Depuis plusieurs années la situation du travail social a connu un effort de définitions et de requalifications des professionnels qui l’exercent.
En revanche, ils sont passés à côté d’une dimension centrale que la crise sanitaire va faire émerger, celle de la qualité du travail et du sens qui lui est donné au quotidien.
Le travail demeure une question centrale qui s’articule avec la vie personnelle et familiale, vecteur d’épanouissement, porteur de sens, et pourvoyeur d’un salaire décent.
C’est l’objectif que c’était fixé le livre blanc du travail social après le livre Vert en 2022.
Après un an de travail, le livre blanc a été remis au gouvernement le 5 Décembre 2023 en présence de 5 ministres venus à la cité du refuge (gérée par la Fondation de l’armée du salut) créée par Le Corbusier, pour sa présentation officielle.
Son contenu a provoqué enthousiasme et espoir chez les travailleuses sociales (terme utilisé car 9 professionnelles sur 10 sont des femmes, afin d’éveiller les consciences sur la question du genre) tant on y retrouve les préoccupations auxquelles elles sont confrontées.
Des sessions de 5 journées rassemblant jusqu’à 700 participants, 42 auditions, 40 heures d’échanges entre personnes accompagnées, professionnelles, étudiants, formateurs, universitaires ont eu lieu auxquels se sont ajoutées des contributions d’organismes, membres du HCTS.
La qualité du travail produit explique l’intérêt de ce livre blanc adopté à la quasi-unanimité.
Comme le rappelle Mathieu KLEIN, Président du Haut Conseil du Travail Social (HCTS) dans l’éditorial du livre « rappelons d’une manière simple et objective, que sans les travailleuses sociales plus de 1 million dans les EHPAD, les crèches, maisons de solidarités, lieu d’accueil de l’enfance protégée où au domicile auprès des personnes en situation de handicap, il n’y a pas de politique d’État providence, il n’y a pas de solidarité ! »
Aurore BERGE, Ministre des solidarités et des Familles a répondu « ma conviction est que l’action sociale est un formidable outil de transformation sociale et non un empilement de dispositifs de textes, de réglementations, de protocole, de contractualisation où d’appels à projet ». Elle a également annoncé la création d’un institut du travail social.
5 jours plus tard, elle livre le fond de sa pensée en annonçant des mesures répressives comme la condamnation de parents d’enfants mis en cause à des travaux d’intérêt général. Cette attitude lui a valu, dès la mise en place de la Commission Parentalité, une réaction de ses 2 Présidents qui ont tenus à déclarer « ils sont animés par le soutien à la Parentalité, notre angle, c’est la prévention ». 2 autres membres de la Commission ont démissionné pour protester contre les annonces de la Ministre.
De son côté Daniel GOLDBERG, Président de l’Uniopss porte un jugement sur les déclarations des Ministres : « j’apprécie tous les mots de compassion, mais la compassion n’est pas l’action ».
Quant à l’Association nationale des assistants sociaux (ANAS), très déçue par l’incompréhension du gouvernement sur ce que revêt le travail social, elle redoute « la catastrophe à venir pour ce secteur qui perd des forces vives ».
Selon Mathieu Klein, le mot crise n’est pas assez fort vu la colère des professionnels après les 14 propositions arrêtées par l’instance consultative â l’issue des travaux.
14 RECOMMANDATIONS FACE A UN CONSTAT DE CRISE DE L’ATTRACTIVITÉ.
Le livre blanc est une alerte pour les Pouvoirs Publics. Jamais ce secteur n’a connu une crise aussi intense tant par les difficultés de recrutement que par la baisse d’intérêt des jeunes générations qui se détournent des écoles de formation. Le travail social « est dans une situation de rupture », comme l’a dénoncé le Conseil national de protection de l’enfance (CNPE) en réclamant un plan Marshall.
50000 postes vacants, 150000 départs en retraites annoncés d’ici 2025 au sein de 35000 établissements du travail social ! C’est une baisse des services rendus aux Français. Ce fut le cas en 2022 dans les EHPAD ou dans les crèches avec des maltraitances et des fermetures d’établissements dues aux postes non pourvus, où à la protection de l’enfance où des délais d’attente atteignaient 12 mois pour une mesure éducative décidée par la justice.
Cette situation perdure. La Première Ministre avait annoncé au Congrès des Départements de France « un temps fort entre le gouvernement et les Présidents des Conseils Départementaux ». Il a eu lieu le 12 Décembre et la Secrétaire d’tat à l’Enfance a reporté sa réponse en Juin 2024, proposant d’ici là d’organiser des groupes de travail similaires aux thèmes évoqués dans le livre blanc comme celui sur l’attractivité des métiers !
Sur ce sujet le livre pose 5 constats qui vont de la perte de sens à la bureaucratisation du travail social, l’accroissement des normes des procédures et des dispositifs. Il oppose les conditions d’une autonomie d’action professionnelle à l’incontournable problématique des conditions de travail et de formation par une consolidation des connaissances et l’articulation des instituts de formations et des Universités.
L’ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS…UNE URGENCE !
Pour retrouver une attractivité, il invite à une revalorisation rapide des salaires qui ont faiblement évolués depuis les années 2000 et restent hétérogènes dans le secteur. Ainsi les travailleuses sociales du privé possèdent un salaire globalement plus défavorable que celles du public. Il devient urgent « d’agir et structurer l’environnement par la mise en place d’une convention collective unique et étendue. (CCUE) et d’un comité de métiers du travail social ».
Je défends que les salaires des travailleurs sociaux soient identiques à ceux envisagés pour les enseignants : pas de salaire à moins de 2000€ mensuels.
Autre question, celle des ratios d’encadrement qui, insuffisants, engendrent un recours aux intérimaires ou aux CDD pour remplacer les professionnels absents avec des coûts supplémentaires et la discontinuité dans les accompagnements, aggravant encore des conditions de travail difficiles.
Le livre blanc note qu’en 2020 plus de 4,5 millions de journées ont été perdues dans les EHPAD et services à domicile, soit une moyenne de 12 jours d’absence par salarié pour cause d’accidents de travail.
Un autre aspect concerne le collectif de travail qui s’appuie sur les enjeux professionnels et éthiques. Il imagine des espaces de paroles où les professionnelles peuvent reprendre collectivement le sens de l’action.
Cela implique d’élargir l’espace classique de la supervision ou de l’analyse des pratiques professionnelles. Les transformations positives du management seraient ainsi capables de soutenir des espaces collectifs de délibérations susceptibles de réguler les désaccords et passer ainsi d’un espace de décision solitaire à des espaces collectifs de travail. Passer de l’impuissance au pouvoir d’agir !
Mon expérience à l’ASE m’a montré que l’on doit en finir avec l’isolement des éducateurs cités en référence au collectif de travail, comme si les enfants étaient confiés à une personne alors qu’ils sont confiés à un service sous la responsabilité du Président du Conseil Départemental.
Je vais même plus loin en pensant, comme à l’hôpital, expérimenter des staffs quotidiens permettant une décision collective face à des situations complexes. La même proposition pourrait concerner les autres services du travail social et ainsi souligner la responsabilité collective de chaque professionnel.
ATTIRER LES JEUNES VERS LES METIERS DU SOCIAL
Le livre blanc consacre un chapitre au besoin d’attirer et former une nouvelle génération de travailleurs sociaux. Comment donner l’envie, au-delà des stéréotypes de genre et de représentation sur l’aspect vocationnel des métiers, de s’engager dans les professions d’accompagnement social.
C’est un défi qui nécessite de reconsidérer le rôle essentiel des professions du secteur social et médico-social auprès des personnes en situation de vulnérabilité et d’organiser une communication â grande échelle, par les plateformes des acteurs de l’orientation.
Cela interpelle les enjeux de la formation et des recherches sur le sujet avec la création d’un observatoire des emplois et des compétences pour améliorer la lisibilité et la structuration du paysage des certifications professionnelles.
Autre sujet abordé, le genre, qui reste minoritaire dans le secteur du travail social. Pourtant l’intégration du genre permet de penser et de reconnaître la place et le rôle du
« Care », c’est à dire des activités de soin dans le projet de travail social de la société d’aujourd’hui.
La formation initiale et continue constitue un levier essentiel pour accompagner la transformation de l’intervention sociale en améliorant les relations entre le monde professionnel et les établissements de formation.
L’objectif est de construire un parcours académique complet allant jusqu’au doctorat et mieux travailler la question des passerelles depuis les autres métiers. La valorisation des acquis de l’expérience permettrait de diversifier les voies d’accès du travail social.
Je préconise depuis plusieurs années, de proposer des formations rémunérés sous forme de bourses contre une obligation de servir 3-4 ans après le diplôme, comme viennent de le faire les Départements du Nord et de la Seine Saint Denis. C’est une condition du maintien des professionnels sur le territoire.
Alors quelles conclusions tirer de ce livre blanc ?
Une réaction de Roland GIRAUD, un des animateurs du livre est que « la suite dépendra de la capacité du gouvernement d’agir en interministériel et celle des acteurs d’agir ensemble au-delà des chapelles, comme ils ont su le faire avec le livre blanc ». Encore faut-il qu’il ne rejoigne pas les placards du Ministère !
Mathieu KLEIN a annoncé la constitution d’un Comité de suivi du livre blanc. « Il s’agit de préparer, d’améliorer et d’anticiper les conditions nécessaires pour se projeter dans un nouvel horizon émancipateur du travail social, à la hauteur de son potentiel, et construire des solutions durables par-delà les réponses immédiates de la gestion de l’urgence ».
Les 5 Ministres présents ont reçu les propositions du HCTS. On attend maintenant du Gouvernement, comme des collectivités, des associations ou des partenaires sociaux que le livre blanc soit la feuille de route et que les propositions qu’il contient soient discutées dans chaque territoires. Ces métiers représentent ceux du lien et de l’accompagnement social et méritent d’être mieux reconnus, valorisés et rémunérés.