Bercy admet enfin être confronté à la réalité d’une croissance plus faible et de déficits plus lourds, dans un contexte de coût de la dette en hausse. Cette fois, l’opération vérité sur les comptes est lancée, et cela va être douloureux. Le ministère de l’Economie et des Finances est contraint de réviser ses prévisions de croissance qui ne correspondent plus du tout à la réalité, ce que nous avions dénoncé au Sénat lors de l’examen du PLF 2024. Cela va avoir des conséquences lourdes sur le financement des politiques publiques. Les choix sont d’autant plus difficiles qu’ils ont été repoussés.
La révision de la prévision de croissance de l’OCDE a été une goutte d’eau supplémentaire. Alors que Bercy tablait sur 1,4 % de croissance pour faire baisser le déficit à 4,4 % du PIB, l’organisation internationale ne prévoit plus que 0,6 %. Il n’est donc plus temps de faire l’autruche. Le Ministre Bruno Le Maire mise à ce stade sur une prévision encore un peu plus optimiste, de 1 %, c’est un premier pas peut-être encore insuffisant. Une nouvelle prévision désormais validée à l’Elysée et Matignon qui ont longtemps rechigner à accepter cette situation, et qui ne sera pas sans conséquences sur la stratégie budgétaire à mettre en place pour tenir 4,4 % de déficit cette année.
Deux options à ce stade semblent sur la table. La première consiste à miser sur des annulations de crédits déjà votés, par décret. Donc sans passer par le Parlement avec un vrai sujet de sincérité. La deuxième option serait de proposer un budget rectificatif à faire passer devant le Parlement, avec de nouvelles mesures d’économies.
C’est ce qui semble le plus démocratique et le plus transparent. Bercy penche pour cette seconde option, en indiquant qu’à ce stade ni les comptes de sécurité sociale, ni ceux des collectivités territoriales ne seraient concernés.
En posant le débat clairement cela aurait aussi pour conséquence de faciliter une prise de conscience de là où on en est vraiment. J’appelle à cette clarté, à cette pédagogie depuis longtemps. La première option semble toutefois privilégiée afin de ne pas risquer de faire monter davantage un vote protestataire avant les européennes.
Mais Bercy doute de la possibilité d’arriver à tenir la réduction du déficit prévue uniquement avec un décret de réduction de crédits, qui ne peut dépasser 1,5 % des crédits de la loi de finances.
Les crédits ministériels, hors masse salariale mis en réserve en début d’année, ont certes été augmentés de 3 % en 2022 à 4 % cette année, et le gouvernement peut toujours recourir à un surgel, comme l’année dernière.
Mais une partie doit en général être dégelée en fin d’année. L’ampleur exacte des coupes à réaliser, de plusieurs milliards (10 sans doute), dépend de l’exécution budgétaire de 2023, laquelle n’est pas encore totalement connue.
Les remontées des collectivités locales et de la Sécurité sociale prennent du temps. Les mauvaises nouvelles sur les rentrées d’impôts pourraient faire rater la cible de déficit fixée à 4,9 %.
Le trou entre les recettes et les dépenses de l’année pourrait atteindre 5 % du PIB, voire 5,1 %. Ce qui relèverait d’autant la marche pour revenir à 4,4 % en 2024. Et encore nous sommes loin des 3 % que beaucoup d’autres pays européens ont atteint.
Une cible pour l’instant non négociable, malgré le risque de tomber dans l’austérité. A Bercy comme à Matignon ou à l’Elysée, on sent le souffle des agences de notation sur la nuque. Moody’s a la possibilité, réglementairement, de dégrader sa note le 26 avril tandis que Standard and Poor’s a une fenêtre de tir le 31 mai. Or, les élections européennes ont lieu le 9 juin… Le risque de se faire dégrader à quelques jours des européennes est bien réel.
Mais le véritable défi sera de boucler le budget 2025. La prévision de croissance de 1,7 % est d’ores et déjà caduque. L’OCDE prévoit 1,2 %.
Pour 2025, cela signifie couper 15 milliards d’économies, alors que le gouvernement en prévoyait déjà 12 milliards jusqu’ici pour tenir sa cible. On voit mal alors comment les dépenses sociales et peut-être aussi celles des collectivités ne seraient pas concernées. Et pourtant, cela semble beaucoup et si peu à la fois. Les Allemands ont fait 60 milliards de coupes en trois semaines au risque de tomber dans l’austérité, nous devrions en faire au moins autant.
On sait désormais que la croissance et la création d’emploi ne suffiront pas à redresser nos finances publiques. Le vrai sujet, c’est qu’on ne s’est pas déscotché de la dépense publique qui nous génère un déficit budgétaire de plus de 170 milliards d’euros et un déficit miroir de la balance commerciale hélas récemment confirmé à 100 milliards d’euros.
Si la trajectoire budgétaire du retour sous 3 % de déficit en 2027 ne doit pas être un dogme, la nécessité d’amorcer la décrue de la dépense publique est désormais urgente. On ne peut continuer à jouer avec différents critères des règles européennes, notamment celui du déficit « structurel » pour faire le minimum de l’ajustement réclamé par nos partenaires européens. Notre crédibilité est en cause.
L’UE a validé les nouvelles règles budgétaires plus contraignantes et la voix de la France n’a pu être que partiellement entendue. L’enjeu est de garantir des finances publiques saines tout en préservant la capacité d’investissement de l’Union.
La proposition initiale de la Commission d’avril 2023 accordait une grande flexibilité aux capitales pour définir leur trajectoire budgétaire, sur la base d’une analyse de soutenabilité de la dette et en prenant comme indicateur clé les dépenses primaires nettes. Mais les Vingt-Sept avaient ajouté, en décembre dernier, des sauvegardes automatiques beaucoup plus contraignantes. L’Allemagne et ses alliés dits « frugaux » sont parvenus à imposer des réductions automatiques de dette et de déficit aux pays dont le ratio d’endettement dépasse 60 % du PIB (pourcentage hérité des années 1990). Les nouvelles règles permettront aux pays de l’UE d’investir dans leurs atouts tout en consolidant leurs finances publiques. L’accord trouvé doit s’appliquer à partir de 2025.
Cette année, les anciennes règles (suspendues entre 2020 et 2023 pour cause de Covid et de guerre en Ukraine) s’appliquent en théorie.
La Commission examinera les budgets nationaux à la lumière des recommandations qu’elle a faites en 2023. Au printemps, Bruxelles devrait mettre une douzaine d’États membres en procédure de déficit excessif, dont la France.
Si on a besoin d’investissements dans l’industrie, dans la défense, dans la transition écologique, on ne saurait le faire sans retrouver un cadre sain et convergent des finances publiques européennes. La France ne saurait demeurer le mauvais élève de l’Europe. Elle doit donc enfin engager ses réformes de structure : celle de l’État et d’une véritable décentralisation, pour retrouver efficacité et proximité de l’action publique.
Ce n’est donc surtout pas le moment de « désarmer » nos collectivités territoriales.
Stéphane Sautarel