MAL ÊTRE DES JEUNES… DES IDÉES SUICIDAIRES EN HAUSSE.
Depuis 30 ans le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, après les accidents de la route et la 5e cause chez les moins de 13 ans.
Dans son dernier baromètre du 5 Février 2024, Santé Publique France indique que les jeunes sont plus touchés par les idées suicidaires. L’enquête menée auprès des jeunes de 17 ans montre une forte hausse des pensées suicidaires au cours des 12 der-niers mois, soit 18 % des jeunes en 2022 alors qu’ils étaient 11,4 % en 2017. Par ailleurs, Santé Publique France observe une augmentation de 40 % des admissions aux urgences pour tentative de suicide par rapport aux précédentes années, particulièrement des personnes du sexe féminin. Il est toutefois important de préciser que le taux de suicides suivi d’un décès reste plus important chez les garçons.
Marie-Rose MORO, Professeure de Pédopsychiatrie indique que pour les filles de plus de 15 ans, les gestes suicidaires s’observent au travers de méthodes dites « douces » engageant moins le pronostic vital, c’est-à-dire par la prise médicamenteuse. Les filles vont avoir tendance à exprimer leur mal être plus aisément que les garçons. En ce sens, elles vont aller consulter, vont plus facilement reconnaître qu’elles vont mal et ainsi utiliser des stratégies d’appel au secours.
Une tentative de suicide est donc dans ce cas une forme d’expression plus qu’une fin en soi, là où les garçons plus renfermés et impulsifs vont aller vers des solutions plus radicales comme la défenestration où la pendaison.
Cela fait un moment que l’état mental des plus jeunes est alarmant. Cela a été amplifié avec la crise sanitaire du fait des restrictions et par la médiatisation de certains suicides. Il y a plusieurs signes avant-coureurs qui ne sont pas d’ailleurs spécifiques à la période de pandémie de la COVID 19 : un changement brutal de comportement, un adolescent doux et tranquille qui devient irritable où violent, un enfant qui fait beaucoup de sport et arrête brutalement.
APRÈS LA PANDÉMIE…ÇA CONTINUE !
Les pensées suicidaires et tentatives de suicide étaient en baisse avant la pandémie et constituaient un changement important puisqu’elles étaient inférieures ou comparables aux autres tranches d’âge de la population dans le baromètre Santé qui a précédé la pandémie.
La crise sanitaire selon la Pr Marie-Rose MORO a engendré des embouteillages chez les soignants.
En effet, plus le besoin a augmenté, plus l’offre a diminuée créant un sentiment d’isolement d’autant plus important.
Si l’école joue habituellement un rôle décisif dans l’affirmation de soi, les confinements successifs n’ont donc pas aidé même chez les moins fragiles. Ainsi parmi les phrases entendues souvent on retrouve : je ne vaux rien, vous ne m’avez pas écouté. « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point les discours de désespérance et les messages fatalistes ont des conséquences à un âge où on se construit » rapporte un psychiatre du CHU de Lille au quotidien le Monde du 26 Février 2024.
L’insécurité ambiante est identique à celle ressentie par les adultes à ceci près que le cas des adolescents se présente à un moment de leur vie où ils entrent dans le monde, deviennent actifs et cela peut entraîner des conséquences à moyen terme. L’environnement durant le confinement les inquiète. Pour eux, cela veut dire que le monde est tellement instable qu’une pandémie peut modifier leur vie brutalement.
En effet avoir des relations amicales, amoureuses, sexuelles est très compliqué. Le monde se restreint, se referme avec en plus l’idée qu’il faut s’éloigner des autres, mettre des limites alors qu’à cet âge se rapprocher, se toucher, s’embrasser est important.
Cette incertitude, cette violence vient donner un coup de massue à une génération qui a connu les effets du terrorisme, qui a des préoccupations écologiques bien légitimes face au dérèglement climatique. Ils assistent à une grande précarité du Monde.
La pandémie et surtout les confinements vont à l’encontre du mouvement nécessaire. Confiner on régresse, on retourne dans sa maison, dans sa chambre à vivre avec les parents plus contrôlant car souvent inquiets.
Fort heureusement une grande majorité d’entre eux vont trouver de l’aide seuls où avec les parents, leurs professeurs où des adultes bienveillants et passeront â autre chose.
Mais il y a ceux qui sont très fragilisés et n’ont pas pu être soignés. Ils auront besoin d’une aide à moyen terme pour se reconstruire, gérer les effets de l’incertitude, de cette solitude.
Autre enseignement sur les personnes vulnérables sur le plan socio-économique, l’enquête montrent que les jeunes filles sont particulièrement vulnérables entre 15 et 19 ans, mais celles des 25 % des familles les plus modestes sont 8 fois plus vulnérables que celles des 25 % des familles les plus aisées.
Enfin, les jeunes ayant effectué une tentative de suicide dans les mois qui ont suivi la phase aiguë de la pandémie déclaraient fréquemment avoir été victimes d’un harcèlement remontant parfois à de nombreuses années.
Sur le terrain, selon le Monde, le constat est largement partagé. Si le choc de la Covid 19 et ses confinements s’éloigne, la demande de soins ne faiblit pas. Au contraire, les services sont saturés en pédopsychiatrie et psychiatrie, les délais s’allongent (jusqu’à 6 mois après une tentative de suicide) alors qu’un contact avec un médecin dans le mois qui suit est généralement préconisé, les lits sont sanctuarisés aux urgences pédiatriques pour accueillir les tentatives de suicide car les lits sont occupés par des petits patients suicidaires en pédiatrie. Ni l’hôpital, ni les médecins traitants ne voient baisser la vague.
Au CHU de Nantes se sont 7 à 8 enfants par jour qui arrivent en pédiatrie pour des idées suicidaires, quand pour y répondre l’équipe de pédopsychiatrie intervenant dans le service est passée de 6 à 1 médecin en quelques mois.
La plateforme d’appel, d’écoute, d’orientation et d’intervention au 3614 a dépassé les 500 000 appels reçus dont « beaucoup de parents démunis, beaucoup de jeunes, des adolescents, parfois des enfants » rapporte Charles Édouard Notre-Dame qui assure la coordination adjointe des 15 centres d’appels qui recevaient 600 à 800 ap-pels quotidiens. « On est aujourd’hui plutôt à 1000 appels par jour ».
REPÉRER, ÉVALUER ET ORIENTER LA PRISE EN CHARGE.
Pour une appréciation plus complète du risque suicidaire, la Haute Autorité de Santé (HAS) préconise qu’un entretien avec l’enfant où l’adolescent dans un contexte prévu soit réalisé, dans un lieu adéquat, un climat d’empathie de non jugement et de bienveillance, dans le respect de la confidentialité.
Celui-ci sera complété par le recueil d’informations auprès des titulaires de la responsabilité parentale ainsi que d’autres personnes, dans le respect du secret médical (infirmier et où médecin scolaire, médecin traitant, pédiatre) tout en prenant en compte l’environnement de l’enfant et de l’adolescent en particulier ses interactions avec sa famille et ses pairs.
Ces échanges permettront de recueillir des éléments sur d’éventuels problèmes liés au harcèlement sur les réseaux sociaux.
D’autres entretiens pourront être différés de façon inversement proportionnelle au niveau de l’urgence et de la vulnérabilité́ estimée.
Enfin, tout enfant où adolescent ayant fait une tentative de suicide récente doit être orienté vers un service d’urgence quel que soit le niveau d’urgence suicidaire actuel.
S’agissant de l’enfant où l’adolescent qui présente des idées suicidaires mais n’a pas fait de tentative de suicide récente, la conduite à tenir est fonction de l’évaluation de l’urgence suicidaire pour orienter vers une prise en charge ambulatoire telle qu’un centre médico psychologique (CMP) ou un centre médico-psycho pédagogique (CMPP), un psychiatre libéral ou selon le territoire vers une Maison des Adolescents qui sont des lieux ressources.
Ces lieux spécifiques sont dédiés aux adolescents et mettent à leurs services l’ensemble des disciplines nécessaires à leur bien-être et à leur santé.
J’attends de ce point de vue la concrétisation de l’annonce du Premier Ministre dans son discours de politique générale à l’Assemblée Nationale, d’une Maison des Adolescents dans chaque département, voire plusieurs pour une meilleure accessibilité.
Quant au dispositif « mon soutien psy » qui permet d’accéder à 8 séances chez un psychologue, remboursées par l’Assurance Maladie et les complémentaires santé sur orientation du médecin, qui est critiqué pour son nombre limité de consultation et tarif insuffisant, il a abouti à ce que seulement 7 % des 30 000 psychologues y participent.
L’autre dispositif connu est celui de VIGILANS lancé en 2005 qui compte 32 centres et intervient auprès des patients ayant effectué une tentative de suicide. Il a pour objectif de réduire le risque de réitération suicidaire sur une période de 6 mois.
Pourtant ne nions pas la réalité, lorsque les jeunes sont désespérés et qu’ils sont mis sur une liste d’attente de 6 mois leurs idées noires auront évoluées entre temps et ils se retrouveront dans une souffrance encore plus structurée. Il nous faut des lieux dédiés à leur accompagnement où l’on expérimente des manières de faire qui leur correspondent.
En conclusion, je l’emprunterai encore à Marie-Rose MORO, avec qui j’ai partagé les plus belles causes pour nos adolescents, qui déclarait à France Culture en Février 2024 « c’est toute cette période de 14-15 ans jusqu’à 21 ans qui est particulièrement délicate. Il faut se construire, trouver les valeurs qui nous portent et nous tiennent en vie, qui nous donnent envie d’agir sur le Monde et construire son propre destin ».