Politologue, professeur à Sciences-Po, Pascal Perrineau a publié de nombreux ouvrages. Il vient de remporter le Prix du livre politique 2024 pour son dernier livre « Le goût de la politique : un observateur passionné de la Ve République » paru chez Odile Jacob. Il nous livre en exclusivité sa vision des enjeux politiques des prochaines élections européennes.
Les élections européennes approchent et l’ardeur civique semble bien faible alors que l’Union européenne est de plus en plus au cœur de l’actualité économique et sociale ainsi que sur le terrain de l’aide à l’Ukraine agressée par la Russie de Vladimir Poutine. Dans la vague 3 de l’enquête électorale Européennes 2024, réalisée par l’Institut IPSOS pour Sciences Po-CEVIPOF en mars dernier, seuls 44 % des électeurs interrogés affirment leur intention d’aller voter. Ils ne sont que 30 % chez les 18-24 ans, 29 % chez les 25-34 ans et 35 % chez les ouvriers. La démocratie européenne comme la démocratie nationale est touchée par une profonde apathie civique. Quant aux citoyens qui se prononcent, presque 50 % s’apprêtent à voter pour des listes protestataires de droite et de gauche : RN (31 %), Reconquête (5 %), LFI (7 %) plus diverses petites listes (Patriotes, Chasseurs, souverainistes, LO…) 53 % des jeunes, 75 % des ouvriers se retrouvent dans ces intentions de vote protestataire.
À l’indifférence politique s’ajoute, particulièrement dans certains milieux sociaux, une volonté politique d’en découdre et de « renverser la table ». La « politisation négative » où se lisent davantage des rejets que des propositions, envahit peu à peu l’espace politique. Seul, pour l’instant, l’espace local reste relativement à l’abri. Les municipalités, les départements et les régions voient les anciennes forces politiques (LR, UDI, Modem, PS, PC) résister comme si la question politique nationale et la question politique locale faisaient l’objet d’appréciations différentes de la part des électeurs.
La fidélité locale à un ancien monde ainsi qu’à ses permanencess’oppose à une volatilité beaucoup plus forte au plan national et qui nourrit des forces nouvelles comme Renaissance ou des forces protestataires comme le Rassemblement national. Ce divorce entre l’échelle nationale et l’échelle locale dessine deux France relativement opposées et qui ont du mal à communiquer.
On le voit au plan national dans les relations difficiles qu’entretient l’assemblée du local qu’est le Sénat et l’assemblée du national qu’est l’Assemblée nationale. Des présidents de régions ou de départements, des maires profondément enracinés dans leurs territoires ont du mal à être reconnus comme partenaires à part entière d’un pouvoir national qui peut parfois donner l’impression d’être quelque peu « hors sol ».
La société française, déjà traversée de multiples fractures démographiques, sociales, territoriales et culturelles, doit être attentive à ne pas y ajouter une fracture politique entre le pouvoir national et les pouvoirs locaux. Pour éviter cela, le projet décentralisateur doit être repris. Pour un politique qui est en déficit de projet à moyen et long terme, il y a là un vrai horizon qui pourrait remobiliser les citoyens et faire renaître une France plus homogène, plus cohérente et plus solidaire.
Si l’État doit rester le principal réceptacle des valeurs de la Nation et de la République, les collectivités territoriales doivent être les acteurs essentiels de la vitalité des territoires, de leur développement et du lien social. La réforme de l’État et la décentralisation des moyens et des objectifs seront les deux piliers d’un avenir qui redonnera le goût de la politique aux Français.