer la formation en alternance par l’apprentissage et la création de centres de formations.
– Créer des bourses durant les 3 années d’études comme l’expérimentent les départements du Nord et de la Seine Saint Denis en attribuant 800 euros mensuels en seconde année de formation et 1 000 euros mensuels pour les 3e années, contre une obligation de servir après le diplôme de 3 à 4 années en levant les freins juridiques et en adaptant une mesure législative indispensable pour sécuriser le dispositif.
– Augmenter les rémunérations pour ne permettre aucun salaire brut en dessous de 2 000 euros et harmoniser les salaires des professionnels quel que soient leurs statuts.
– Intégrer l’aide â la recherche d’un logement en particulier dans les zones métropolitaines.
– Porter une amélioration sensible des conditions de travail en mettant en place des normes d’encadrement. Des travaux ont été engagés au niveau de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) avec les partenaires sociaux. Il est nécessaire que ce décret soit promulgué comme prévu dans la stratégie de prévention et de protection de l’enfance de 2020 accompagné d’un financement de l’État qui selon les responsables se chiffre à 1,5 Milliards, pour répondre aux besoins fondamentaux de l’enfance protégée qui s’ajouterait aux 9 Milliards hors dépenses de personnels engagées par les Conseils départementaux.
– Soutenir la prévention de la protection de l’enfance comme le prévoyait la loi du 5 Mars 2007 qui reste d’actualité et diminuer le recours au judiciaire pour favoriser l’intervention précoce permettant des mesures éducatives en lien avec l’autorité parentale. Reconnaissons que dans ce domaine nous sommes en échec 17 ans après la loi voulue par le Ministre de l’enfance Philippe BAS avec 75 % des mesures éducatives judiciarisées. Pour agir, mettre en place une coopération entre des travailleurs sociaux formés et spécialisés sur la prévention et les Communes référents des acteurs locaux que sont les services municipaux accueillant des enfants, les associations locales, sportives et culturelles, l’Education Nationale, la PMI, les médecins libéraux à l’origine seulement de 5 % des signalements alors qu’ils sont des observateurs de premières lignes.
D’autres propositions devront trouver des solutions comme :
– La maltraitance institutionnelle, qui est intolérable,
– La participation des enfants et de leurs parents dans le Projet pour l’enfant prévu dans la loi de 2016 qui détermine les objectifs à mettre en œuvre durant le séjour du jeune à l’Aide Sociale à l’enfance qui parfois relève d’un simple document administratif sans concertation pluridisciplinaire et pluri-professionnelle et encore moins avec les parents et l’enfant.
– Les conditions pour mettre fin au séjour hôtelier sans présence éducative et l’insuffisance de la proposition de recourir à des établissements agréés Jeunesse et sports !
– La santé de l’enfant de l’ASE doit être une priorité par convention avec les ARS.
Aujourd’hui il faut en finir avec l’appellation « Aide Sociale à l’enfance » qui ne ressemble pas à ses missions actuelles. J’avais proposé lors de la loi de 2007 celle de SERVICE DE PRÉVENTION ET DE PROTECTION de L’ENFANCE (SPPE) refusée pour des raisons de modifications de l’ensemble des codes !
Mesdames et Messieurs les Députés (ées)
Le chantier que vous ouvrez est immense tant les retards se sont accumulés ces dernières années malgré 3 lois en 17 ans. Cela n’est pas satisfaisant non seulement pour les 340 000 enfants suivis mais aussi pour les 12 millions d’enfants vivant en France.
Nous comptons sur vous comme vous pouvez compter sur notre détermination à exiger une protection de l’enfance qui doit devenir une priorité nationale.
Non seulement parce qu’il s’agit de l’avenir de nos enfants, mais surtout parce qu’ils sont là aujourd’hui !
PS : je veux dédier ce billet d’humeur à Olivier de Brabois qui vient de nous quitter brutalement et qui m’avait suggéré cet article. Il était très attaché à l’action sociale départementale.