Le projet de loi de finances pour 2024 sur lequel je m’étais attardé dans ma chronique précédente reste marqué après son adoption fin décembre par une dette abyssale, un déficit extrême et un niveau de dépenses publiques très excessif.
Le Sénat a tenté de le remanier pour revoir la trajectoire de nos finances publiques et mieux répondre aux besoins des Français et des collectivités.
Il n’y est parvenu que de manière très partielle, tout en préservant quelques marges pour les collectivités territoriales : revalorisation des bases de fiscalité, augmentation de la DGF en privilégiant la DSR et la péréquation, revalorisation de la Dotation biodiversité et des titres sécurisés, clause de garantie pour les communes nouvelles, stabilisation des indicateurs financiers pour donner de la lisibilité, fonds exceptionnels pour les Départements sans que cela ne soit encore suffisant, déliaison des taux de fiscalité du bloc communal.
Par ailleurs, l’engagement pris par le Président de la République d’ouvrir une réforme d’ampleur de la DGF, suscite une forte attente face à l’épuisement actuel de notre système, mais aussi des inquiétudes si cela devait être à périmètre constant. Elle devra s’accompagner d’une réforme de la fiscalité locale, notamment en lien avec les objectifs du ZAN.
La pérennisation et la réforme des ZRR, devenues FRR (France Ruralités Revitalisation), pour accorder des avantages financiers, fiscaux et sociaux dans les zones rurales afin de renforcer leur compétitivité, est une des principales avancées de ce PLF.
De même, la révision du filet de sécurité électricité pour le cibler sur les foyers qui en ont le plus besoin, et ainsi réaliser 1 milliard d’euros d’économie, est une inflexion raisonnée et progressive à la politique du « chèque généralisé » qui n’est plus possible.
Rappelons enfin que nos collectivités sont bien gérées, font des efforts et ne sont en rien responsables du déficit public. Rogner davantage leur autofinancement mettrait en péril l’investissement public et les services publics locaux. Ce serait une double faute. J’aurai l’occasion d’y revenir à l’occasion d’une prochaine chronique.
Mais par-delà le traditionnel PLF, la fin de l’année 2023 a été aussi marquée par deux autres événements essentiels à la compréhension de nos finances publiques.
D’abord, la France a échappé aux foudres de Standard & Poors, sans pour autant que nous soyons sortis d’une surveillance accrue. L’agence américaine de notation a en effet maintenu la note « AA » de la dette française.
Mais il va falloir vite et vraiment agir car la décision s’accompagne de commentaires montrant l’ampleur de la tâche pour éviter les foudres en 2024, et surtout la perte de confiance de nos créanciers.
Ainsi réduire enfin et vraiment les dépenses publiques et accélérer le désendettement de la France, est plus que jamais indispensable. Force est pourtant de constater que ce PLF 2024 n’y répond pas, malgré les quelques économies trouvées en cours d’examen. La réduction des dépenses publiques ne se fera au mieux qu’à un rythme lent, l’exécutif ne prévoyant pas de ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB avant 2027, ce que nous condamnons.
Le maintien de la note de la dette française est notamment justifié par le fait que l’agence de notation anticipe « une diminution de la dette publique en pourcentage du PIB à partir de 2025, quoique très progressivement », et note en outre que « la répercussion de la hausse des coûts d’emprunt due aux taux d’intérêt élevés sera progressive ».
Bruno Le Maire a certes annoncé le gel de crédits pour 5 milliards d’euros cette année pour tenir l’objectif d’un déficit à 4,4 % du PIB. Notons que ce n’est pas une méthode. Le ministre a également multiplié les déclarations pour relancer les réformes en faveur du plein-emploi et les annonces d’économies dans le budget 2025, vis-à-vis desquelles les collectivités devront redoubler de vigilance. Cela ne fait pas une politique, cela ne répond pas encore aux besoins de réformes structurelles.
Finalement, avec cette décision de S&P qui intervient un peu plus d’un mois après celle similaire prise par l’agence Moody’s, le gouvernement peut donc s’estimer satisfait d’avoir traversé sans trop de casse un automne budgétaire qui s’annonçait pourtant périlleux, avec notamment des taux d’emprunt de la France qui oscillent désormais entre 3 et 3,5 %. Pour autant, le plus difficile est devant l’exécutif. Le feuilleton de la dette française devrait en effet vite revenir, d’autant qu’il se joue dans un contexte de faible historique en matière de réduction des déficits, d’incertitudes toujours aussi fortes autour de la situation budgétaire française et de fragmentation politique accrue.
Le deuxième rendez-vous de cette fin d’année 2023 est celui du Pacte de stabilité. Les Vingt-Sept espèrent un accord mais rien n’est encore acquis.
Le groupe des pays « frugaux » bloque un accord franco-allemand sur le bras correctif des nouvelles règles budgétaires. La Commission européenne s’inquiète de l’introduction de nouvelles rigidités.
Le bras « correctif » des nouvelles règles de gouvernance bloque. Il s’agit des efforts demandés aux États membres en procédure de déficit excessif, quand le déséquilibre des comptes publics dépasse les 3 % du PIB. La règle générale voudrait que le pays concerné réduise chaque année son déficit de 0,5 % de PIB en structurel (en incluant la charge de la dette dans son calcul). Une pente qui, dans le cas de la France, pourrait rendre impossible de nombreux investissements pourtant indispensables pour accélérer la transition verte ou renforcer l’industrie de défense.
Face à la « ligne rouge » posée par Bruno Le Maire sur ce point, Christian Lindner, le ministre allemand des Finances, a mis un peu d’eau dans son vin et a accepté qu’on ne prenne pas en compte, dans le calcul du déficit, la charge de la dette supplémentaire apparue avec la brusque remontée des taux d’intérêt ! En retour, la France a concédé que cette « flexibilité » soit temporaire et ne s’applique que jusqu’à 2027. Ce schéma convient aux quatre premières économies de la zone euro (Allemagne, France, Italie, Espagne). Changer le thermomètre, permet-il de faire baisser la température ?
Las, un groupe de pays naguère désignés comme frugaux, disons conservateurs en matière budgétaire, s’y oppose. Il s’agit notamment de la Finlande, de la Suède, de l’Autriche et des Pays-Bas. Ces États membres semblent toutefois prêts à actionner des leviers pour avancer. Mais à quelle date réelle cela pourra s’appliquer, nul ne peut encore le dire.
La question clé que posent ces négociations est celle de la compétitivité de l’Europe face à la Chine et aux États-Unis, qui investissent massivement dans la défense, les technologies propres et l’IA. Les États de l’UE ont pour ambition de mobiliser les capitaux privés dans ces directions, mais leurs avancées vers une union des marchés de capitaux se font lentement.
Le constat que pose cette séquence, c’est celui de l’affaiblissement de la France dont le désordre des comptes, mais aussi institutionnel, ne permet plus de peser. Les réformes de structures doivent enfin être engagées, même si on peut craindre que les échéances européennes de juin prochain et la perspective de maintenir une « paix sociale » a minima jusqu’aux jeux olympiques, n’invitent encore le Gouvernement à différer la sortie du « quoi qu’il en coûte », toujours présent dans ce PLF 2024. Bref, nous procrastinons dangereusement.