L’invité du mois : Jules Nyssen, Président du Syndicat des énergies renouvelables (SER)
Débutant sa carrière en 1996 comme professeur des universités en économie à Saint-Etienne puis Aix-Marseille, Jules Nyssen a consacré ses premiers travaux au rôle de l’innovation, de la recherche et de la formation dans la croissance économique.
En 1998, il rejoint le cabinet de Michel Vauzelle, Président de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, pour suivre la mise en place du volet université-recherche du contrat de plan État-Région, avant d’être nommé en 2004 directeur général des services de la Région.
Il exerce ensuite les mêmes fonctions à la mairie de Montpellier de 2008 à 2014.
Inscrit comme avocat au barreau de Marseille, il fonde en 2015 le cabinet ANAKENA, conseil à l’interface public-privé. À la même époque, il est également chargé par le skipper Kito de Pavant de superviser le montage financier et juridique de son projet de course au large pour le Vendée Globe 2016-2017. En 2016, l’architecte montpelliérain François Fontès, qui venait de racheter la moitié des parts de l’Agence Jean Nouvel, le nomme président exécutif de l’agence pour conduire sa restructuration.
Jules Nyssen revient à la fonction publique territoriale en rejoignant le CNFPT en mars 2017 en qualité de directeur de la délégation Nord-Pas-de-Calais puis, en parallèle à partir de 2018, de l’INSET de Dunkerque. En octobre 2018, Hervé Morin le recrute comme délégué général de Régions de France, afin de représenter les Régions auprès du Gouvernement, du Parlement et des instances européennes.
Après quatre années passées à Régions de France, Jules Nyssen décide de s’engager en faveur des enjeux de la transition énergétique et présente sa candidature à la présidence du Syndicat des Énergies Renouvelables (SER), à laquelle il est élu par l’assemblée générale du Syndicat en juillet 2022 par 75 % des voix. Le SER compte plus de 460 adhérents et représente l’ensemble des filières des énergies renouvelables, à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Il milite pour le développement de ces énergies indispensables à la souveraineté énergétique de la France et à la neutralité carbone que notre pays s’est engagé à atteindre d’ici 2050.
De par son parcours très diversifié et très ancré dans les territoires, il nous a paru indispensable de donner la parole, ce mois-ci, à ce spécialiste reconnu des transitions énergétiques, placé au cœur des défis que nos collectivités doivent relever.
Bonne lecture !
Gilles Lagarde et Jean-Marie Martino
7 questions pour comprendre la conduite des grandes transitions
Quelle est votre vision des enjeux de transition ?
Une transition, littéralement le passage d’une situation à une autre, est rarement un fait totalement exogène à l’être humain et qui, systématiquement, s’imposerait à lui comme les météorites ont pu entraîner la disparition des dinosaures, ou comme les grands cycles climatiques ont pu engendrer des nécessités d’adaptation des espèces avant l’ère industrielle.
Ce qui est donc intéressant, dans les transitions, c’est qu’elles sont souvent imposées à nos sociétés humaines par les changements de leur environnement qu’elles ont elles-mêmes engendrés. Les vecteurs de ces changements sont très souvent d’origine scientifique et technologique, et découlent de notre volonté de mieux comprendre le monde, et de mieux le maîtriser. Mais ce faisant, on décuple les capacités humaines (santé, productivité, capacité de calcul, intelligence, etc.) et on crée toute une série d’interactions nouvelles à laquelle la société doit s’adapter.
Le premier enjeu dans la « gestion » des transitions, me semble-t-il, c’est donc d’avoir conscience que leurs causes, pour une large part, sont endogènes. Il ne s’agit pas uniquement de « réagir », mais aussi « d’agir ».
Dans le domaine du climat, c’est exactement ce qui se passe quand on cherche à combiner une stratégie d’atténuation et une stratégie d’adaptation. Atténuer, c’est agir sur les causes, et c’est quelque part bien moins facile à court-terme que s’adapter. Car on pense encore trop souvent que la technologie est sans limite et qu’elle amènera toujours des solutions. Or, il est permis de douter que ce soit si simple…
Le message que je voudrais porter ici est que la première étape pour emmener un groupe ou une société humaine dans une transition, c’est faire la pédagogie des causes, et rappeler à chacun qu’il peut être acteur de son destin. Non à la fatalité en quelque sorte !
Quelles sont les stratégies de transitions engagées par votre collectivité ?
L’organisation dont j’ai la charge aujourd’hui est un syndicat professionnel dont la mission historique est de promouvoir le déploiement des énergies renouvelables en France.
Cette mission s’exerce traditionnellement au travers d’un travail de lobbying auprès des pouvoirs publics et des parlementaires pour négocier un cadre réglementaire adapté à ce développement, sans qu’il soit forcément relié à une vision plus macro-économique fondée sur un besoin identifié et une stratégie énergétique partagée dont l’objet serait de mettre en œuvre la « transition énergétique », un des moyens d’action contre le réchauffement climatique et la conquête de la souveraineté énergétique.
Par ailleurs, jusqu’à une époque très récente, le débat énergétique en France s’est confondu avec le débat sur l’électricité, et sur le mythe que notre parc nucléaire nous donnait à la fois l’autonomie énergétique et un bilan carbone déjà optimisé. Or, c’est oublier que l’électricité ne compose que 25 % de notre consommation finale d’électricité qui est par ailleurs composée à plus de 60 % d’énergies fossiles toutes importées qui ne nous assurent ni autonomie, ni décarbonation.
Il aura fallu la guerre en Ukraine pour que se révèlent des éléments qui étaient déjà à l’œuvre de façon plus souterraine : l’insécurité énergétique (approvisionnement et prix, y compris de l’électricité) liée aux soubresauts géopolitiques internationaux et la montée en puissance des dégâts liés à l’accélération du changement climatique, conséquence des émissions de CO2 et de gaz à effet de serre. C’est ce qui a conduit à la création en 2022 d’un ministère de la transition énergétique de plein exercice chargé de mettre en œuvre la future stratégie française énergie climat.
Dans le volet « production d’énergie » de cette stratégie, les énergies renouvelables jouent un rôle central. Mais il n’est pas certain que l’opinion publique en ait bien saisi le sens et la nécessité.
En effet, nos concitoyens ont été tellement habitués à un système de production énergétique peu visible au quotidien (18 centrales nucléaires et des fossiles importés) que l’utilité des renouvelables apparaissait peu évidente. On peut ajouter à cela que dans un contexte de stagnation de la consommation d’électricité depuis plus d’une décennie, les énergies renouvelables électriques ont été vues par certains comme une concurrence dangereuse au nucléaire ce qui a conduit à semer dans l’opinion toute une série de contre-vérités sur leur valeur ajoutée…
La principale transition que doit opérer le Syndicat des énergies renouvelables dans ce contexte, c’est de faire évoluer son action en la tournant davantage vers l’opinion publique, pour faire de la pédagogie, et rendre les énergies renouvelables
« désirables. » Le syndicat complète donc son activité de lobbying par une activité d’influence qui le fait entrer plus fortement dans le débat public.
Enfin, le besoin de développement des énergies renouvelables passe par les territoires. Vu l’ampleur des enjeux, les objectifs ne pourront jamais être atteints sans que ces énergies soient intégrées au cœur des stratégies territoriales portées par les élus locaux.
Il ne s’agit pas d’imposer, mais de faire et de convaincre. Seules les collectivités locales pourront donner l’impulsion nécessaire. Seule leur agilité permettra d’accélérer le déploiement des projets et l’émergence de solutions innovantes.
Seule leur proximité avec la population pourra convaincre les plus réticents. Il faut donc qu’elles soient aussi pleinement bénéficiaires des retombées locales qui sont importantes (partage de la valeur, portage par des SEM ou des SPL, sécurité des approvisionnements énergétiques, résilience des tarifs, retour fiscaux, emplois, etc.).
Ceci impose un positionnement nouveau pour nos adhérents sur le terrain qui complète les missions de notre syndicat. Celui-ci doit essayer de se positionner en pédagogue auprès des élus locaux en leur apportant un appui technique, une vision des enjeux, et un partenariat équilibré. Et il doit en conséquence rappeler aussi au gouvernement que cette dynamique ascendante des collectivités locales est essentielle et souvent plus efficace que les injonctions descendantes.
C’est le sens de la lettre ( d’atténuation et une stratégie d’adaptation. Atténuer, c’est agir sur les causes, et c’est quelque part bien moins facile à court-terme que s’adapter. Car on pense encore trop souvent que la technologie est sans limite et qu’elle amènera toujours des solutions. Or, il est permis de douter que ce soit si simple…) que j’ai adressée récemment à l’ensemble des maires de France.
La communication vis-à-vis du grand public et le renforcement de l’ancrage territorial : telles sont les deux grandes transitions auxquelles est confrontée notre organisation.
Quel est le projet en particulier que vous avez choisi de nous présenter ?
Dans ce cadre, le Syndicat des énergies renouvelables a décidé d’engager une campagne de communication à l’attention du grand public.
Intitulée l’Équipe de France des Renouvelables, cette campagne (https://www.syndicat-energies-renouvelables.fr/lequipe-de-france-des-enr/) cherche à présenter les énergies renouvelables, issues des forces de la terre, du soleil, du vent ou de l’eau, comme puissantes par nature pour rappeler qu’elles constituent une ressource naturelle que notre planète produit chaque jour.
Il n’y est question ni de moyens de production, ni même d’enjeu énergétique global. C’est une première étape destinée à associer des images à une expression générique « énergies renouvelables » qui est très désincarnée.
Constituée de spots télévisuels, de vidéos en ligne et de publications sur les réseaux sociaux, cette campagne a été conçue pour être intemporelle et utilisable par chacun de nos adhérents dans sa propre stratégie de communication.
C’est une vraie nouveauté pour un syndicat comme le nôtre et son coût représente environ 25 % de notre budget annuel. C’est donc un effort important consenti par nos adhérents qui ont accepté, après un vote en assemblée générale, de verser une contribution exceptionnelle pour financer le projet.
Dans ces conditions, on mesure le travail de conviction qu’il a fallu mener pour définir un objectif, un concept et des messages qui conviennent à tout le monde, dans une organisation qui représente les 12 filières d’énergie renouvelables, et qui devait apprendre à se projeter
collectivement vers l’extérieur.
Mené au sein d’un groupe de travail dédié, composé des responsables communication de nos adhérents, le projet a été un grand facteur de cohésion. Les messages ont été testés sur un large panel d’adhérents avant d’être validés. Et les sondages que nous avons réalisés à la suite de la campagne montrent que ces choix ont été judicieux et les objectifs atteints auprès du public.
Quel est votre rôle en tant que président dans ce projet ?
Dans cette série d’interviews, la question s’adresse habituellement aux DGS. J’ai exercé longtemps cette fonction, placée sous l’autorité d’un président. À présent, je me trouve dans la fonction politique de président, et je peux compter sur l’appui d’un délégué général de très grande qualité.
Il est important ici de préciser que si l’équipe de permanents n’est que de 23 personnes, notre structure est dotée d’un conseil d’administration de 30 membres, dont 15 présidentes ou présidents de commissions, et comporte plus de 500 adhérents. La vie démocratique interne est très intense. L’articulation du rôle du président et du délégué général dans cette configuration n’est donc pas si différente de ce que l’on peut connaître dans une collectivité locale. La réussite d’un projet tel que celui que je viens de décrire repose donc avant tout sur leur parfait alignement et le respect du partage des rôles.
Au président de faire valider politiquement un objectif et une stratégie pour l’atteindre, au délégué général de mettre en œuvre les moyens pour y parvenir. Le tout dans une confiance absolue, car l’émergence des bonnes idées n’est jamais le fait d’un individu isolé, et découle de la confrontation des opinions. C’est pourquoi la naissance de ce projet, même s’il faisait partie de mes engagements de campagne, doit beaucoup au collectif, et en particulier aux discussions organisées par moi-même et le délégué général avec la directrice de la communication et l’ensemble du comité de direction.
Enfin, pour que le délégué général puisse avancer dans la mise en œuvre, que la directrice de la communication puisse animer le groupe de travail dédié, la manifestation par le président du soutien politique permanent au projet et aux orientations retenues à chaque étape d’avancement est évidemment essentielle.
Quels enseignements en tirez-vous en matière de conduite des projets de transition ?
Rien n’est jamais impossible et la force du collectif est toujours impressionnante de créativité. J’évoquais au début de ce propos le fait que chacun pouvait être acteur de son destin. Eh bien, au départ de ce projet, il pouvait y avoir beaucoup de scepticismes, beaucoup de réticences à engager des moyens considérables dans cette aventure.
Mais à partir d’un groupe humain, et de la richesse des interactions qui s’y opèrent, on voit émerger le monde des possibles. Ce qui semblait contraint se débloque. Bien sûr, rien n’est simple. Mais on voit qu’il existe des solutions. Et dès lors, le cercle vertueux est enclenché. C’est un peu comme si une fenêtre s’ouvrait soudain. La dynamique est lancée.
Mais je le répète, pour qu’elle ne s’enlise pas, il faut une conduite politique et stratégique sans aucune faille. Le rôle du leader est incontournable. Mais lorsque les conditions sont réunies, je crois que c’est une immense satisfaction collective et individuelle, quelle que soit la position de la personne dans l’organisation. Et le rôle du manager, c’est de mettre cette récompense en perspective.
Pensez-vous que l’on conduit des projets de transition comme des projets plus classique de modernisation ou de changement ?
Je pense que les méthodes managériales générales sont les mêmes. Mais si l’on admet qu’une « transition » est quelque chose de bien
plus radical qu’un « changement », au sens où il s’agit d’une rupture plus que d’une continuité, alors la question du sens devient primordiale.
Tout le monde peut comprendre qu’on modernise un système informatique, qu’on facilite le télétravail, qu’on cherche à améliorer la productivité d’une organisation ou la qualité d’un service rendu ou d’une politique publique. Mais la transition est bien plus questionnante pour ceux qui doivent la mettre en œuvre. Est-elle légitime ? Quel est son objectif ?
Pourquoi changer ce qui fonctionnait bien ? Il s’agit de sortir de sa zone de confort. C’est souvent essentiel, y compris parfois pour survivre. Mais ce n’est pas toujours le penchant naturel des individus et il faut donc guider les équipes, ou le collectif, expliquer sans relâche, et créer les conditions de la confiance.
Cette confiance ne doit pas être aveugle, elle doit être critique, elle ne doit pas fermer le dialogue, ce n’est pas un blanc-seing, mais elle est le ciment de la réussite.
Quel impact cette démarche a sur vos collaborateurs au sein de votre collectivité ?
A condition que la gestion des transitions n’entraîne pas un bouleversement permanent de l’organisation – car tout le monde a aussi besoin de repères, la démarche est extrêmement productive. Elle conduit chacun à sortir de son couloir de nage, à interagir avec les autres. Dans une période marquée par l’ampleur (parfois excessive) du télétravail, cette démarche créée du liant, redonne du corps à un collectif.
Elle est créatrice de sens. Et cela a un effet positif y compris vis-à-vis de l’extérieur. Même si je n’aime pas l’expression, la « marque employeur » en tire profit. La bonne gestion des transitions permet à une organisation, quelle qu’elle soit, de rester attractive, innovante dans son environnement, et donc d’attirer les talents qui permettront d’entretenir cette dynamique. C’est très vertueux !
Conseil de lecture
Quelle est la lecture que vous souhaitez recommander en matière de transition ?
Revenons aux énergies renouvelables. Au risque d’être un peu provocateur tant le sujet peut faire polémique, je vous recommande la lecture du livre de Cédric Philibert « Éoliennes pourquoi tant de haine ? » (Éditions Les Petit Matins – février 2023 – 18 €).
L’auteur a travaillé 20 ans à l’agence internationale de l’énergie et il est chercheur associé à l’Institut Français des Relations Internationales. Sa parole est donc sérieuse et adossée à des arguments opposables techniquement et scientifiquement. Contrairement à ce que son titre suggère, il ne s’agit pas d’un plaidoyer pour les éoliennes, mais d’un livre assez accessible sur les enjeux du mix énergétique de demain, qui replace le rôle que doivent y jouer les énergies renouvelables en général.
Il cherche à démentir un certain nombre de fausses informations pour ramener le débat dans l’espace de la rationalité. Son objet n’est pas de faire aimer les éoliennes, mais peut-être de contribuer à éclairer la réflexion de chacun pour réussir la transition énergétique. Très bonne lecture !