“Nous nous évertuons à démontrer que l’échelle départementale est un échelon à la fois global et de proximité.” Alain Leboeuf
LJD. Le Département est décrié par certains. Perçu tantôt comme dépassé, voire ringard.
En quoi a-t-il un rôle à jouer, d’après vous ?
Alain Leboeuf : Effectivement, peut-être par mode, certains ont, dernièrement, envisagé et même annoncé la disparition de l’échelon départemental. Puis, ils ont dû renoncer devant l’attachement des élus et des habitants pour ce niveau. Cette importance, cette utilité, on les a clairement ressenties lors des récentes crises : gilets jaunes et Covid. Nous nous évertuons à démontrer que l’échelle départementale est un échelon à la fois global et de proximité.
Jean-Léonce Dupont : Le département est la seule strate capable d’assurer l’équité entre tous les territoires. Je parle volontairement d’équité plus que d’égalité. C’est important de bien comprendre cette nuance. Vous ne ferez jamais de la Creuse l’équivalent de Paris, heureusement pour les Creusois, quels que soient les montants d’investissement. La strate départementale est la strate d’équilibre capable d’impulser des politiques de solidarité territoriale efficaces.
“Le département est la seule strate capable d’assurer l’équité entre tous les territoires.”
Jean-Léonce Dupont
LJD. La création des grandes Régions n’a-t-elle pas, paradoxalement renforcé le niveau départemental ?
JLD : Bien évidemment. La réorganisation régionale et les incohérences que nous pouvons observer quotidiennement ont mis en lumière la nécessité de conserver le département, seule strate territoriale permettant l’adéquation entre la gestion de la proximité et la mise en place de la solidarité à travers un champ de péréquation suffisant.
Dit plus simplement, le département possède la taille suffisante pour assurer une péréquation, notamment entre le rural profond et l’urbain, tout en conservant un périmètre garantissant une intervention de proximité.
La demande de la population demeure une demande de proximité. La réponse publique depuis quelques décennies est de construire de l’éloignement avec, pour ne citer que ces exemples, la création de communes nouvelles XXL, des EPCI XXL, des régions XXL, des cantons dont le territoire est totalement disproportionné.
Je pense que les départements sont particulièrement bien placés pour agir avec grande efficacité sur les réseaux : les routes, la fibre, ou encore la mobilité douce. Sur l’ensemble de ces champs d’activité, on constate que si l’on souhaite de l’efficacité et de l’agilité, c’est aux départements qu’il faut s’adresser.
LJD. Dans ce cadre départemental, quel rôle peuvent assurer les Entreprises publiques locales ?
A.L : La loi Notre a limité les possibilités d’intervention du Département en matière économique, et étendu les compétences dans le domaine social.
Mais les Départements sont toujours au cœur du développement territorial à travers notamment les politiques publiques en matière de tourisme, d’attractivité, de culture ou de solidarité territoriale.
De plus, pour répondre aux défis actuels et aux préoccupations de leurs concitoyens, les Départements s’impliquent dans des secteurs comme l’environnement ou la santé. Les Epl ont un rôle important à jouer dans ces diverses transitions en cours. Cette complémentarité public et privée et l’agilité qu’offrent les entreprises de la gamme Epl sont une chance qui permet aux départements de réaliser des projets ambitieux pour les habitants de nos territoires.
JLD : Les Epl répondent au défi de trouver le bon équilibre entre le refus de la dictature court-termiste que portent certaines structures privées et en même temps, le fait de capter une forme d’agilité dans le processus de gestion. C’est peu de dire que la sphère publique et administrative a naturellement quelques lourdeurs. L’économie mixte peut répondre à ces difficultés et demeure, selon moi, un modèle extrêmement pertinent.
“Les EPL interviennent sur l’ensemble des enjeux de service public.” Alain Leboeuf
LJD. Dans quels domaines interviennent ces EPL ?
AL : Les EPL interviennent sur l’ensemble des enjeux de service public. Elles apportent des réponses originales et permettent aux collectivités de mettre en œuvre des politiques publiques adaptées aux spécificités locales. Par exemple dans le domaine du tourisme dans la Vienne avec le Futuroscope et les SEM patrimoniales, mais aussi dans le domaine de l’énergie où de nombreux départements ont fait le choix de créer des outils à leur service pour développer la production d’énergie verte.
Dans mon département, nous avons fait le choix de créer la Sem Vendée Énergie, qui accompagne depuis plus de 20 ans le département de la Vendée dans la production mixte d’énergie renouvelable sur son territoire. Grâce à sa Sem, le département est passé en l’espace de 20 ans de 0 à 20 % d’énergie électrique consommée et produite sur le département.
Photovoltaïque, éolien, méthanisation biomasse : les méthodes de production sont particulièrement variées et démontrent que la production d’énergie verte ne fera qu’augmenter dans les prochaines années.
Enfin, des EPL peuvent aussi intervenir dans le secteur des collèges. Ainsi, le département des Yvelines a récemment créé une Semop de restauration collective (C’Midy) qui assure tout à la fois la production et la livraison des 7 millions de repas servis chaque année aux élèves du département.
Comme vous le constatez, on trouve des EPL comme moyen d’action dans la plupart des domaines dont les Départements ont la charge. Les EPL et les Départements partagent efficacité et transversalité, deux atouts à mobiliser pour réussir les nécessaires transitions du 21e siècle.
JLD : Les départements ont toujours saisi l’opportunité offerte par les Epl. Nous sommes des acteurs historiques de ce mouvement à la fois dans des secteurs traditionnels mais aussi dans des secteurs plus innovants. Dans le département du Calvados, nous avons très récemment créé une SemOp pour la gestion des 7 ports départementaux. Nous avons créé un outil novateur et original qui répond parfaitement à nos problématiques.
Dans un domaine totalement différent, nous sommes également en train de réfléchir à la possibilité de créer une Sem afin de pouvoir gérer l’ensemble des activités des laboratoires départementaux et interdépartementaux.
LJD. Certes, mais la compétence première des Départements concerne le secteur social.
Existe-t-il des possibilités dans ce domaine ?
AL : On connaît bien l’intervention des Epl dans les domaines de l’aménagement, du transport, du tourisme ou bien encore du développement économique mais, effectivement, depuis quelques années on voit l’apparition de nouvelles entreprises dans le domaine de l’action sociale, champ d’activité encore peu investi par l’économie mixte.
Par exemple, le département du Lot a créé il y a plus de 10 ans la Sem Lot Aide à Domicile, qui répond à un besoin aujourd’hui essentiel, en raison du vieillissement de la population et de la demande pour le maintien à domicile. Il s’agit d’une démarche essentielle face aux difficultés de mise en place et de recrutement.
Il est également intéressant d’observer les réflexions engagées par certains départements sur la forme juridique des bailleurs sociaux départementaux.
LJD. L’économie mixte vous semble-t-elle une démarche d’avenir pour les Départements ?
JLD : Vous l’avez constaté les Entreprises publiques locales interviennent dans la plupart des domaines qui intéressent les Départements. Et des projets innovants semblent inspirer de nombreuses collectivités partout sur le territoire. Au regard des enjeux sociétaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés, il ne serait pas étonnant de voir éclore de nombreuses Epl départementales sur des secteurs d’activités toujours plus innovants dans les prochaines années. Il ne faut avoir absolument aucun tabou en la matière.
Il faut être pragmatique et voir l’intérêt et l’utilité que peuvent développer ces entreprises dans ces différents champs d’activité par rapport à ce qu’il existe déjà. Vous l’aurez donc compris, l’économie mixte et le Département, c’est un mariage qui fonctionne pour le plus grand bonheur des citoyens et qui va, j’en suis certain, se développer.