L’examen du projet de loi de finances (PLF) occupe chaque année le Parlement d’octobre à décembre. C’est le rendez-vous majeur de la vie démocratique de notre pays, celui qui fixe la ligne de partage entre une majorité et son opposition, au niveau de l’État comme de nos collectivités. C’est en ce sens le rendez-vous majeur qui fixe le cap d’une politique, qui arrête le niveau des ressources, et en particulier le cadre des prélèvements obligatoires qui fondent notre pacte républicain au travers du consentement à l’impôt, mais aussi le niveau des dépenses, des services publics et des investissements.
Le budget doit traduire le Pacte républicain
Le but de cette chronique n’est pas d’en faire une tribune d’expert, ni de renvoyer à une litanie de chiffres et de ratios, mais plutôt de tenter une lecture politique, au sens de l’organisation de la cité, de ce qu’est un budget. Les responsables locaux le savent parfaitement, nos dirigeants nationaux semblent parfois l’avoir oublié, tant l’écart entre l’exécution et la prévision s’amplifie, un budget traduit une orientation politique, une volonté, un chemin, qui s’il est contrôlé par notre système institutionnel, est surtout soumis à la sanction des citoyens, des électeurs.
Ainsi, ce PLF, comme celui de l’année passée, pose d’abord une question démocratique. Adopté à grand renfort de 49-3 à l’Assemblée nationale, faute de majorité absolue, mais aussi de majorité de projet, il ne permet plus qu’un débat limité en commission des finances et plus aucun débat ou presque en séance publique. Si cela est juridiquement et constitutionnellement juste, c’est démocratiquement contestable. La représentation nationale est en effet largement privée de l’expression que chaque citoyen représenté est en droit d’attendre. Heureusement, notre bicamérisme permet que ce débat de fond ait lieu au Sénat même si le Gouvernement ne retient trop souvent qu’une part congrue des travaux que nous réalisons. Ce fut en toute hypothèse largement le cas il y a un an pour le PLF 2023, ne préjugeons pas encore de ce qu’il en sera pour 2024. J’en viens maintenant au fond, à ce que signifie les
« chiffres » qui nous sont soumis.
2024 : 50 ans de déficits
Le projet de loi de finances pour 2024 tel qu’il fut soumis à la représentation nationale au Sénat, nous livre un « déficit extrême », inédit, à contretemps de la hausse des taux d’intérêt que nous subissons et de la charge de la dette qui est en train d’exploser sous le triple effet de l’inflation, de l’augmentation des taux d’intérêt et surtout de l’accroissement de notre dette. Pire encore, en 2024, l’État prévoit d’émettre une dette record de 285 milliards d’euros, essentiellement pour financer ses dépenses courantes. Notre addiction à la dépense publique, à la dette souscrite pour fonctionner et non pour investir, reste bien présente. L’analyse des raisons qui y président serait sans doute désormais plus psychanalytique qu’économique. Je m’en garderai donc bien. Mais rappelons tout de même quelques caractéristiques fondamentales de la copie 2024 présentée par le Gouvernement.
Un PLF triplement inquiétant qui continue à précipiter notre pays vers des abîmes
D’abord un optimisme des prévisions macroéconomiques : hypothèse de croissance très favorable, supérieure à toutes celles réalisées par tous les organismes économiques ; taux d’inflation et de chômage, productivité, solde commercial… toujours pris au meilleur des possibilités… Cette posture interroge sur la sincérité même de ce budget qui pourrait encore être davantage dégradé du fait d’un contexte de resserrement de la politique monétaire et d’incertitudes grandissantes au niveau géopolitique.
Ensuite, ce PLF est caractérisé par un déficit public qui est le deuxième le plus élevé de la zone euro (4,5 % du PIB) et qui représente 45,7 % des ressources de l’État. La France reste en outre le troisième pays le plus endetté de la zone euro (109,7 points du PIB), avec une hausse de près de 12 points depuis 2017, et alors que l’Allemagne se situe à peine au-dessus de 60 points. La charge de la dette sera le premier poste budgétaire de l’État en 2027 en s’élevant à 84 milliards d’euros, elle se situe déjà à 56 milliards d’euros dès 2024, et encore on peut penser que l’ensemble des facteurs qui l’impactent, tel qu’évoqué ci-dessus, pourrait le propulser plus haut encore. Rappelons que le stock de la dette publique française dépasse désormais les 3000 milliards d’euros. Chacun doit s’en imprégner, même si personne ne peut réellement mesurer ce que cela représente. On pourrait toutefois dire que cela constitue pour chaque français, du nouveau-né au doyen, une dette de l’ordre de 46 000 euros.
Enfin, ce PLF acte des dépenses publiques toujours en augmentation qui représentent 100 milliards d’euros supplémentaires en deux ans malgré le retrait des mesures de crise. L’occasion de rappeler que seul l’État est responsable du déséquilibre des comptes publics, puisque les collectivités sont tenues de voter leur budget à l’équilibre et que les dépenses sociales seront au quasi équilibre en 2024. Le maintien d’une dérive toxique dû « quoi qu’il en coûte » avec des dépenses de l’État toujours en hausse (+ 22,3 % depuis 2017) dans pratiquement tous les ministères. Ce qui est peut-être encore plus frappant dans ce PLF c’est la création de 8500 emplois publics supplémentaires sans réelle réflexion de fond sur nos politiques publiques et qui ne manquent pas d’interroger au regard de l’efficacité de nos services publics et plus encore du poids de « l’administration administrante » dans tous les secteurs publics. Cela a largement été dénoncé dans les hôpitaux publics lors de l’épisode le plus aigu de la crise du Covid, mais cela semble tout aussi vrai dans l’éducation nationale, sans parler des agences et des autorités indépendantes que le Gouvernement a multiplié au cours de ces dernières années.
Ainsi, trois pistes d’économie me semblent devoir être mises en œuvre en responsabilité de manière urgente et sans que cela ne puisse s’apparenter à une quelconque rigueur susceptible de casser une croissance déjà fragile. Tout d’abord, il s’agit de réduire la dépense fiscale et sociale, c’est-à-dire les niches fiscales et sociales, qui représentent un volume cumulé de près de 150 milliards d’euros. Beaucoup sont utiles, certaines sont obsolètes et surtout toutes doivent être bornées dans le temps, pour permettre une incitation efficace. Ensuite, il convient d’être attentif aux effectifs publics qui génèrent durablement de la dépense publique, tout en veillant à un bon niveau de service public. Pour les diminuer, tout en accroissant les effectifs produisant le service public, il faut s’engager vers une réduction drastique des effectifs de « l’administration administrante », c’est à dire celle qui gère, contrôle, norme… et ne produit pas de service public, dans un objectif de tendre vers un rapport de 80/20 : 80 % de la masse salariale devant élèves, devant patients, devant citoyens à protéger… et 20 % maximal pour gérer ces services. La dernière piste d’économie consiste à réaliser une revue drastique de nos dépenses publiques, en commençant par les dérives nées de l’agencification de la sphère publique et à la multiplication des doublons administratifs dus en partie à une décentralisation ou à déconcentration non aboutie.
Un premier pas, douloureux, mais indispensable
Voilà quelques pistes qui pourraient constituer une boussole pour une sphère publique plus libre, plus responsable, plus efficace, plus pragmatique, plus proche… telle que les français sont en droit de l’attendre. Cela impose que chaque niveau public soit en charge de compétences claires et que chaque compétence soit pleinement exercée à un seul niveau. Exercer une compétence s’entend avec une autonomie financière et juridique pleine et entière, dans un cadre de cohésion républicaine pleinement établie.
Cette clarté d’exercice autonome des responsabilités, comme l’engagement dans une trajectoire vertueuse de gestion de nos dépenses publiques, est une condition nécessaire au retour à une réelle souveraineté qui passe d’abord par notre indépendance financière, mais plus encore à une confiance retrouvée de nos concitoyens en leurs institutions publiques. Ce n’est que le premier pas, sans doute le plus douloureux, mais il est indispensable.