Dans son livre poignant, « Les oubliés de l’enfance, un demi-siècle d’omerta », sous le pseudonyme de Marcia Blonzel, Martine Gazel brise le silence sur son parcours tumultueux à l’Aide Sociale à l’Enfance.
À travers son récit, elle offre un regard saisissant sur les défis et les injustices rencontrés par les enfants placés, tout en lançant un appel à l’action pour une réforme urgente du système de protection de l’enfance.
Martine, parlez- nous de votre parcours.
Après une enfance difficile, puis violente avec mes parents, mon parcours à l’ASE, se caractérise par un placement difficile, douloureux, avec une séparation de fratrie, un abandon total de ma mère et de ma famille, une première famille d’accueil maltraitante, puis des lieux d’accueil multiples suite à un changement brutal de famille, d’autres familles, foyer, internat, études de base non choisies, parcours du combattant pour poursuivre des études universitaires, début de vie d’adulte chaotique, etc, etc….)
Ma plus grande difficulté fut la solitude et le manque de considération par ce qu’on appelait la DDASS à l’époque. Pleure si tu veux, mais fiche nous la paix.
Je me suis révoltée, j’ai fugué, eu envie de mourir, puis j’ai cessé de m’épuiser contre un système « totalement sourd » et « méprisant », pour me reconstruire et construire mon avenir. Je l’ai décidé, je l’ai fait.
Je veux suivre des études de droit, pour être avocate ou magistrate. J’y arrive malgré les difficultés institutionnelles, académiques et financières. Je décroche non sans mal, une bourse, et prends plusieurs boulots salariés pour financer. Je m’accroche, je suis presque heureuse, car je fais ce que j’ai choisi. Je sors diplômée, spécialisée en droit social, 8 ans après ce foutu CAP.
Puis je construis ma vie, ai des enfants, et réussit une belle carrière professionnelle.
La réussite ne dépend donc pas d’où on vient, mais de là où on veut aller.
En retraite depuis quelques années, je me consacre au bénévolat, je suis MENTOR au profit des jeunes de l’ASE.
Martine, pourquoi ce livre, en quoi est-il important pour vous ?
Ce livre « Les oubliés de l’enfance, un demi-siècle d’omerta » est écrit sous le pseudo de Marcia Blonzel pour des raisons de protection (tous les noms, dans le livre, ont été modifiés).
J‘ai écrit ce livre « Témoignage d’un parcours à l’ASE » :
*pour finaliser ma résilience, face à ce passé stigmatisant « d’enfant pas comme les autres » qui vous colle à la peau, longtemps ;
*pour témoigner « du parcours du combattant » des enfants de l’Aide Sociale à l’Enfance, et de la maltraitance institutionnelle qu’ils subissent, aujourd’hui encore ;
*pour informer le grand public qui ne connaît pas ces enfants, ni leur sort, ni leurs difficultés. Ce sont même plus des difficultés, ce sont souvent des « galères ». Ils sont placés, déplacés, replacés comme « des colis » au gré des places disponibles et des nécessités institutionnelles. Ils perdent confiance en eux et dans les adultes, ils sont dévalorisés ;
*pour que la protection de l’enfance d’aujourd’hui, ne reconduise pas les pratiques et comportements d’hier.
Et pourtant !! ;
* pour que l’ASE cesse de les oublier derrière un numéro de dossier.
Un enfant n’est pas un dossier administratif et judiciaire. Ce n’est pas une « non personne » ;
*pour favoriser une prise de conscience collective sur l’immense solitude et la grande souffrance des enfants placés, même si cela ne fait pas de bruit ;
*parce qu’il faut changer le regard porté sur ces enfants et jeunes. Ce ne sont pas des « déchets ». Ils ont des talents et du potentiel, et doivent avoir les mêmes chances que les autres.
Quel est votre sentiment sur l’Aide sociale à l’enfance (ASE) aujourd’hui ?
*Mon propos, n’est pas pour fustiger l’ASE mais de montrer qu’elle doit se réformer, que ses pratiques professionnelles doivent changer, évoluer, s’adapter, afin d’accueillir les enfants et les jeunes dans de meilleures conditions, et surtout mieux les traiter, parce que, rien n’a changé au regard des maltraitances parfois physiques, souvent psychologiques, et surtout institutionnelles, dans de nombreux lieux d’accueil.
Rien n’a bougé depuis des décennies, malgré tous les rapports qui ont pu être établis. C’est pourquoi je parle d’omerta.
*Ce ne sont pas les travailleurs sociaux qui, qui sont en cause, dans la dégradation de la protection de l’enfance, c’est notre État qui ne réforme pas celle-ci, ne donne pas les moyens d’exercer politique adaptée, au regard de ses exigences actuelles, et à la hauteur des obligations législatives, et règlementaires, qu’il a pourtant mises en œuvre, contraignant ainsi à des « priorisations » de prises en charge, et avec d’énormes disparités territoriales, notamment concernant les jeunes majeurs. On en arrive à avoir autant de protections de l’enfance que de départements.
Quelles sont vos suggestions pour un meilleur système :
Dans l’immédiat,
*Je prône le développement du PEAD (Placement éducatif à domicile), AED (assistance éducative à domicile) , AEMO (assistance éducative en milieu ouvert), sauf circonstances où le maintien à domicile n’est pas possible. Je pense, quand cela est possible, qu’il vaut mieux aider une famille en difficultés, l’aider à assumer sa parentalité, plutôt que de retirer l’enfant, avec toutes les conséquences dramatiques que cela implique pour l’enfant et les parents.
Cela libérerait d’ailleurs des places d’accueil (l’IGAS estime qu’il y a 50 % de placements abusifs) et réduirait les coûts.
*que le placement en structures ASE demeure l’exception, et que le retour en famille soit favorisé chaque fois que c’est possible.
* La recherche du tiers de confiance devrait aussi, être développée.
*des travailleurs sociaux et des jeunes mieux informés de la possibilité de parrainage et de mentorat prévue par l’article 9 de la Loi Taquet. Cela éviterait bien des drames, et permettrait des sorties plus sereines et plus constructives de l’ASE, pour les jeunes majeurs.
Ces outils constituent « une seconde chance », une « issue de secours » pour les jeunes majeurs de l’ASE, dans le contexte actuel où seulement 26 % d’entre eux bénéficient d’un Contrat jeune Majeur (CJM) jusqu’à 21 ans.
*que les outils Parrainage et Mentorat, soit inscrits dans tous les programmes de formation des organismes de formation, IRTS et écoles de travail social, IUT Carrières Sociales, CFA,…..afin qu’une fois en poste les TS puissent le proposer aux jeunes relevant de l’ASE. de travail social, IUT Carrières Sociales, CFA,…..afin qu’une fois en poste les TS puissent le proposer aux jeunes relevant de l’ASE.
*Mise en place, au sein de chaque département, et de chaque structure d’accueil de l’ASE , d’une évaluation qualitative et régulière des pratiques professionnelles (EPP). Je concluerai en disant qu’iI y a urgence à intervenir, au regard, du nombre grandissant d’enfants à prendre en charge, du manque de places dans les structures d’accueil, du nombre insuffisant de travailleurs sociaux, des difficultés de recrutement de familles d’accueil, et de travailleurs sociaux, et de l’arrivée croissante des mineurs non accompagnés, sauf à dégrader encore plus les prises en charges et accroître la « maltraitance ».
L’ASE peut sauver la vie à de nombreux enfants et ce fut mon cas, mais il ne suffit pas de loger et de nourrir.L’ASE broie aussi beaucoup trop de vies. On ne sort jamais indemne de l’ASE.
Pour moi il est important qu’un nombre maximum de personnes connaisse et réfléchisse au drame des enfants placés.