Ancien ministre du logement, président du groupe Emerige depuis 2022, Benoist Apparu est l’un des grands specialistes du logement en France. Entre crise de l’offre et de la demande, les perspectives restent floues pour le secteur. Benoist Apparu plaide pour une véritable stratégie du logement à l’échelle nationale. Entretien exclusif à quelques semaines des Assises nationales du logement.
Monsieur le ministre, vous intervenez lors assises nationales du logement et de la Ville en juin prochain dans un contexte tendu pour le secteur. Quelles sont les principales clés de compréhension de ce contexte ?
S’agissant du secteur neuf, on ne produit pas les logements dont nous avons besoin, ceci depuis vingt-cinq ans. Nous vivons une crise de l’offre singulière car, non seulement on ne produit pas ce qu’il faut, mais surtout pas là où il le faut ! Aujourd’hui, on clame que la France a besoin de plus ou moins 500 000 logements neufs par an, mais si on ne précise pas où sont les besoins, ces chiffres n’ont aucun sens !
Parallèlement, à cela, nous avons connu ces dernières années, des conditions de crédit favorables : durée, apport personnel et taux d’endettement personnel, le tout, dans un contexte de taux bas. Ces conditions ont solvabilisé les acquéreurs et de fait plus ou moins compensé la hausse des prix. Or, la hausse des taux, la fin de la loi Pinel ou du prêt à taux zéro ont signé la fin de cette période faste et le début d’une crise structurelle de production.
En fermant les deux robinets des conditions de crédit et des taux, on a cassé la machine. Côté production, les promoteurs, devant la hausse des taux d’intérêt et le contexte économique global ont vu leurs fonds propres s’assécher et leurs objectifs de production s’effondrer. Ils sont ainsi entrés dans une crise de production qui produira des dégâts pendant au moins cinq ans.
Quelle place les territoires peuvent-ils jouer dans le redressement de l’offre de logement ?
Les besoins d’affiner les objectifs de production sont une évidence. Les objectifs locaux doivent structurer l’objectif national, mais pas l’inverse ! Mais l’essentiel reste la matière première de notre secteur. Ce n’est ni le bois, ni le béton mais le foncier. Cette matière première est de plus rare et en tension. Le zéro artificialisation net (ZAN) va renforcer encore cette tendance. C’est la mère des batailles. L’intervention publique doit répondre à une vision stratégique de long terme. En ce sens, je crois qu’il faut multiplier les interventions des Établissements Publics Fonciers (EPF) au niveau local afin de permettre une intervention publique beaucoup plus massive.
Le foncier est à la croisée d’une multitude d’enjeux, à la fois environnementaux, sanitaires, politiques, démographiques. Face à ces enjeux, il est indispensable de nous doter d’une stratégie des sols. Aussi, je crois que les EPF doivent être massivement pourvus sur le plan financier pour avoir la maîtrise des sols, puis construire. Il faut bien comprendre que cet argent injecté dans les EPF correspond à de l’investissement et pas à de la subvention.
La Fondation pour l’innovation politique, souligne que la France investit plus que ses voisins dans le logement social. Pourtant, il y a quatre fois plus de demandes que d’offres, et un très faible taux de rotation. Comment expliquez-vous cette situation ?
Sur les deux millions de demandes en logement social, beaucoup de ces demandes concernent des rotations et pas des nouvelles demandes. Mais surtout attention aux chiffres nationaux ! Une fois encore, il faut regarder plus finement les zones. En effet, plus une zone est tendue, plus la rotation dans le logement social est faible et plus il est difficile de répondre à la demande. C’ets évidemment le cas extrême de Paris. Dans une zone beaucoup moins tendue, il peut y avoir de la demande comptabilisée dans les 2 millions, mais il est plus facile d’y répondre.
Là encore, il faut un regard fin, à l’échelon local, pour voir là où il faut produire d’avantage, là où il faut muscler la rotation, là où il faut développer des outils d’accès à la propriété, ou même exclure les personnes qui n’ont pas à être en logement social. Il faut accepter que la politique de logement soit une politique de long terme, ce qui est difficilement compatible avec le temps des mandats. Il faut trouver le point d’équilibre entre des urgences à court terme et une stratégie à long terme.
Quelle pourrait, ou devrait être, selon vous la stratégie de l’État pour le logement ?
Je me garderai bien de donner des leçons. J’ai été aux affaires comme on dit et je n’ai pas réglé ces problèmes. Donc soyons modeste. Je constate qu’en matière de logement, comme dans beaucoup de domaines, les politiques publiques françaises sont des politiques du quotidien et non des politiques de long terme.
Ce qui est certain, c’est que nous avons un besoin massif de production. Dans les années 70, la France a basculé d’une politique de l’offre à une politique de la demande. Aujourd’hui il faut inverser la vapeur. Nous sommes encore trop engagés dans des politiques de soutien à la demande. Nous devons par ailleurs sortir d’une politique qui subventionne vers une politique d’investissement.
Une politique d’investissement qui rapporterait à l’État, au lieu de subventionner à fond perdu. Si demain, l’État ou les collectivités montaient des foncières, en face d’un euro investi, on aurait un euro d’actif. Cela changerait toute la philosophie et la stratégie du logement en France.