La dégradation de nos finances publiques fait désormais, enfin, l’objet d’un constat assez largement partagé. Nos finances publiques, notre souveraineté financière, constituent un préalable pour conduire nos politiques publiques au niveau national et influer au niveau européen et international.
La situation actuelle de nos finances publiques est en fait un réel hommage à Turgot. En 1774, dans une lettre à Louis XVI, il dresse un constat dont l’acuité dans le contexte actuel est frappante. « Point de banqueroute, point d’augmentation d’impositions, point d’emprunt : pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen, c’est de réduire la dépense au-dessous de la recette. On demande sur quoi retrancher, et chaque ordonnateur dans sa partie soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables.
Ils peuvent dire de fort bonnes raisons, mais comme il n’y en a point pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l’économie. »
Cette situation dénoncée par la Cour des comptes dans son rapport annuel, ne présente guère de surprise, et s’inscrit, en s’aggravant, dans la lignée des précédents rapports. Pourtant cette édition 2024 est particulièrement alarmante, même si on peut s’interroger, comme nous le faisons parfois en tant que législateur, sur la capacité de la Cour des comptes comme du Sénat à être entendus.
La Cour critique avec force les prévisions de croissance du gouvernement et juge que la trajectoire budgétaire pour cette année reste précaire. Elle appelle un plan d’économies massif et inédit sur trois ans pour ramener le déficit sous les 3 % du PIB en 2027.
L’année 2023 devrait se terminer avec un niveau de déficit public supérieur à 5 % du PIB, soit une dégradation par rapport à 2022. Le Sénat en particulier l’avait déjà pointé, la Cour en fait le constat, l’année 2023 n’a pas été synonyme de sortie du « quoi qu’il en coûte ». De plus, les recettes fiscales devraient s’établir en 2023 en retrait de près de 8 milliards d’euros.
Ainsi, la trajectoire des finances publiques votée pour 2023-2027, n’est pas tenue dès sa première année, contraignant le Gouvernement à la mise en œuvre du rabot à hauteur de 10 milliards d’euros, deux mois après le vote du budget. La trajectoire fixée par le gouvernement était déjà peu ambitieuse et très fragile, c’était en effet la plus tardive d’Europe, et qui plus est ne présentant aucune marge de sécurité tant les hypothèses sont optimistes, notamment au niveau de la croissance. Elle est déjà caduque…
Le nœud de l’inquiétude, ce sont les trois D : les deux D de la Dette et de la Dépense, qui en creusent un troisième, le D du Déficit.
Notre dette publique, qui atteindra 3200 mil-liards d’euros fin 2024, est déjà supérieure de 800 milliards à son niveau de 2019. La charge de la dette enregistre une augmentation spectaculaire de 10 milliards d’euros en 2024, avec une perspective de culminer à près de
90 milliards d’euros en 2027. Notre situation est la plus dégradée ou presque de toute l’Europe.
Au niveau de la dépense, après le rabot, et peut-être un PLFR en 2024, les efforts annoncés pour 2025 à hauteur de 12 milliards d’économie, sont portés désormais à 20 par le Ministre de l’économie et des finances dont on a parfois le sentiment qu’il découvre la situation qu’il a pourtant créée. La Cour indique, et je ne peux que partager son estimation, que le besoin d’économie est plutôt de 50 milliards par an sur la période 2025-2027. Ce sera d’autant plus complexe que la charge de la dette augmente, que les lois de programmation nous obligent et que les besoins d’investissement, notamment dans la transition écologique, sont importants. Les effets du changement climatique montrent par ailleurs en effet la complexité de l’adaptation, la nécessaire cohérence et l’exigence d’efficience. Nous en sommes loin et nous arrivons bien démunis pour relever ces défis.
La dépense sociale, qui représente la moitié de la dépense publique, par-delà son volume dont on aura à débattre, doit être équilibrée. Elle ne peut plus, elle ne doit plus engager les générations futures.
Le budget de l’État doit être tourné vers l’investissement et sérieusement revu à la baisse. L’enjeu est de faire des économies massives, y compris au niveau de la dépense fiscale et sociale, en préservant la croissance. Plus on attend, plus c’est difficile.
Celui des collectivités doit cesser d’être la variable d’ajustement d’un État omnipotent et impuissant. Il faut d’abord rétablir la confiance pour bâtir une politique contractuelle responsable et équilibrée, et enfin s’engager dans une véritable décentralisation. Il ne semble pas pour l’heure que ce soit le chemin choisi.
Comment réformer la DGF sans « grain à moudre » ?
Comment aborder en effet la réforme de la DGF annoncée par le Président de la République lors du congrès des Maires de novembre dernier sur laquelle le Comité des Finances Locales (CFL) travaille actuellement, dans le contexte fluctuant que nous connaissons ?
La complexité du système actuel, les écarts historiques existants entre communes, les risques que porte en elle une telle réforme même si celle-ci entend renforcer la péréquation, s’apparentent à une véritable quadrature du cercle sans moyens nouveaux et à une mission impossible si les moyens devaient être en baisse. Le travail en cours s’inspire de la réforme avortée de 2015, dite « Pires-Beaune », corrigée par les travaux du Sénat qui doivent être actualisés.
Je reviendrai le moment venu sur les orientations proposées, mais d’ores et déjà on peut craindre que les objectifs qui consistent à assurer aux collectivités des re-ssources relativement stables et prévisibles, à mettre en œuvre une péréquation verticale efficace entre collectivité, à compenser les réformes fiscales passées, aient du mal à être atteints.
La question des indicateurs financiers et la reconnaissance des charges de centralité en particulier, comme celle de la population logarithmée ou des dimensions superficiaires par-delà la prise en compte de la population, sont au cœur des travaux en cours. Enfin, et peut-être surtout, la mesure du potentiel financier, plutôt que fiscal, a modifié le référentiel en défaveur des collectivités les moins favorisées. Il faudra le corriger et s’interroger par là-même sur l’autonomie fiscale des collectivités qui devra être l’autre versant des travaux à conduire sur leurs recettes.
Si les ressources et la capacité à agir de nos collectivités sont essentielles pour garder une action de proximité porteuse de service public et d’investissement local, le chantier de nos finances publiques, de notre dette, de nos déficits ne peut plus attendre.
Nous devons rétablir nos comptes, en agissant sur la dépense avec force et urgence, non pour Bruxelles ou les agences de notation, mais pour les Français. Ayons ce courage pour le cinquantenaire de la mort de Georges Pompidou qui commémore aussi le dernier budget de notre pays à l’équilibre. Nous n’avons pas d’autre issue, au regard d’un niveau de prélèvement obligatoire déjà très élevé.