Sans surprise, cette année encore, la santé occupe la première marche du classement des préoccupations des Français. La santé, ou plus précisément l’accès aux soins qui, avec 81 % des suffrages, se place loin devant les autres sujets. Ce chiffre recouvre, selon les territoires, des réalités diverses pour un même constat : les Français ne savent plus à quels saints se vouer pour se faire soigner ! Pas faute, côté collectivités, de faire preuve de trésors d’inventivité pour attirer des professionnels de santé… Les raisons de cette pénurie sont nombreuses, et les réponses pas toujours convaincantes. Face à ce sujet de société majeur, le Journal des Départements se mobilise en convoquant, le 13 juin prochain à Vendôme, les Assises nationales de l’accès aux soins. Dans la perspective de ce grand rendez-vous, tour d’horizon d’une situation d’urgence et de quelques solutions locales. L’heure n’est plus au constat stérile, mais à la recherche de solutions concrètes et efficaces. Premier tour d’horizon des solutions locales.
Un constat et des raisons
Le long des routes de France, les panneaux se multiplient : « Commune recherche médecin » « Allo docteur ? – Facilités d’installation », « Locaux aménagés disponibles ». Ces panneaux, on les trouve aux quatre coins du pays, et pas forcément là où l’on imaginerait une pénurie d’offre de soins. Il faut dire que la question de la démographie médicale n’est plus l’apanage des seuls territoires ruraux isolés. Capitales régionales, comme villages de bords de mer peinent à trouver des généralistes ou à remplir leur maison de santé pluridisciplinaires…`
Au 1er janvier 2022, la France comptait 229 000 médecins, généralistes et spécialistes, soit une densité de 340 médecins pour 100 000 habitants. Concernant les généralistes, ce chiffre s’établit à 121 médecins en moyenne pour 100 000 habitants (141 en 2010). Des moyennes qui traduisent une réalité nationale où certains territoires vivent une situation réellement dramatique avec, dans certains cas, des densités d’une cinquantaine de médecins pour 100 000 habitants. C’est par exemple le cas de la Seine-Saint-Denis (59,3 médecins pour 100 000 habitants), de l’Eure-et-Loir (58,8) ou de la Guyane (44,9). La traduction concrète de cette désertification, c’est qu’à ce jour, 11 % des Français n’ont pas de médecin traitant.
La pandémie de 2020 a assez montré la crise sanitaire majeure que traverse notre pays, aussi bien sur le plan hospitalier, qu’en matière d’accès à un professionnel de santé.
Le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), indique que 99 457 médecins généralistes étaient en exercice en France au 1er janvier 2023, un chiffre en baisse constante depuis l’année 2012.
Résultat d’années de numérus clausus qui a vu se réduire comme peau de chagrin la capacité de la profession à se renouveler et à remplacer la génération des baby-boomers. Malgré la récente réforme du
numérus apertus, cette baisse devrait se poursuivre dans les dix prochaines années, notamment en raison du départ en retraite de près d’un quart des effectifs. Le CNOM estime, qu’en 2025, les généralistes qui exercent de façon régulière ne seront plus que 81 912. Plus d’un quart d’entre eux ont plus de 60 ans, ce qui risque d’accentuer la diminution de leur nombre dans les années à venir.
Cette diminution crée des délais d’attente qui deviennent, pour certaines spécialités, particulièrement préoccupants. Ainsi, les délais moyens d’attente sont de 52 jours pour obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologiste et peuvent aller au-delà de 112 jours dans près d’un quart des cas. Ces délais moyens sont de 45 jours pour la dermatologie, de 50 jours pour la cardiologie 50 jours, de 28 jours pour un rendez-vous chez un chirurgien-dentiste.
Par ailleurs, les médecins d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. La recherche d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle est désormais un critère primordial pour les jeunes médecins. Cela a notamment entraîné le basculement d’un mode d’exercice libéral de la médecine vers un autre, salarié ou mixte (libéral et salarié). Depuis 2021, les chiffres ne trompent pas : 56,2 % des médecins généralistes exercent en libéral uniquement ; 37,4 % sont salariés ; 6,4 % sont en exercice mixte. Quant à ceux qui choisissent l’exercice libéral, ils sont plus des deux tiers à être remplaçants.
Des inégalités territoriales et infra-départementales
Des disparités géographiques très fortes
Densité la plus importante dans les Hautes-Alpes (139,3), Bouches-du-Rhône (125,8), Alpes-Maritimes (124,1)
Densité la plus faible, outre Mayotte, l’Eure, la Seine-et-Marne, l’Eure-et-Loir, le Cher et le Val-d’Oise pour les généralistes et Mayotte et Eure pour les spécialistes
La densité des médecins généralistes baisse (-8 %) au niveau national avec des évolutions très contrastées selon les départements. Celle des spécialistes est en revanche en hausse avec cependant certaines baisses importantes: Ariège (-17 %), l’Ain (-12 %), la Creuse (-7 %) et la Meuse (-7 %).
En métropole, les écarts de densité en médecine générale entre les départements les plus défavorisés et les départements les mieux dotés sont de l’ordre de 1 à 2.
Malgré des disparités territoriales fortes, le sujet touche toute la France. Si l’on s’en tient aux critères établis par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), notamment concernant l’accessibilité potentielle localisée, pas moins de 87% du territoire français peut être qualifié de désert médical ! C’est dire l’ampleur du phénomène, une ampleur que ne doit pas cacher quelques territoires préservés.
Si les disparités s’avèrent très fortes selon les zones géographiques (cf. encart ci-dessus), il faut souligner que les inégalités sont avant tout infra-départementales, représentant un défi d’équilibre territorial majeur pour les élus départementaux. Les zones les moins dotées restent, sans surprise, les zones rurales en périphérie des villes, ou celles, proches de grandes villes mais qui échappent à leur « rayonnement » économique. Une situation d’autant plus problématique qu’elle suit les contours des inégalités sociales et vient les accentuer…
En tant que collectivités de la solidarité par essence, les départements se montrent particulièrement investis sur la question de l’accès aux soins et de la démographie médicale. Le défi est immense et les réponses ne peuvent qu’être sur-mesure. En dix ans, on est passé du constat à l’action et de solutions « toutes-faites » à du cousu-main.
Exemple caractéristique de cette évolution des approches : les Maisons de Santé pluridisciplinaires, les fameuses « MSP ». Présentées et perçues un temps comme une solution miracle à toutes les pénuries, ces MSP ont fleuri un peu parti, notamment dans les communes rurales, force aides d’État et subventions locales. Oui mais voilà, une MSP sans médecins, ça fait mauvais genre… et c’est précisément ce qu’ont vécu nombre de communes et d’intercommunalités qui pensaient avoir trouvé la martingale.
Parce que le sujet des déserts médicaux est dans toutes les têtes, les habitants interpellent les élus et techniciens qui se sentent désemparés, souvent dépassés, et cherchent des solutions adaptées. Certains territoires misent ainsi sur le recours aux médecins étrangers, d’autres signent des Contrats d’engagement de service public (CESP), un système de bourse en contrepartie de l’engagement à exercer dans les zones de revitalisation rurale et les zones urbaines sensibles. On a vu se développer, çà et là, l’embauche d’assistants médicaux en échange d’un engagement pour une augmentation de patientèle ou la réduction des délais de rendez-vous, le recours à des médecins retraités, le salariat de médecins. Des aides de plus en plus attractives et conséquentes à l’installation de médecins… Plus récemment, sont apparues les solutions de télémédecine et de téléconsultations.
« Toutes ces solutions sont vertueuses dans certains territoires, et peuvent s’avérer inefficaces, dans d’autres cas » résume Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF). « En réalité, c’est la complémentarité des solutions qui fonctionne et la dimension collective des réponses apportées. Un système de santé plus efficace passe nécessairement par une meilleure coordination et une mise en réseau de l’ensemble des acteurs locaux, à l’image de la démarche de « responsabilité populationnelle » mise en place à Reims, qui permet d’impliquer tous les acteurs, dont le CCAS et les représentants d’usagers. L’objectif est triple : anticipation, prise en charge rapide, coordination ».
Les spécialistes s’accordent sur un point : une grande réforme du système de santé français passera notamment par une loi de programmation annuelle, à la façon dont est construit et voté le projet de loi pour le financement de la sécurité sociale, le PLFSS.
Urgence terrain : des solutions locales, plutôt que des théories nationales
Cependant, avant le grand chambardement du système de santé – dont on peut douter de l’imminence -, il y a urgence sur le terrain ! Les élus et agents territoriaux le savent et n’attendent pas pour agir. Aux quatre coins du pays, des solutions émergent. N’attendant plus les grands plans santé ou les ARS pour entrer dans le concret, les communes, intercommunalités, départements et régions bâtissent des stratégies, souvent, et lancent des projets, presque partout. Ces solutions, qui sont le fruit de l’urgence et de la nécessité, se nourrissent de l’expérience de terrain, de la connaissance des singularités locales, des manques et des réalités des habitants. Cette plasticité des réponses apportées est sans doute le point de départ d’une réponse efficace.
La mise en réseau systématique et la plus large possible, c’est notamment le choix qu’a fait le département du Tarn. À travers la démarche « Agir ensemble pour l’attractivité médicale du Tarn », le département a mise en place les bases d’une coordination renforcée entre sept partenaires institutionnels majeurs, mais aussi acteurs clés de l’offre de soins, comme les Maîtres de Stage Universitaire du département, l’Association régionale des internes de médecine générale, le Département Universitaire de Médecine Générale de Toulouse, les Centres hospitaliers du département, ou encore le SDIS. Cette démarche de mise en réseau, est sans doute une condition sine qua non pour garantir l’implication du plus grand nombre et travailler la question fonda-mentale du maillage territorial.
Pour le dynamique président de Saône-et-Loire, la stratégie serait plutôt « Aide-toi et le ciel t’aidera » ! Voilà pourquoi, André Accary n’a pas attendu que l’Etat lui donne la permission de créer le premier centre départemental de santé de France en 2018 et de salarier les médecins. Une première qui a fait depuis des émules et a permis de déverrouiller le système. Il faut dire que les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis la création du centre de santé départemental, 35 000 Saône-et-Loiriens ont retrouvé un médecin traitant et plus de 520 000 consultations ont été effectuées en six ans. La mise en réseau, André Accary en fait aussi son crédo et le point de départ de toute stratégie de santé territoriale : « J’ai toujours insisté sur la nécessité de complémentarité d’exercice entre le libéral, le salariat et l’hospitalier, et sur l’importance de diversifier les actions ».
Complémentarité rime avec attractivité. Des départements comme le Loir-et-Cher ou la Creuse en sont convaincus. C’est pourquoi ils ont adossé leur projet d’offre de soins avec une politique offensive d’attractivité de leur territoire et de ses atouts. La Creuse a ainsi lancé son plan santé « Dites…23 ! » qui regroupe une nombre conséquent d’aides à l’accueil et à l’installation des jeunes médecins.
De son côté, pour porter son dispositif « Le 41 en bonne santé ! », le Loir-et-Cher s’est appuyé sur son agence d’attractivité « Be LC » pour proposer une stratégie d’attractivité à 360° mettant en valeur la richesse patrimoniale, culturelle, la qualité de vie du département et son dynamisme économique pour attirer à la fois habitants et professionnels de santé. Une stratégie qui porte ses fruits avec l’installation d’une cinquantaine de médecins et profes-sionnels de santé depuis le lancement de l’agence.
Face à la pénurie de médecins, certains départements choisissent une stratégie sur l’innovation et notamment l’avènement du numérique dans l’offre de soins. C’est le cas de la Meuse qui, avec son programme « E-Meuse Santé » a été pionnière dans la démarche d’expérimentation, d’in-novations numériques pour favoriser l’usage de l’e-santé. Co-construit avec des patients et des professionnels de santé, le projet « E-Meuse Santé » expérimente les solutions et les impacts du numérique dans l’amélioration du parcours de soins pour les patients. L’un des objectifs affiché est de rééquilibrer le maillage territorial et d’atténuer les disparités d’accès aux soins au sein du département. Dans une approche à la fois empirique et innovante « E-Meuse Santé » ne cherche pas à opposer santé « physique » et « numérique » mais à créer la complémentarité et à optimiser chaque pratique au bénéfice des patients. L’autre particularité d’ « E-Meuse Santé » est de regrouper aujourd’hui trois départements : la Haute-Marne, la Meuse et la Meurthe-et-Moselle. Là où certains territoires craignent la concurrence et ont tendance à jouer cavalier seul, « E-Meuse Santé » cherche à montrer que la réponse collective est sans doute la plus efficace et la plus rationnelle, notamment en matière de maîtrise des coûts.
En matière d’accès aux soins, le Département du Loiret entend donner la parole à ses habitants et la porter au niveau national. Le Conseil départemental lance ainsi des cahiers de témoignages pour permettre aux Loirétains de témoigner de leurs besoins et de leurs difficultés quotidiennes. Disponibles durant le mois de mars dans toutes les mairies du Loiret et en ligne sur « notresante.loiret.fr », ces cahiers de témoignages seront ensuite remis en mains propres par Marc Gaudet, Président du Loiret, à Catherine Vautrin, Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités.
Deux questionnaires sont mis à disposition, l’un à destination du grand public et l’autre à destination des professionnels de la santé, disponible sur « notresantepro.loiret.fr ». « En nous appuyant sur les situations concrètes vécues et rapportées par les Loirétains, nous serons plus forts pour obtenir une prise en compte nationale de nos difficultés et demander des solutions immédiates car il est temps d’agir… Portons notre voix, ensemble, au niveau national ! », précise Marc Gaudet.
La complémentarité des acteurs, une condition sine qua non
La France, championne du mille-feuilles administratif, l’est également en matière de santé où les acteurs, nombreux, peinent à trouver des points de convergence et de complé-mentarité. En la matière, les dépar-tements semblent pouvoir jouer un rôle clé, afin de favoriser le dialogue et les actions communes. Pas un projet départemental qui ne soit un processus collectif de mise en réseau des acteurs nationaux et locaux. Ce volontarisme des départements et cette capacité à faire dialoguer les acteurs risquent cependant de se heurter rapidement à un cruel manque de moyens.
Collectivités des solidarités, les départements semblent avoir toute légitimité à être pilotes sur des dispositifs locaux. Encore faut-il que l’État, au premier chef, leur en donne les moyens et l’autonomie. Un premier signal fort, au-delà d’indispensables dotations pour soutenir les départements qui se mobilisent, pourrait être l’autonomisation des ARS départementales afin de favoriser les expérimentations et d’ encourager la souplesse et la réactivité indispensables à l’échelle locale.
La complémentarité des acteurs passe également par une meilleure orga-nisation des professionnels de santé afin de répartir au plus juste les rôles de chacun. Bruno Veilloux, Doyen de la faculté de médecine de la Sorbonne le souligne « Il manque d’échelon intermédiaire. A-t-on besoin d’un médecin pour tous les actes ? La réponse est non ». En effet, même si la création des Infirmières en Pratique Avancée (IPA) a permis d’améliorer l’accès aux soins et la qualité du parcours des patients, les salaires encore trop bas et le champ trop réduit de spécialisations décourage les candidats.
À quarante-deux minutes de Paris en TGV, Vendôme est l’une des deux sous-préfectures de Loir-et-Cher. Malgré la présence d’infrastructures médicales, la question de l’accès aux soins est ici primordiale, comme dans la plupart des communes françaises.
Laurent Brillard, Maire de Vendôme
Laurent Brillard, maire de Vendôme et orthophoniste témoigne : « Notre ville est dotée d’un hôpital et d’une clinique qui se réuniront bientôt sur un site unique. Nous pouvons également nous appuyer sur un service d’urgences particulièrement efficace et reconnu. Malgré cette offre dense, la question de la pénurie de médecins est criante, ici comme dans la plupart des communes du territoire ne bénéficiant pas des aides allouées aux Zones de Revitalisation Rurales. Nos médecins de famille sont partis à la retraite, et la concurrence pour attirer les jeunes médecins est rude. La cadre de vie de Vendôme et sa proximité de Paris constituent des atouts certains, mais ce ne sont plus des conditions suffisantes pour attirer.
Aujourd’hui, les réponses se trouvent dans des stratégies de complémentarité et d’union, d’où le choix de rapprocher notre clinique privée et notre hôpital qui nous a permis en outre, de préserver notre maternité. Nous devons unir nos forces et concentrer nos moyens. C’est un combat de chaque jour qui nous engage tous ».
Les Assises nationales de l’accès aux soins : des solutions concrètes par et pour les territoires
Si les solutions existent bel et bien, il est fondamental de créer le dialogue entre acteurs publics et privés et de favoriser les points de convergence. Aucune solution miracle n’existe, mais les complémentarités entre bons projets et stratégies bien bâties peuvent donner des résultats spectaculaires. C’est dans cet esprit que le Journal des départements, en partenariat avec le Conseil départemental de Loir-et-Cher et la Ville de Vendôme a initié les premières Assises nationales de l’Accès aux soins le 13 juin prochain à Vendôme.
Durant cette journée axée autour des solutions locales et des initiatives territoriales, le Journal des départements veut ouvrir le dialogue et permettre la rencontre des idées et des solutions. Quelle est la place de la télésanté dans l’offre d’accès aux soins ? Comment fait-on sans médecin ? Comment garantir la santé de proximité ? Autant de questions qui seront abordées autour de tables rondes, d’ateliers pratiques et d’un salon des solutions réunissant acteurs publics et privés de la santé, et élus locaux autour de solutions et d’innovations. Une journée pour partager ses expériences et les bonnes pratiques des collectivités pour pallier le manque de médecins ou en attirer sur leur territoire.