Spécialisée en communication, Cécile DELOZIER accompagne des élus dans leur prise de parole partout en France.
Elle conseille des élus locaux, des parlementaires mais aussi des candidats aux élections dans leur stratégie de communication et leur capacité à persuader et à convaincre en présentiel ou dans les médias.
Sa pédagogie est fondée sur la bienveillance afin de développer la confiance en soi et pouvoir ainsi réaliser des performances.
La rédaction : Que pensez-vous de l’élection du président d’extrême droite et ultra libéral Javier Milei en Argentine ?
Cécile Delozier : Cette élection est d’autant plus très intéressante à observer du point de vue de la communication qu’elle se situe loin d’ici, que nous n’avons eu accès qu’ à très peu d’images et que les reportages que nous pouvons découvrir sur le net sont un résumé très dense et concis de la campagne. Notre perception n’est donc pas parasitée par l’habitude générée inévitablement par la redondance du bain d’informations nationales dans lequel nous sommes plongés chaque jour. L’expérience visuelle d’observer le président de 45 millions d’habitants est donc vierge. L’effet est saisissant !
LR : Qu’est-ce qui vous frappe le plus ?
CD : L’outrance, l’exubérance bien sûr. La communication non verbale plus encore que le discours. L’image du candidat ultra libéral, les yeux exorbités, brandissant une tronçonneuse rouge pour illustrer les coupe sombres dans le budget de l’État relève d’une imagerie théâtrale qui rappelle la farce. Lorsque j’étais metteure en scène, j’ai monté la fameuse pièce de Ionesco « Ubu roi », une farce qui mêle provocation, absurde, satire et parodie du pouvoir. J’avoue que ces images de meeting de Javier Milei équipé de cet outil destructeur m’a évoqué les scènes de démence d’Ubu qui, pris d’un désir de purge de l’élite, se met à précipiter les Nobles dans une trappe en scandant comme une ritournelle « A la trappe ! ». Ce personnage terrifiant en pleine crise de démence est lui fictif… Javier Milei lui est bien réél même s’il semble frappé d’irréalité.
LR : Vous avez recours à l’analyse littéraire pour éclairer la vie politique ? N’est-ce pas dangereux ?
CD : Vous avez raison, quand l’outrance est telle que notre esprit se croit projeté dans un monde imaginaire, cela doit nous interpeller sur les rouages du système démocratique. Si pour exister et plaire au plus grand nombre, un candidat doit emprunter les codes de la farce, de l’univers ludique des playmobiles, le fonctionnement démocratique doit être interrogé. Le citoyen aujourd’hui est destinataire d’une profusion d’images et de messages : plus de 3 à 4 heures d’écran par jour en moyenne. Ce fait -regrettable si l’on veut- est totalement incontournable ! La question se pose alors pour un candidat de trouver un moyen de toucher les électeurs et de faire saillie dans le flot indistinct et anesthésiant des images pléthoriques. Javier Milei, inconnu il y a deux ans, a réussi par l’exubérance de ses postures et de son positionnement extrêmiste.
LR : Pensez-vous que cela puisse arriver en France ?
CD : On ne sait jamais… D’un côté, il me semble que l’imaginaire français du pouvoir est plutôt tourné vers la sagesse. Nos élus sont posés et l’excentricité n’est pas bien considérée. Souvenons-nous du débat du second tour de la présidentielle où Marine Le Pen s’était disqualifiée par des gestes inappropriés et des émotions exacerbées. Souvenons-nous du travail de contrôle de ses mouvements d’épaule qu’avait fait Nicolas Sarkozy durant l’année précédant son élection pour paraître plus rassurant. Et enfin observons que les outrances comportementales et idéologiques de Jean-Luc Mélenchon participent à faire s’effriter son parti. D’un autre côté, le taux d’abstention étant croissant, on peut craindre que seule une personnalité politique atypique puisse réveiller ces électeurs. Espérons que si cela arrivait, cela soit au service du meilleur et non du pire !