Si la loi Notre a limité la capacité d’intervention du département, celui-ci s’est adapté en renforçant ses missions en faveur de la solidarité territoriale et en se spécialisant dans la politique d’action sociale. Sept ans après la réforme territoriale ayant reconstitué la carte des régions, le département possède la taille idéale pour assurer une péréquation, notamment entre le monde rural et le monde urbain, tout en conservant un périmètre d’intervention de proximité.
Les défis pour les départements sont aujourd’hui nombreux et les attentes des citoyens toujours plus importantes. Il n’est dès lors pas étonnant de constater que les départements créent et sollicitent de plus en plus des outils de l’économie mixte (Sem, Spl, SemOp) pour développer des politiques publiques ambitieuses servant un projet politique dicté par l’intérêt général.
Economie mixte départementale : de quoi parle-t-on ?
Afin de relever les défis du développement et de l’aménagement du territoire mais aussi pour accompagner l’évolution des modes de vie des Français, les élus locaux ont décidé de mobiliser des opérateurs susceptibles d’apporter ingénierie, expertise et de faire preuve de réactivité avec un usage optimisé de l’argent public.
Ainsi et depuis près d’un siècle, les Sociétés d’économie mixte (Sem) jouent un rôle d’opérateur des collectivités. Plus récemment, les Sociétés publiques locales (Spl) et les Sociétés d’économie mixte à opération unique (SemOp) ont complété la gamme des Entreprises publiques locales (Epl) mises à disposition des élus locaux.
A ce jour, ce sont ainsi plus de 1400 Epl qui assurent des missions de service public avec le souci permanent de conjuguer l’efficacité de l’action publique et la recherche de la performance économique.
Fortes de leur ancrage local, leurs interventions sont protéiformes et adaptées aux réalités des territoires, qu’ils soient ruraux, périurbains ou urbains.
Leur présence dans l’arsenal des outils d’intervention à la disposition des collectivités locales est unanimement reconnue et elles participent à bâtir une meilleure cohésion sociale et territoriale.
Depuis plus d’une décennie, les Epl départementales connaissent une progression constante. On dénombre actuellement près de 182 Epl dont le département est un actionnaire majeur, alors qu’elles n’étaient qu’une centaine il y a un peu moins de 8 ans.
Leur croissance et leur efficacité économique ne sont également plus à démontrer puisque leur chiffre d’affaires a presque doublé sur la même période s’établissant désormais à 2,7 milliards d’euros.
Les entreprises publiques locales : des outils performants au service des politiques publiques départementales
Aménagement, logement, tourisme, énergie, etc : les politiques publiques départementales mises en œuvre dans le cadre d’Epl sont multiples et reflètent l’investissement déterminant des départements dans des champs d’actions diversifiées.
L’aménagement et l’immobilier constituent les secteurs historiques de développement des Epl départementales. Les départements, forts de leur connaissance pointilleuse de leur territoire, peuvent s’appuyer sur ces outils pour faire face aux défis actuels du zéro artificialisation nette porté par la loi de 2021.
C’est ainsi que le département de la Nièvre sollicite depuis plus d’un demi-siècle sa Sem Nièvre aménagement pour assurer la conduite de nombreux projets tels que l’aménagement de zones d’activités ou encore la simple réhabilitation d’immeubles anciens.
A l’image de la Sem Teractem du département de Haute-Savoie, de nombreux opérateurs d’aménagement ont su faire évoluer leur actionnariat pour intégrer les collectivités du bloc local aux côtés de la collectivité départementale.
Le secteur du logement démontre également la formidable capacité d’adaptation des Epl départementales depuis les dernières lois de décentralisation.
Certaines Sem immobilières départementales se sont ainsi affirmées comme bailleur social départemental de référence dans le cadre de la recomposition du paysage des acteurs du logement impulsée par la loi Elan.
C’est par exemple le cas de la Sem Mon Logement 27, Société d’économie mixte qui regroupe depuis 2021 l’ensemble des activités des bailleurs publics et parapublics du département de l’Eure. Ces opérateurs départementaux d’aménagement et de logement ont donc su s’adapter à l’environnement institutionnel et aux réalités locales.
Désireux de s’investir pleinement dans la croissance durable, les départements font également preuve d’ambition et d’ingéniosité afin de produire leur propre énergie verte. Là aussi, les départements ont souvent fait le choix de créer leurs propres outils afin de contribuer à l’impératif de transition énergétique.
La Sem Vendée énergie, Sem emblématique du département du même nom, porte ainsi l’ambition verte de la collectivité. Et les résultats sont à la hauteur des ambitions affichées. La Sem a permis au département de la Vendée de diversifier ses activités de production. Après l’éolien et le photovoltaïque, la Sem est aujourd’hui lancée dans des activités de méthanisation.
Il en va de même dans le département des Alpes-Maritimes où la société Green Energy 06 est chargée de développer la filière des énergies renouvelables pour le compte du département à travers de la production via des projets diversifiés, du tiers-investissement ou du simple actionnariat.
Enfin, véritable vitrine de la politique touristique de nos territoires, des sites emblématiques continuent d’être pilotés par des entreprises publiques. C’est ainsi que les grottes de Lascaux sont confiées dans leur gestion à la Spl du même nom et dont le département de la Dordogne en est l’actionnaire majoritaire.
De la même façon, la Spl du muséoparc d’Alésia, située sur la commune d’Alise-Sainte-Reine dans le Département de la Côte-d’Or, a pour objectif de gérer et d’exploiter par une délégation de service public les trois sites de la commune traitant du souvenir du siège d’Alésia.
Une nouvelle économie mixte départementale comme réponse aux besoins des populations
Efficace sur les nombreux secteurs historiques préalablement cités, les entreprises publiques locales se positionnent désormais sur de nouveaux champs de l‘action publique départementale. C’est notamment le cas en matière de restauration scolaire.
Le département des Yvelines a ainsi récemment décidé de créer la SemOp C’Midy afin d’assurer la restauration dans la totalité des collèges et de garantir la qualité des quelque 7,2 millions de repas servis chaque année aux 50 000 demi-pensionnaires du département.
Dans le département du Lot, la Sem Lot Aide à Domicile regroupe près de 900 salariés qui veille quotidiennement à répondre au souhait des personnes en situation de fragilité contraintes de rester à leur domicile. Elle permet aux familles lotoises de bénéficier de services ménagers ou bien de portage de repas.
Dans un actionnariat original, la Sem regroupe à la fois le département du Lot, une vingtaine d’associations historiques, deux CCAS ou bien encore une mutuelle.
Des initiatives nouvelles observées avec intérêt par les autres départements. Il ne serait dès lors pas surprenant que de nouvelles structures similaires émergent dans les prochaines années dans d’autres départements.
Répartition par secteurs d’activités des entreprises publiques locales départementales au 1er janvier 2023.
Jean-Léonce Dupont, Président du Calvados et Alain Leboeuf, Président de la Vendée, tous les deux administrateurs de la Fédération des élus des Entreprises publiques locales livrent leur regard sur le développement de l’économie mixte départementale.
“Nous nous évertuons à démontrer que l’échelle départementale est un échelon à la fois global et de proximité.” Alain Leboeuf
LJD. Le Département est décrié par certains. Perçu tantôt comme dépassé, voire ringard. En quoi a-t-il un rôle à jouer, d’après vous ?
Alain Leboeuf : Effectivement, peut-être par mode, certains ont, dernièrement, envisagé et même annoncé la disparition de l’échelon départemental. Puis, ils ont dû renoncer devant l’attachement des élus et des habitants pour ce niveau. Cette importance, cette utilité, on les a clairement ressenties lors des récentes crises : gilets jaunes et Covid. Nous nous évertuons à démontrer que l’échelle départementale est un échelon à la fois global et de proximité.
Jean-Léonce Dupont : Le département est la seule strate capable d’assurer l’équité entre tous les territoires. Je parle volontairement d’équité plus que d’égalité. C’est important de bien comprendre cette nuance. Vous ne ferez jamais de la Creuse l’équivalent de Paris, heureusement pour les Creusois, quels que soient les montants d’investissement. La strate départementale est la strate d’équilibre capable d’impulser des politiques de solidarité territoriale efficaces.
“Le département est la seule strate capable d’assurer l’équité entre tous les territoires.” Jean-Léonce Dupont
LJD. La création des grandes Régions n’a-t-elle pas, paradoxalement renforcé le niveau départemental ?
JLD : Bien évidemment. La réorganisation régionale et les incohérences que nous pouvons observer quotidiennement ont mis en lumière la nécessité de conserver le département, seule strate territoriale permettant l’adéquation entre la gestion de la proximité et la mise en place de la solidarité à travers un champ de péréquation suffisant. Dit plus simplement, le département possède la taille suffisante pour assurer une péréquation, notamment entre le rural profond et l’urbain, tout en conservant un périmètre garantissant une intervention de proximité. La demande de la population demeure une demande de proximité. La réponse publique depuis quelques décennies est de construire de l’éloignement avec, pour ne citer que ces exemples, la création de communes nouvelles XXL, des EPCI XXL, des régions XXL, des cantons dont le territoire est totalement disproportionné. Je pense que les départements sont particulièrement bien placés pour agir avec grande efficacité sur les réseaux : les routes, la fibre, ou encore la mobilité douce. Sur l’ensemble de ces champs d’activité, on constate que si l’on souhaite de l’efficacité et de l’agilité, c’est aux départements qu’il faut s’adresser.
LJD. Dans ce cadre départemental, quel rôle peuvent assurer les Entreprises publiques locales ?
A.L : La loi Notre a limité les possibilités d’intervention du Département en matière économique, et étendu les compétences dans le domaine social. Mais les Départements sont toujours au cœur du développement territorial à travers notamment les politiques publiques en matière de tourisme, d’attractivité, de culture ou de solidarité territoriale. De plus, pour répondre aux défis actuels et aux préoccupations de leurs concitoyens, les Départements s’impliquent dans des secteurs comme l’environnement ou la santé. Les Epl ont un rôle important à jouer dans ces diverses transitions en cours. Cette complémentarité public et privée et l’agilité qu’offrent les entreprises de la gamme Epl sont une chance qui permet aux départements de réaliser des projets ambitieux pour les habitants de nos territoires.
JLD : Les Epl répondent au défi de trouver le bon équilibre entre le refus de la dictature court-termiste que portent certaines structures privées et en même temps, le fait de capter une forme d’agilité dans le processus de gestion. C’est peu de dire que la sphère publique et administrative a naturellement quelques lourdeurs. L’économie mixte peut répondre à ces difficultés et demeure, selon moi, un modèle extrêmement pertinent.
“Les EPL interviennent sur l’ensemble des enjeux de service public.” Alain Leboeuf
LJD. Dans quels domaines interviennent ces EPL ?
AL : Les EPL interviennent sur l’ensemble des enjeux de service public. Elles apportent des réponses originales et permettent aux collectivités de mettre en œuvre des politiques publiques adaptées aux spécificités locales. Par exemple dans le domaine du tourisme dans la Vienne avec le Futuroscope et les SEM patrimoniales, mais aussi dans le domaine de l’énergie où de nombreux départements ont fait le choix de créer des outils à leur service pour développer la production d’énergie verte. Dans mon département, nous avons fait le choix de créer la Sem Vendée Énergie, qui accompagne depuis plus de 20 ans le département de la Vendée dans la production mixte d’énergie renouvelable sur son territoire. Grâce à sa Sem, le département est passé en l’espace de 20 ans de 0 à 20 % d’énergie électrique consommée et produite sur le département. Photovoltaïque, éolien, méthanisation biomasse : les méthodes de production sont particulièrement variées et démontrent que la production d’énergie verte ne fera qu’augmenter dans les prochaines années.
Enfin, des EPL peuvent aussi intervenir dans le secteur des collèges. Ainsi, le département des Yvelines a récemment créé une Semop de restauration collective (C’Midy) qui assure tout à la fois la production et la livraison des 7 millions de repas servis chaque année aux élèves du département.
Comme vous le constatez, on trouve des EPL comme moyen d’action dans la plupart des domaines dont les Départements ont la charge. Les EPL et les Départements partagent efficacité et transversalité, deux atouts à mobiliser pour réussir les nécessaires transitions du 21e siècle.
JLD : Les départements ont toujours saisi l’opportunité offerte par les Epl. Nous sommes des acteurs historiques de ce mouvement à la fois dans des secteurs traditionnels mais aussi dans des secteurs plus innovants. Dans le département du Calvados, nous avons très récemment créé une SemOp pour la gestion des 7 ports départementaux. Nous avons créé un outil novateur et original qui répond parfaitement à nos problématiques. Dans un domaine totalement différent, nous sommes également en train de réfléchir à la possibilité de créer une Sem afin de pouvoir gérer l’ensemble des activités des laboratoires départementaux et interdépartementaux.
LJD. Certes, mais la compétence première des Départements concerne le secteur social.
Existe-t-il des possibilités dans ce domaine ?
AL : On connaît bien l’intervention des Epl dans les domaines de l’aménagement, du transport, du tourisme ou bien encore du développement économique mais, effectivement, depuis quelques années on voit l’apparition de nouvelles entreprises dans le domaine de l’action sociale, champ d’activité encore peu investi par l’économie mixte.
Par exemple, le département du Lot a créé il y a plus de 10 ans la Sem Lot Aide à Domicile, qui répond à un besoin aujourd’hui essentiel, en raison du vieillissement de la population et de la demande pour le maintien à domicile. Il s’agit d’une démarche essentielle face aux difficultés de mise en place et de recrutement.
Il est également intéressant d’observer les réflexions engagées par certains départements sur la forme juridique des bailleurs sociaux départementaux.
LJD. L’économie mixte vous semble-t-elle une démarche d’avenir pour les Départements ?
JLD : Vous l’avez constaté les Entreprises publiques locales interviennent dans la plupart des domaines qui intéressent les Départements. Et des projets innovants semblent inspirer de nombreuses collectivités partout sur le territoire. Au regard des enjeux sociétaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés, il ne serait pas étonnant de voir éclore de nombreuses Epl départementales sur des secteurs d’activités toujours plus innovants dans les prochaines années. Il ne faut avoir absolument aucun tabou en la matière. Il faut être pragmatique et voir l’intérêt et l’utilité que peuvent développer ces entreprises dans ces différents champs d’activité par rapport à ce qu’il existe déjà. Vous l’aurez donc compris, l’économie mixte et le Département, c’est un mariage qui fonctionne pour le plus grand bonheur des citoyens et qui va, j’en suis certain, se développer.