Quelle est votre vision des enjeux de transition ?
L’année 2022 a été un tournant dans la prise de conscience de l’urgence des enjeux écologiques, les records de chaleurs se combinant à l’explosion des prix de l’énergie. Cet électrochoc a été l’occasion de prendre conscience de la brûlante nécessité de la transformation écologique et de la décarbonation de notre économie. Dans les collectivités locales, cela s’est senti à tous les niveaux, des régions aux plus petites communes rurales, et s’est incarné très rapidement dans les décisions concernant notamment l’éclairage public, la rénovation énergétique des bâtiments ou le souhait de produire de l’énergie renouvelable.
Même si certaines voix se font encore malheureusement entendre, notamment à l’étranger, nous avons clairement franchi une étape : celle de la prise de conscience collective. Les rapports du GIEC ne sont plus contestés, le principe du réchauffement climatique et des dérèglements induits est compris et l’écologie est désormais un sujet transverse à tous les courants politiques et non plus un objet à part.
Vient le temps de l’action. Et il est difficile. Nous sommes, en tant qu’acteurs publics, confrontés à une ardente obligation d’agir. Mais ce sera un chemin compliqué, qui demandera une grande persévérance, une acceptation par chacun de nouvelles contraintes voire d’une baisse de ses droits et libertés, une évolution profonde de nos structures administratives et de nos mécanismes économiques… et des financements colossaux.
Quelles sont les stratégies de transition engagées par la Banque des Territoires ?
La Caisse des Dépôts a décidé de mobiliser 100 Mds€ sur les 5 prochaines années pour financer la transformation écologique de notre pays, en particulier à travers la Banque des Territoires et BPI France.
La Banque des Territoires participe donc à la mobilisation de ces financements sans précédents qui seront indispensables à la transformation écologique en prêtant et en investissant dans des projets concrets et ambitieux visant à réduire l’empreinte carbone, à promouvoir les énergies renouvelables et à encourager la sobriété et l’efficacité énergétiques.
Ainsi, aujourd’hui, 13 % de la puissance en énergie renouvelable installée en France est financée par la Banque des Territoires. Nous poursuivons notre engagement en investissant continuellement dans ce secteur, avec pour objectif de contribuer en moyenne à 20 % de la capacité nouvelle prévue chaque année.
La production d’énergie n’est pas le seul enjeu en matière de transition, la meilleure énergie restant celle que l’on ne consomme pas… Or en France, le bâtiment est le deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre. Il représente à lui seul 27 % des émissions de CO2 et près de 45 % de la consommation d’énergie finale.
La Banque des Territoires est donc pleinement engagée auprès des collectivités pour la rénovation massive des bâtiments et de l’éclairage publics. Elle est partenaire de l’État sur les ambitions de rénovation des écoles à travers le programme Edurenov. Elle propose aux collectivités des financements bonifiés pour accélérer les investissements dans ce domaine, alors même que les projets sont rendus plus difficiles par la hausse des coûts de la construction et des taux. Elle intervient également auprès des bailleurs sociaux avec des prêts dont le taux est réduit à la lumière de leurs engagements en termes de rénovation énergétique.
Enfin, les stratégies de transitions doivent inclure la méthode pour agir et la Région a fait de la
« territorialisation » de son organisation et de son action un leitmotiv. Ainsi, 12 Maisons de Région accueillent du public sur tout le territoire, et veillent à nourrir du terrain les politiques régionales et à assurer ensuite leur mise en œuvre.
Quels sont les projets que vous portez en Auvergne-Rhône-Alpes ?
La région Auvergne Rhône Alpes est un territoire à forts enjeux, à la fois leader sur les questions industrielles, sur les services et sur l’agriculture, confronté aux défis des grandes métropoles dynamiques comme des territoires ruraux.
Par exemple, elle dispose d’un appareil de production d’énergie provenant de sources renouvelables qui couvre plus d’un tiers des besoins énergétiques. La Banque des Territoires est l’un des principaux actionnaires de CNR, producteur de l’électricité hydraulique sur le Rhône. Elle est engagée, aux côtés de la Région, de Michelin et d’Engie, dans la construction de stations de distribution d’hydrogène au sein de la société Hympulsion.
Nous nous engageons sur du très long terme pour aider les collectivités à financer la transformation de leurs réseaux et infrastructures. Par exemple dans les domaines de l’eau potable et de l’assainissement. En 2022, nous avons réalisé une trentaine de prêts pour un total de 27 M€ dans ce domaine. Nous pouvons prêter jusqu’à 60 ans pour accompagner ces investissements et nous travaillons sur le petit comme sur le grand cycle de l’eau avec nos partenaires, service préfectoraux, collectivités, agences de l’eau…
Nous proposons depuis 2021 une offre innovante adaptée à la logique du financement de la transition écologique, une avance remboursable que nous dénommons « intracting », qui permet aux collectivités qui souhaitent rénover énergétiquement leurs bâtiments publics de contracter un prêt dont les remboursements seront calculés pour correspondre aux économies d’énergie réalisées. Le coût budgétaire est donc neutre. Nous avons porté un tel projet avec le département du Rhône pour la rénovation de leurs collèges. Cela a nécessité de la part des services financier et technique de la collectivité un vrai travail pour mesurer et optimiser les économies d’énergie dans le projet global de rénovation. Nous avons communiqué ensemble sur ce projet car il montre que le financement écologique fait partie d’un projet écologique.
Quel est selon vous le rôle des DGS de collectivité dans ces projets de transition ?
J’ai été DGS de collectivité pendant quelques années, et j’ai la chance désormais de travailler avec nombre d’entre eux. Je dirais que sans leur conviction et leur capacité d’entraînement des services, rien ne se fera ou en tous cas, on restera dans des transformations superficielles. Travailler sur les transitions nécessite de modifier en profondeur les modes de gestion et de bousculer les habitudes des agents pour mettre en œuvre la vision politique d’un monde plus durable. Il faut une compréhension transverse des politiques publiques et de l’action des différents services, et savoir porter les relations avec les partenaires institutionnels des collectivités et les services de l’État.
Par exemple, rénover une école, ce n’est plus seulement changer les sols et refaire les peintures. C’est penser l’alimentation énergétique différemment, jusqu’à l’autoconsommation, c’est travailler sur des usages plus durables avec les enseignants (sur la végétalisation des cours d’école par exemple), c’est transformer le bâti en profondeur… c’est financer sur le long terme pour pouvoir en faire plus tout de suite.
La pierre angulaire de ces projets complexes, c’est le DGS.
Quels enseignements en tirez-vous en matière de conduite des projets de transition ?
Que ce sont des projets profondément collectifs…
Pensez vous que l’on conduit des projets de transition comme des projets plus classiques de modernisation ou de changement ?
Les collectivités locales sont agiles. Elles sont habituées aux défis, aux réorganisations, aux transferts de compétences. Chacune des grandes étapes de changement qu’elles ont connues ces dernières décennies a été particulière et complexe à mettre en œuvre.
Je suis convaincue qu’elles sauront faire, dans cette alliance efficace qui est la leur entre le niveau politique et l’administration.
Les objectifs de transition vont demander des décisions politiques lourdes. Elles seront en partie orientées vers la sobriété, elles impliqueront probablement une diminution des droits et libertés des citoyens, puisque la liberté de polluer s’arrête là où commence celle des autres à bénéficier d’un environnement sain. C’est le cas par exemple des décisions concernant la circulation, en particulier sur les zones à faible émission.
Ce sont aussi des projets qui constituent des murs en termes de montants d’investissement. Et qui ne génèrent pas forcément d’activité économique ou de rentabilité intrinsèque, comme peut le faire la construction d’une autoroute à péage… À terme, des marchés vont se créer. La réflexion s’engage ainsi autour de l’artificialisation des sols et de la protection de la biodiversité : la question de la compensation foncière est cruciale pour permettre de continuer le développement en zone tendue tout en renaturant des espaces en déprise.
Et puis, les collectivités vont avoir besoin d’être accompagnées en financement de long terme. Un réseau d’eau dure 60 ans. Il doit être financé sur 60 ans. L’alternative n’est pas de le financer sur 15 ans. Elle est de ne pas faire du tout, car le poids d’une dette portée sur 15 ans pour un actif de long terme est trop lourd. C’est là que la Banque des Territoires joue un rôle majeur. Du fait de notre statut public, nous portons une promesse de confiance et de durabilité. Notre ressource principale est le livret A, qui a porté les grands projets structurants de notre pays depuis 1818. Il portera la transformation énergétique et écologique, qui a besoin d’une épargne de confiance, de stabilité et de long terme.
Quel impact cette démarche a sur vos collaborateurs ?
Nous sommes tous confrontés, en tant qu’employeur, à la nécessité de faire évoluer la culture de nos organisations, afin de créer le
« réflexe » écologique chez chacun de nos collaborateurs. Il faut embarquer et convaincre, à la fois dans notre quotidien pour que chacun accepte les mesures de sobriété qui leur sont imposées – chauffage, usage du papier… – et sur le prisme écologique qu’ils doivent embarquer dans chacun des projets qu’ils portent.
Nous avons également un gros travail d’adaptation des compétences au sein de nos organisations. Pour une collectivité, pas évident aujourd’hui de recruter un économe de flux, un spécialiste de la biodiversité ou un data-scientiste qui va nous créer les outils de la smart city…
Au sein de la Banque des territoires, nos métiers évoluent aussi très vite. Nos collaborateurs au niveau local sont traditionnellement des experts financiers, spécialistes en investissement et en prêt, expérimentés dans les secteurs de l’immobilier, de l’aménagement du territoire, du logement social. Nous nous mettons depuis plusieurs années en ordre de marche pour nous former, nous informer et nous impliquer sur des domaines nouveaux et extrêmement spécifiques, comme la gestion du cycle de l’eau, les énergies renouvelables, les réseaux de chaleur, la sobriété foncière, la transition alimentaire…
La structuration en réseau de la Banque des Territoires, qui nous permet de disposer d’expertises pointues au niveau national, sur lesquelles nous nous reposons pour les projets locaux, nous permet d’apporter une expertise fine dans l’accompagnement de nos clients.
Conseil de lecture
Quelle est la lecture que vous souhaitez recommander en matière de transition ?
« Le Monde sans fin » de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain. C’est un livre qui réussit l’exploit – en images, de manière accessible à tous, et sans exagérations, partis pris ni raccourcis – d’expliquer concrètement les défis et nécessités de la transition énergétique.