En prévision du comité interministériel annoncé par la Première ministre lors de la clôture des Assises nationales des départements le 10 novembre dernier, (voir dossier spécial), le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), le Conseil national de l’adoption (CNA), et le Conseil d’orientation des politiques jeunesse (COJ) demandent un « plan Marshall pour la protection de l’enfance » qu’ils ont élaboré. Ils soulignent également la nécessité d’un « renforcement des coopérations État-départements » et de la mobilisation de tous les acteurs de la société civile.
Lors d’une conférence de presse conjointe le 16 novembre 2023, ces conseils, accompagnés de l’Uniopss et d’élus de diverses collectivités, ont présenté leur unité face à une « crise grave, inédite, multifactorielle » dans la protection de l’enfance.
Anne Devreese, présidente du CNPE, a évoqué cette crise malgré les progrès considérables réalisés ces dernières années et l’engagement inébranlable des professionnels. L’accroissement de l’activité en protection de l’enfance, combiné à des difficultés financières et de recrutement, crée une saturation des dispositifs d’accueil et d’accompagnement.
Selon une étude de l’Uniopss portant sur 314 établissements et services du réseau Uniopss-Uriopss, le secteur de la protection de l’enfance connaît des difficultés de recrutement généralisées, avec un taux moyen de postes vacants de 9 %. Cette situation entraîne le recours à l’intérim, touchant 40 % des répondants et représentant un coût élevé pour les établissements et services.
Face à ces défis, 20 % des établissements ont été contraints de réduire leur capacité d’accompagnement, et 5 % ont dû fermer totalement leurs services en semaine ou les week-ends. De plus, 45 % des structures accompagnent des enfants dont les profils ne correspondent pas aux projets établis, principalement des enfants en situation de handicap.
Eve Robert, DGA Solidarités du département de Seine-Saint-Denis, souligne que 10 à 20 % des enfants présentent une double vulnérabilité, avec un handicap et une mesure de protection de l’enfance. Elle insiste sur le besoin de solutions plus diversifiées pour la prise en charge du handicap, soulignant les retards dans la création de places dédiées.
Les acteurs de la protection de l’enfance attendent également les résultats des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, avec un accent particulier sur le développement des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger.
Le COJ alerte sur le risque que les jeunes majeurs deviennent la « variable d’ajustement » des départements dans un contexte financier tendu. Les retards dans l’exécution des décisions de justice sont également soulignés comme une faille du système, préjudiciable aux enfants et à la crédibilité des institutions.
En conclusion, Monique Limon, présidente du CNA, déclare que tous sont prêts à contribuer à la mobilisation générale demandée par Élisabeth Borne le 10 novembre dernier, soulignant l’urgence d’obtenir des moyens et des ressources humaines
Annonce d’Elisabeth Borne
Ce plan 2023-2027 contre les violences faites aux mineurs est composé de 22 mesures :
1.La création d’un office central de lutte contre les violences faites aux enfants.
2.La mise en œuvre d’une grande campagne nationale sur les violences sexuelles faites aux enfants.
3.La création d’une cellule de conseil et de soutien pour les professionnels.
4.L’inscription dans la loi du retrait de l’exercice de l’autorité parentale en cas de condamnation pour violences sexuelles incestueuses.
5.L’accompagnement personnalisé des enfants tout au long du processus pénal.
6.Le déploiement national des unités d’accueil et d’écoute pédiatriques (UAPED).
7.La généralisation du contrôle des antécédents judiciaires pour tous les intervenants auprès des enfants.
8.Le renforcement et cohérence du contrôle des incidents pendant les activités périscolaires et extrascolaires.
9.La lutte contre la prostitution des mineurs et amélioration du repérage.
10.La création d’une plateforme d’écoute au sein du GIP France Enfance Protégée.
11.Le renforcement de l’action de l’État pour les enfants vulnérables et protégés.
12.La concertation sur la mise en place d’un service public de la petite enfance.
13.L’amélioration de la prise en charge des enfants protégés porteurs de handicap.
14.La promotion de dispositifs innovants pour les enfants protégés en situation de handicap.
15.La prolongation des expérimentations « Santé protégée » et « Pégase ».
16.Le lancement des Assises de la santé des enfants et de la pédiatrie.
17.Le renforcement des mesures de prévention, comme le brossage de dents en milieu scolaire.
18.La généralisation de l’expérimentation « Retrouve ton cap » pour la prévention du surpoids.
19.Une protection des enfants dans le champ numérique.
20.Le lancement d’une étude sur la santé mentale des enfants.
21.La structuration de la seconde vague des 1 000 premiers jours pour soutenir la parentalité.
22.Le renforcement et extension de l’offre de soutien à la parentalité.
Réaction de Départements de France.
Un plan encore très insuffisant au regard des enjeux S’ils se réjouissent [les Départements] de la prise de conscience que traduit ce plan, ils ne peuvent que déplorer le manque de moyens qui y est associé.
« Il est important de prévenir et d’agir ensemble pour la prévention des violences faites aux enfants. France Enfance Protégée s’est déjà impliquée dans le sujet en ayant entre autres un plan de renforcement du 119 et en créant une cellule de prévention de la prostitution », indique Florence DABIN, Présidente du Maine-et-Loire et de France Enfance protégée, tout en ajoutant : « les mesures annoncées sont décevantes. Certes le développement des Unités d’Accueil Pédiatriques pour l’Enfance en Danger ou de leurs antennes en lien avec les associations et les médecins disponibles sur le territoire est intéressant.
Mais les propositions sont insuffisantes pour assurer le développement des enfants avec de multiples fragilités et leur construire un vrai projet de vie. Les moyens manquent et les Départements se trouvent bien seuls. Aujourd’hui j’adhère à la mobilisation générale. Nous réaffirmons notre volonté de travailler ensemble, de manière coordonnée, en évaluant préalablement les 1 000 premiers jours, la stratégie nationale de la prévention et protection de l’enfance pour élaborer les mesures les plus pertinentes entre l’État, les Départements et les associations notamment au sein de France Enfance Protégée dont c’est l’ambition ! ». La protection de l’enfance est une affaire complexe où les Départements et l’État ont chacun leur rôle à jouer.
Les Départements consacrent aujourd’hui 10 milliards d’euros à la protection de l’enfance, soit une progression de 30 % depuis 10 ans. L’aide sociale à l’enfance n’est pas qu’une affaire de budget, c’est aussi une question beaucoup plus large qui implique une approche circulaire avec l’ensemble des acteurs, particulièrement l’État. « Depuis des mois, nous ne cessons d’alerter le Gouvernement sur l’absence de réponse de l’État en matière de Justice comme de Santé » a déclaré François Sauvadet, Président de Départements de France.
« Les Départements peuvent et font beaucoup, mais ils ont besoin que l’État forme des pédopsychiatres et assure la prise en charge des mineurs délinquants. Laisser des enfants ayant de graves troubles psychologiques ou des délinquants chevronnés dans nos structures, ce n’est absolument pas compatible avec la protection que nous devons aux autres ni avec celles de nos agents qui ne sont pas formés pour cela.
Nous n’avons pas besoin de 10 délégués départementaux aux côtés des Préfets, mais nous sommes preneurs de 10 pédopsychiatres et de 10 centres éducatifs fermés ! ». La tension sur les structures de l’Aide Sociale à l’Enfance est encore accentuée par l’arrivée massive de Mineurs Non Accompagnés avec la reprise des flux migratoires, rendant incertaine l’application des mesures d’interdiction de placement en hôtel prévues dans la loi Taquet. Ces solutions doivent être maintenues, à titre dérogatoire tant que les tensions persistent, avec un accompagnement de nos professionnels. « Nos centres d’accueil et nos personnels sont débordés, la situation dans les Alpes-Maritimes comme dans beaucoup d’autres Départements est intenable », indique Charles-Ange Ginesy, Président des Alpes-Maritimes. « Vouloir interdire le recours aux placements dans des structures hôtelières revient à mettre tous ces jeunes à la rue, ce n’est juste absolument pas réaliste ! »
[…] La question de la revalorisation des métiers du social est une question qui se pose, aussi bien dans le secteur de l’enfance que dans l’accompagnement des personnes fragiles et l’aide à domicile.
Les Départements n’ont plus d’autonomie fiscale, ils dépendent des dotations de l’État. Si celui-ci veut rendre ces métiers plus attractifs financièrement, qu’il commence par augmenter nos moyens.
Lors des Assises des Départements qui se sont tenues du 8 au 10 novembre dernier en Alsace, la Première ministre a annoncé la mise en place d’une concertation entre le Gouvernement et les Départements autour des questions de la protection de l’enfance. « Les Départements attendent beaucoup de ces discussions avec le Gouvernement. »