Président du Conseil départemental de la Manche depuis 2021, Jean Morin se dit lui-même « passionné du Département ». Échelon du contact, de la proximité, le Département permet en effet de rester « à portée de dossiers » et de porter des projets concrets et ambitieux. Attractivité, mobilités, transition énergétique, Jean Morin présente au Journal des Départements les chantiers d’un territoire qui a évolué en profondeur et veut regarder loin.
Monsieur le Président, enfant de la Manche, élu local depuis longtemps, vous avez également eu une carrière professionnelle intense. Pouvez-vous nous décrire les grandes lignes de votre parcours et de vos engagements ?
J’ai exercé une profession libérale puisque j’ai été agent général d’assurances pendant de nombreuses années. Notre cabinet a connu une belle croissance jusqu’à entrer dans le Top 30 du groupe au niveau national. Parallèlement, après une expérience de conseiller municipal, l’envie de m’investir à nouveau pour la collectivité m’est revenue au travers d’échanges nourris avec un conseiller général, alors président de la commission routes et voirie. Nous sommes à la fin des années 2000. Cet élu m’a transmis la passion pour le Département qui est une bonne échelle pour agir concrètement. La Manche est une presqu’île, et c’est à mes yeux la dimension idéale pour porter de beaux dossiers sans s’éloigner de ses concitoyens. Dans mon métier comme dans mes mandats, j’ai toujours recherché la proximité et le contact local.
En 2011, je suis élu conseiller départemental et en 2015, le président Philippe Bas me confie la vice-présidence en charge des infrastructures. D’emblée, je me suis senti très porté par ce sujet, d’autant plus qu’il s’agissait de la délégation du conseiller général qui m’avait mis le pied à l’étrier. Les infrastructures sont éminemment cruciales pour la Manche qui compte plus de 8000 kilomètres de routes départementales et 19 ports départementaux. En 2017, Philippe Bas cède sa place à Marc Lefèvre. Je deviens 1er vice-président jusqu’en 2021 date à laquelle je suis élu président du Conseil départemental.
Être élu départemental, c’est pouvoir répondre quand on vous pose une question, c’est agir concrètement dans le quotidien des habitants à l’exemple du plan vélo que nous mettons en œuvre et qui doit permettre d’étendre le réseau cyclable autour de la presqu’île et via deux nouvelles transversales est-ouest sur le modèle des sentiers GR. Le concret, c’est aussi élargir les politiques contractuelles du Département avec les autres collectivités afin de soutenir leurs projets d’aménagement au profit des habitants et leur ouvrir un champ de projection et d’investissement.
2024 est une année particulière pour la Manche, avec la commémoration des 80 ans du Débarquement. Deux événements de portée internationale auront notamment lieu les 5 et 7 juin à Saint-Lô et Cherbourg, pouvez-vous nous en dire plus ? Que représentent ces anniversaires pour vous et pour les habitants de la Manche ?
Pour tous les habitants de la Manche, le Débarquement et ses commémorations sont liés à des souvenirs d’enfance, pour ceux qui l’ont vécu, comme pour les générations suivantes. Chaque année, les Manchois sont heureux de revoir les vétérans américains, même si ce sont désormais leurs enfants et petits-enfants que nous accueillons principalement, quand ils viennent se souvenir et se recueillir.
La Manche, vous le savez, a occupé une place centrale, à l’exemple d’Utah Beach qui a joué un rôle fondamental dans la jonction des fronts, ou de Cherbourg qui est devenu en quelques semaines l’un des plus importants ports au monde et a alimenté le front, permettant notamment le succès de la percée Patton. Comme le soulignait Simone Veil, plus encore que le devoir de mémoire, il nous faut travailler le devoir de transmission aux jeunes générations. Dans cet esprit, la Manche organise tout au long de cette année anniversaire des événements commémoratifs et de transmission, à commencer par un formidable spectacle son et lumière sur l’Hôtel du Département. Les spectateurs qui ne l’ont pas vu en janvier pourront le retrouver pour quatre séances les 17 et 18 mai prochain. Ce 80e anniversaire, je le vois avant tout comme celui de la Paix et de l’Espoir dans un monde particulièrement troublé.
Autre événement majeur en 2024, les Jeux Olympiques bien entendu, avec le passage du relais de la flamme dans votre département.
Accueillir la flamme olympique est évidemment un honneur, mais cela représente également un coût important. J’étais prêt à le faire porter par la collectivité, mais à deux conditions : avoir un partenaire emblématique et terminer le relais devant le Mont Saint-Michel. Devant l’enthousiasme du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques à cette idée, je suis allé en parler à l’EPIC du Mont-Saint-Michel qui a immédiate-ment accepté d’être partenaire et d’ac-cueillir l’arrivée du relais à l’issue d’un parcours Cherbourg-en-Cotentin, Saint-Vaast-la-Hougue, Sainte-Mère-Eglise, Saint-Lô, Villedieu-les-Poêles-Rouffigny, Granville. Imaginez cette flamme arrivant face à l’ange du Mont-Saint-Michel !
C’est un symbole d’une puissance incomparable et un formidable vecteur d’attractivité pour la Manche.
La Manche est un département où il fait bon vivre, près de 90 % des Manchois interrogés le disent ! Qu’est-ce qui fait, selon vous, le secret de ce bien-vivre ? Et quelle place donnez-vous à l’attractivité dans votre politique départementale ?
Tout d’abord, la Manche dispose de paysages d’une variété extraordinaire. Ici, on n’est jamais à plus de trente kilomètres de la mer. Historiquement, les Manchois sont un peuple de marins. Ils sont attachés à ce pan essentiel de leur culture. C’est une des raisons, en plus de la qualité de la programmation, du succès du festival des Traversées Tatihou, centré autour des musiques du large, dont nous fêtons les 30 ans cet été.
La Manche, c’est un littoral, mais pas uniquement. La force de la Manche réside dans la diversité de ses paysages, de ses espaces naturels préservés – landes, dunes, marais –, de ses ports très connus et d’autres beaucoup moins. La Manche, c’est également une grande richesse patrimoniale. Notre département compte près de 900 églises et 2000 châteaux et manoirs, dont 500 sont classés ou inscrits au titre des Monuments Historiques.
Ces raisons, entre autres, expliquent qu’il existe une vraie fierté d’être Manchois et une volonté de garder une identité propre et singulière. On attribue à Tocqueville, qui fut président du Conseil général de la Manche, cette citation qualifiant les Manchois de « violemment modérés », ce qui se traduit par un mélange de discrétion et de fierté. Un caractère presqu’insulaire unique !
Sujet plus préoccupant : la situation financière des Départements. Lors du vote du budget du Conseil départemental, vous avez pointé du doigt une situation inédite de recettes non compensées. Comment voyez-vous l’avenir budgétaire des Départements et quelles sont vos priorités pour faire face, alors même que les dépenses de solidarités n’ont jamais été si importantes ?
Comme la plupart des départements, la Manche subit la double peine de charges exogènes nouvelles et de baisses de recettes, créant un effet ciseaux aux conséquences lourdes. Avec des dépenses en hausse, notamment sur le volet social, et des recettes en baisse, l’équation devient très compliquée. Grâce à notre bonne gestion budgétaire, notre Conseil départemental tient le cap mais il nous manquait cette année, au moment de la préparation du budget, 25 millions d’euros. 25 millions d’euros qui correspondent tout simplement au poids des nouvelles charges que l’État fait peser sur notre collectivité. Tout cela crée une situation de plus en plus préoccupante et oblige à des arbitrages budgétaires qui deviennent de véritables casse-tête. Concernant la baisse des DMTO, nous avons essayé de l’anticiper au maximum afin qu’il n’y ait pas trop de mauvaises surprises. Chaque mois, cependant, on constate une baisse de 20 % de recettes de DMTO par rapport à l’année précédente…
La santé est le sujet de préoccupation numéro 1 des Français. Quel est l’état des lieux dans la Manche et comment s’organise le Département pour répondre aux enjeux de la démographie médicale, même si la santé n’est pas, rappelons-le, une compétence départementale ?
La Manche manque de médecins, même si notre territoire est moins touché que d’autres grâce à l’attractivité de notre littoral. Certains pôles et maisons de santé affichent complets et comptent de nombreuses spécialités, mais nous manquons toujours cruellement de médecins généralistes et spécialistes.Il nous manque 85 médecins sur le département et nous constatons de plus en plus l’impact de la vague de départs en retraite, sans que ces médecins soient forcément remplacés. Cette question des départs en retraite va se poser de manière de plus en plus aiguë. Face à cela, le département propose divers dispositifs dont des politiques contractuelles pour la construction et la rénovation de maisons et de pôles de santé, ainsi que du soutien aux remplacements et aux médecins stagiaires.
En guise d’ouverture comment voyez-vous la Manche dans les années à venir et quels seront ses grands enjeux ?
En une trentaine d’années, la Manche a considérablement évolué. Les défis qui nous attendent désormais vont nécessiter beaucoup d’anticipation. La question de la santé que nous venons d’évoquer soulève celle de la question de la sécurité globale et de la sécurité sanitaire auxquelles nos concitoyens sont, à juste titre, très attachés.
Il y a enfin le sujet essentiel du vieillissement de la population. Nous faisons face à un enjeu de taille : + 100 % de plus de 85 ans en 2030. C’est demain !
La préservation de notre environnement est également un sujet incontournable afin de vivre sereinement et profiter d’une agriculture raisonnée. Dans la Manche, nous avons la volonté clairement affichée de faire du bon, du bio et du local, à l’instar de ce que nous proposons aux collégiens du département dans les cantines.
Favoriser l’accueil des nouveaux habitants qui commencent à fuir les climats trop chauds et secs du sud, ou des zones urbaines trop denses, est un des axes sur lesquels nous nous penchons. C’est aussi en accueillant de nouvelles populations que la Manche va changer. Je vois ces évolutions comme une opportunité. Dans ma vie, j’ai toujours considéré qu’il fallait s’en saisir sans attendre. C’est ainsi que je crois et soutiens de magnifiques projets comme celui de la reconversion de la tourbière de Baupte en réserve naturelle.
Le Parc naturel régional du marais du Cotentin et du Bessin, dans lequel est située la tourbière, capte déjà près de 25 % du CO2 produit en France, et cette reconversion pourrait faire monter ce chiffre jusqu’à 40 ou 45 % ! De même, la Manche qui comptera bientôt l’EPR de Flamanville, les parcs éoliens marins Manche 1 et Manche 2, ainsi que de potentielles hydroliennes au Raz Blanchard, pourrait produire, demain, jusqu’à 10 % de l’énergie française, de manière totalement décarbonée. Une immense opportunité pour notre territoire à condition qu’on en récolte les fruits.