Je prends la liberté de m’adresser à vous, Madame la Première Ministre, responsable de la politique gouvernementale, pour vous faire part de ma profonde inquiétude concernant la protection de l’enfance, 18 mois après la promulgation de la loi de Février 2022.
La Secrétaire d’État préfère la diversion en indiquant qu’elle est prête à recentraliser la protection de l’enfance à l’État. Une telle attitude a provoqué une colère légitime de la part du Président de l’Assemblée des Départements de France, qui, dans un communiqué, a déclaré : « Les propos de Madame Caubel sont non seulement une insulte envers nos agents et salariés dévoués à la cause de la protection de l’enfance, mais constituent également une mise en cause des Présidentes et Présidents des Départements… ».
J’ai tenté d’entrer en contact avec la Secrétaire d’État à l’Enfance en tant que co-rédacteur de la loi du 5 Mars 2007 rénovant la protection de l’enfance. J’ai formulé un certain nombre de propositions pour faire face aux 30 000 postes vacants de travailleurs sociaux, une politique de prévention que nous avions fait devenir un axe prioritaire lors de la loi du 5 Mars 2007, mais qui est en échec 17 ans après !
J’ai proposé la mise en place d’équipes de professionnels spécialisés et formés à la prévention, autonomes des travailleurs sociaux chargés du suivi éducatif. Cependant, la Secrétaire d’État refuse de reconnaître l’état actuel de la protection de l’enfance. Votre gouvernement, comme ceux qui vous ont précédé, n’a souvent pas été au rendez-vous, laissant les Départements seuls face à une situation qui se dégradait au fil des années.
LES SIGNAUX DE DÉTRESSE…
AU ROUGE !
Rejoignant la citation du Président Chirac, nous pourrions dire : « La maison brûle, la Secrétaire d’État regarde ailleurs ! ». Ce fut d’abord le Comité des droits de l’enfant de l’ONU en Juin 2023, à l’issue de son audition, qui alertait sur l’état de la santé mentale et de la pédiatrie (dont on attend encore les assises prévues en Mai 2023), demandant de renforcer les unités pédiatriques et psychiatriques qui concernent 32% des enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance, pour lesquels une demande de consultation peut atteindre 12 mois d’attente. Sont aussi pointés les enfants en situation de précarité infantile qui sont en France au nombre de 2,8 millions, souvent à l’origine de l’admission à la protection de l’enfance.
Ce fut ensuite le rapport de la mission d’information du Sénat sur l’application des lois de protection de l’enfance (cf mon billet d’humeur d’octobre). Il précisait que « l’État ne doit pas se désengager de ses compétences en matière de protection de l’enfance ». La mission souligne que le législateur doit stopper toute nouvelle réforme tant que les lois actuelles ne sont pas mises en vigueur.
La mission insiste sur le phénomène de recours à l’intérim pour combler les postes vacants, permettant une activité lucrative pour les sociétés d’intérim, ce qui n’est pas sans poser des problèmes pour le suivi des enfants, dont les parcours sont déjà faits de ruptures, comme le souligne le Vice-Président du Carrefour national des associations de protection de l’enfance (CNAPE).
DES SOLUTIONS EXISTENT SI ON A LA VOLONTÉ D’AGIR…
Des solutions émergent de toutes parts, que ce soit des institutions, des associations, des chercheurs, des professionnels. Qu’est-ce qui empêche de les mettre en œuvre s’il y a la volonté commune d’aboutir ?
Pourquoi ne pas répondre favorablement aux propositions des 24 Présidentes et Présidents des Conseils Départementaux pour élaborer, en lien avec l’Assemblée des Départements de France (ADF), un vrai bilan de la situation de la protection de l’enfance en organisant des États Généraux ? D’abord au niveau départemental en y associant largement les professionnels des territoires, ensuite, à partir d’une analyse menée conjointement par l’ONPE et le CNPE au niveau national, dressant un état des lieux et formulant des préconisations.
Pourquoi ne pas entendre les propositions du Conseil National de Protection de l’Enfance (CNPE) dans son assemblée plénière du 29 Septembre, de faire un plan Marshall pour l’attribution de financements complémentaires, le renforcement des coopérations avec les services de l’État en territoire, la mise en œuvre des mesures judiciaires en attente, la mise en place d’un plan exceptionnel de recrutement et de formation, de priorisation des enfants de l’ASE pour l’orientation en ITEP ou en IME dans des situations complexes, et la mobilisation des contingents préfectoraux pour favoriser l’accès des jeunes de la protection de l’enfance à des logements sociaux ?
Pourquoi ne pas entendre l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AFMJF), qui alerte sur les jugements non exécutés, et les mesures restant inefficaces faute de travailleurs sociaux ? Ceci provoque la colère des enfants et des familles, laissés à eux-mêmes.
Pourquoi ne pas répondre à l’appel de l’UNIOPSS, qui fédère toutes les associations, y compris celles de la protection de l’enfance, et indique que « les alertes ne se multiplient pas, elles sont permanentes ! » ? L’UNIOPSS souligne les mesures d’accompagnement différées, ne correspondant ni au projet de l’enfant ni à celui des établissements et services. L’UNIOPSS conclut : « pour sortir de cette crise inédite, abordons les droits des enfants de manière globale ».
Entendez Didier Tronche, Président de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), qui déclare dans son éditorial de la revue Forum, souvent cité comme référence par la Secrétaire d’État : « faisant écho des revendications portées par la CNAPE et des acteurs associatifs plus largement, plusieurs présidents et vice-présidents de département tirent la sonnette d’alarme par voie de presse sur la situation du secteur de la protection de l’enfance et le changement pragmatique qu’il revient de construire ensemble ».
Pourquoi refuser d’entendre ce vivier très riche et unique que constitue le secteur associatif habilité de la protection de l’enfance ?
Comment ne pas prendre en compte les propos de Marcel JAEGER, Président de l’UNAFORIS, et Daniel GOLBERG, Président de l’UNIOPSS, dans une tribune :
« la reconnaissance du travail social est avant tout un enjeu de société, c’est un choix de société d’avoir ou non en France des professionnels reconnus, revalorisés, soutenus avec des parcours de formation pris en compte et financés.
À défaut, il faudra constater le choix néfaste d’une société qui deviendra de fait insensible aux vulnérabilités de beaucoup ». C’est le moment pour le Président de la République de faire de la protection de l’enfance une priorité de son quinquennat.
Comme le rappelle Jean Pierre Rosenzweig, ancien Président du tribunal pour enfants de Bobigny : « on forme le vœu que sur la durée, dans une démarche rationnelle et sincère, sans démagogie, les Pouvoirs Publics répondent à cette demande de remobilisation avec fermeté dans la dernière période ».
Alors, Madame la Première Ministre, allez-vous entendre ces appels pour la protection de l’enfance ? Nous le souhaitons ardemment, non seulement parce que les enfants sont l’avenir de la société, mais parce qu’ils sont ici et maintenant, en tant que personne.