Les atteintes à l’autorité de l’Etat font l’objet d’un titre entier du code pénal (Titre III, articles 431-1 à 436-5).
C’est dire l’importance, dans notre pays, de toutes les règles et mesures répressives votées par le législateur , pour éviter que la France devienne un État où la paix civile n’est pas assurée ou, ce sera le thème de la présente chronique, une république bananière des copains et des coquins.
Le chapitre II de ce Titre III, qui traite « Des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique » contient une Section 3, qui est de nature à inciter à une vigilance extrême élus et agents publics exerçant des fonctions d’autorité, intitulée : « Des manquements au devoir de probité », ainsi déclinés :
– concussion : (article 432-10) ;
– corruption passive et au trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique (articles 432-11 et 11-1) ;
– prise illégale d’intérêts (articles 432-12 à 432-13),
– atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession, (articles 432-14),
– soustraction et détournement de biens (articles 432-15 à 432-16).
Les affaires Fillon et Sarkozy, d’une part, puis Dupont-Moretti et Dussopt, d’autre part, avec davantage de succès pour les seconds récemment relaxés, montrent que loin d’être favorisés par la Justice, les « grands élus », sont au nom d’un principe implicite d’exemplarité, davantage dans « l’œil du cyclone » que les simples citoyens, ce qui pose un problème d’impartialité. Notre actuel garde des Sceaux n’a, sans doute, pas tort de considérer que « si un ministre n’est pas au-dessus de la loi, il n’est pas non plus en-dessous ! »
N’oubliant pas que cette chronique est destinée à être publiée dans le « Journal des départements », il paraît utile de relever qu’au moins un président de département, en l’occurrence « une » présidente, fait actuellement, et ce depuis mai 2023, l’objet d’une mise en examen pour « corruption passive » et d’un placement sous contrôle judiciaire. Dans la mesure où elle bénéficie naturellement de la présomption d’innocence, il serait malséant de la désigner. Disons simplement que les faits qui lui sont reprochés le seraient pour « corruption passive », décelés dans le cadre d’une vaste enquête sur des marchés publics suspects.
Rappelons les sanctions encourues, par une personne investie d’un montant électif public en cas de « corruption passive et de trafic d’influence » ou qui serait convaincue d’avoir procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public :
– dans le premier cas : dix ans d’emprisonnement et amende de 11 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction (article 432-11)
– dans le second : deux ans d’emprisonnement et amende de 200 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction (article 432-14)
Même s’il s’agit de maximums et si les sanctions sont, le plus souvent, assorties de sursis, il s’agit de peines lourdes, et ce d’autant plus, qu’elles s’accompagnent la plupart du temps de peines d’inéligibilité.
Mais ce n’est pas tout, notre pays, qui se veut champion de la lutte contre la corruption, a infligé à ses grands élus, un système de contrôles a priori destiné à prévenir, de leur part, tout comportement malhonnête.
C’est ainsi que plusieurs lois ont été votées pour mettre en place un système de lutte contre la corruption en France. Parmi celles-ci :
– la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique créant la Haute Autorité de transparence de la vie publique (ci-après « HATVP ») chargée entre autres du contrôle des déclarations de patrimoine et d’intérêts des élus (1)
– la loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin II » instituant l’agence française anticorruption (ci-après « AFA ») permettant une meilleure détection des faits de corruption, trafic d’influence, concussion, prise illégale d’intérêts et de détournement de fonds publics et favoritisme (2).
1. Le contrôle de la situation patrimoniale et des intérêts des élus par la HATVP
L’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 prévoit la liste des élus devant se soumettre à ce régime de déclaration, dont notamment :
– les représentants français du Parlement européen,
– les titulaires d’une fonction de :
– président de conseil régional,
– président de conseil départemental,
– président d’une assemblée territoriale d’outre-mer,
– maire d’une commune de plus de 20 000 habitants,
– président élu d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant total de fonctionnement est supérieur à 5 millions d’euros ainsi que les présidents des autres établissements publics de coopération intercommunale dont le montant des recettes totales de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d’euros,
– les conseillers régionaux et départementaux,
– les adjoints au maire de plus de 100 000 habitants,
– les vice-présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants lorsqu’ils sont titulaires d’une délégation de fonction ou de signature.
Les élus concernés sont tenus d’adresser une déclaration de leur situation patrimoniale ainsi qu’une déclaration d’intérêts auprès de la HATVP dans un délai de deux mois à compter de la prise de fonction et ce dans un délai de deux mois à compter de la fin du mandat.
La liste des biens et intérêts à déclarer fait penser à un « inventaire à la Prévert ».
Et malheur à ceux qui s’y soustraient ou sont auteurs de déclarations fausses ou incomplètes !
Le fait de ne pas déposer une déclaration de patrimoine ou une déclaration d’intérêts, d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine est, en effet, puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
La HATVP est en mesure de prononcer des injonctions afin de faire cesser un conflit d’intérêts, le fait de ne pas s’y déférer constitue une infraction punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Pour illustrer les risques encourus par les contrevenants, on rappellera que Madame Caroline Cayeux, éphémère ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, a eu maille à partir avec la HTVAP, pour avoir très largement sous-estimé la valeur de son patrimoine immobilier. Cette sous-évaluation, qui a donné lieu à l’engagement d’une procédure pénale contre elle pour sous-estimation de son patrimoine et fraude fiscale, conjuguée avec des propos inappropriés sur le mariage pour tous et l’homosexualité, sont à l’origine de son départ (volontaire ?) du gouvernement Borne le 28 novembre 2022, quelques mois seulement après sa nomination comme ministre.
2. La mise en place d’une agence française anticorruption par la loi Sapin II
Comme si tout cela ne suffisait pas, la loi du 9 décembre 2016, dite « Sapin II » relative à la transparence de la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a créé l’agence française anticorruption (AFA) .
Cette agence remplit une mission de conseil et d’assistance en :
– aidant les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption,
– centralisant et diffusant des informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les atteintes à la probité,
– élaborant les recommandations afin d’aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les atteintes à la probité,
– préparant un plan national pluriannuel de lutte contre les atteintes à la probité,
– apportant son appui aux administrations de l’Etat, aux collectivités territoriales et à toute personne physique ou morale.
L’AFA peut également être amenée à remplir une mission de contrôle de la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein :
– des administrations de l’Etat,
– des collectivités territoriales,
– de leurs établissements publics et sociétés d’économies mixtes,
des fondations et associations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.
Si des manquements sont constatés, le directeur de l’AFA peut mettre en demeure la personne de présenter ses observations écrites dans un délai de deux mois.
A l’expiration de ce délai, il peut être décidé d’adresser un avertissement ou saisir la commission des sanctions.
La commission des sanctions est alors susceptible :
– d’enjoindre à la société d’adapter les procédures de conformité interne dans un délai inférieur à trois ans,
– prononcer des sanctions pécuniaires dont le montant ne peut excéder 200 000 euros pour les personnes physiques et un million d’euros pour les personnes morales,
– d’ordonner la publication, la diffusion et l’affichage de la décision d’injonction ou de sanction pécuniaire aux frais de la personne physique ou morale.
Avec l’empilement des dispositions du code pénal et de ces nouvelles législations votées sous le quinquennat Hollande (2012-2017), la France est dotée désormais d’un arsenal législatif destiné à « laver plus blanc que blanc ».
Les juges et les agences nouvellement créées de redressement de la morale publique sont aidés dans leur grand œuvre de salut public, grâce aux dénonciations des « horreurs » commises par les élus et leurs acolytes, par des groupes de pression « citoyens », tel le site d’actualité Médiapart créé en 2008 par Edwy Plenel, ou l’association « Anticor », dont le but est de se battre « contre la corruption et pour l’éthique en politique », mais dont la déontologie et la transparence n’étaient pas parfaites, si l’on en croit le gouvernement qui a refusé le renouvellement de son agrément .
Il n’est pas certain que la démocratie ait grand-chose à gagner à la frénésie répressive qui agite les redresseurs de torts de la République.
Le dispositif d’agrément créé par la Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 permet aux associations agréées de se constituer partie civile à l’occasion de plaintes relevant du champ de l’article 2-23 du Code de procédure pénale : manquement au devoir de probité, infraction de corruption et trafic d’influence, de recel ou de blanchiment, ou encore de certaines infractions électorales. Cet agrément permet aux associations de déclencher l’instruction même si le procureur de la République y renonce.