« On a plein de raisons de connaître les Hautes-Alpes.
En premier lieu, c’est le plus beau département de France. »
Pouvez-vous vous présenter ? Nous parler de votre parcours, de vos passions ?
Je suis un ingénieur des services des routes de l’État à la retraite depuis quelques années. Passionné par mon territoire et la manière de le vivre et l’habiter.
Mon engagement en politique remonte à la fin des années 80. J’ai été élu Maire de mon village en 1989, puis Conseiller Communautaire, Conseiller général, devenu Conseiller départemental, etc. Le temps et ma passion pour le ‘‘faire ensemble’’ m’ont conduit à la Présidence de l’intercommunalité puis à celle du Département au printemps 2015.
Il m’a alors fallu renoncer à mon mandat de Maire, c’est ce qui a été le plus difficile tant c’est un engagement de chaque jour et tant il est valorisant de travailler en direct pour et avec ses voisins parce que c’est ça qui se passe dans les villages.
J’ai eu cette très grande chance d’accumuler de l’expérience en matière de fonctionnement et de gestion des services publics au cours des trois dernières décennies. J’en souhaite tout autant aux générations qui arrivent et arriveront parce que c’est fondamental pour bien gérer des collectivités qui sont de plus en plus importantes.
Récemment vous avez fait parler de vous au niveau national, qu’attendez-vous de la part de EDF ?
Tout s’est passé au Congrès des Maires des Hautes-Alpes, au cours duquel j’ai été invité à prendre la parole. C’est un Congrès très important pour la République dans notre territoire et j’attache chaque année une importance particulière à m’y rendre afin d’écouter celles et ceux qui font les Hautes-Alpes et d’échanger sur leurs difficultés et autres problématiques du moment. En ce qui concerne EDF, la situation ne date pas d’hier. À l’automne l’an dernier, nous avons toutes et tous essuyé une hausse considérable des coûts de l’énergie avec une véritable flambée des prix.
Pour celles et ceux qui devaient renégocier leurs contrats à ce moment-là, ça a été un véritable défi. Et puis le soufflé est retombé. Mais les contrats, eux, sont restés. Et certains sont de nature à mettre des entreprises voire des collectivités en grande difficulté. Les ASA sont touchées de plein fouet, elles qui ont besoin d’électricité pour mettre en œuvre les systèmes d’aspersion. Or, sans elles, exit la souveraineté alimentaire que l’on encourage à atteindre. La Communauté deCommunes du Champsaur-Valgaudemar a dû fermer son centre aquatique au cours de l’hiver dernier à cause de la facture d’électricité.
Des stations de ski haut-alpines et pas des moindres puisque l’on parle des Orres, de Puy-Saint-Vincent ou de SuperDévoluy ont fait un hiver 2022-2023 exceptionnel en matière d’enneigement, de fréquentation, et de vente de forfaits de remontées mécaniques… et terminent leur exercice en déficit parce que les factures d’électricité ont flambé dans des proportions complètement surréalistes. Et il n’y a rien à y faire ? Je demande à EDF – et évidemment à l’État parce qu’Il a une part de responsabilité dans EDF – bref, de revoir ces contrats signés dans un contexte hors norme et de revenir à la raison. Je l’ai demandé gentiment au début. Je n’ai pas été assez entendu. Je m’efforce donc de me faire entendre.
Est-ce qu’il est plus difficile de se faire entendre dans un Département rural, de montagne, peu peuplé ?
Ce n’est pas le sentiment que j’ai. Quand j’ai moi-même déboulonné – en juin 2018 – un panneau 70 km/h quand la norme est passée à 80 parce que je ne voyais pas l’intérêt de garder cette limitation de vitesse intermédiaire et que la différence entre ces deux limitations de vitesse ne se justifiaient plus, la France entière en a entendu parler. Le Premier Ministre, Edouard Philippe, à l’origine de la mesure, m’a même donné raison lors d’un entretien qu’il a donné à RTL en argumentant que la régularité de la vitesse était un gage de sécurité.
Je pense que bon nombre de nos concitoyens ont également entendu parler de mon soutien total aux éleveurs, au pastoralisme et à nos traditions ancestrales face à la menace que représente le loup. Donc, on peut se faire entendre. C’est d’autant plus facile quand le sujet concerne le quotidien de nos concitoyens. Il faut bien savoir de quoi l’on parle. Il faut mouiller la chemise ; répéter autant que nécessaire le message à faire passer… jusqu’à ce qu’il passe. En dehors de ces quelques sujets qui ont été hyper médiatisés, j’ai aussi la chance d’avoir un dialogue permanent et très constructif avec le représentant de l’État dans le département. Et je lui en suis très reconnaissant.
Parlez-nous des Hautes-Alpes. Les forces, faiblesses, menaces et opportunités de ce territoire ?
On a plein de raisons de connaître les Hautes-Alpes. En premier lieu, c’est le plus beau département de France. C’est un fait établi depuis longtemps. Connu aussi pour être dans le top 3 des moins peuplés de France. Ça facilite la connaissance des Haut-Alpins, la proximité et les échanges mais ça n’a pas que des avantages.
C’est un territoire rural de montagne. D’où une forme d’enclavement à laquelle il faut remédier par tous les moyens. C’est le département français où l’altitude moyenne est la plus élevée. Et c’est aussi un département du Sud, avec un ensoleillement exceptionnel. Ces deux derniers éléments sont des atouts très forts pour les Hautes-Alpes.
Parce qu’ils sont synonymes de double saisonnalité hiver/été et donc d’un niveau d’activité touristique important, quasiment toute l’année. Enfin, qui dit ruralité de montagne dit disponibilité de foncier pas ou peu exploitable. Et avec notre ensoleillement, nous avons de formidables opportunités de production d’énergie renouvelable.
Quelle est votre stratégie, vos ambitions et projets pour votre département ? Qu’aimeriez vous avoir réalisé durant ce mandat ?
Le Département est pleinement engagé dans la transition énergétique. Il a pris conscience il y a déjà bien des années qu’il fallait plus de sobriété dans nos bâtiments, accompagner nos concitoyens dans leur transition et qu’il nous fallait décarboner nos énergies. Je me suis engagé dès l’été 2021 à réaliser 100km de nouvelles pistes, voies et itinéraires cyclables au cours de cette mandature. Une quarantaine seront réalisés au cours de cette seule années 2023. Et puis des projets de production d’électricité par photovoltaïque ont vu le jour au cours des 15 dernières années.
Le Département a appris des expériences passées et il est aujourd’hui à même de porter lui-même des projets de bout en bout, afin de notamment de garder le fruit de ces projets sur le territoire. Hautes-Alpes Énergies est une Société d’économie mixte qui vient de voir le jour. Elle permettra d’investir une soixantaine de millions d’euros dans des projets de ce type dans les 10 ans à venir.
Une soixantaine de millions d’euros locaux qui resteront… locaux et des projets concertés avec les élus locaux et la population, afin de les rendre autrement plus acceptables que quand c’est un fonds d’investissement qui s’installe à côté de chez vous.
Comment défendre la ruralité au niveau local et national ?
En la vivant fièrement. Localement, c’est aux plus grandes collectivités de jouer le jeu de la solidarité avec les plus petites. Dans les Hautes-Alpes, la collectivité la plus importante, c’est le Département. Et il consacre chaque année 12 millions d’euros au cofinancement des projets développés par les autres collectivités haut-alpines. Ça s’appelle de la solidarité territoriale et ça permet un développement harmonieux de l’ensemble de nos vallées, à leur rythme.
À l’échelle nationale, je suis toujours émerveillé quand je fais le trajet Aix-en-Provence / Paris en TGV de voir combien la France est rurale. On la traverse quasiment de part en part et la France, c’est de la verdure, des champs, des forêts, des villages… à perte de vue ! Pourquoi la ruralité aurait-elle besoin d’être défendue en France ? La ruralité fait la France. Je ne me considère donc pas forcément comme un défenseur de la ruralité. En revanche, je suis le Président d’un département rural et de montagne et j’ai des choses à dire à ce titre. Qui trouvent parfois écho à l’échelle nationale. Et je m’en réjouis, naturellement.
Souhaitez-vous une évolution institutionnelle : conseiller territorial, regroupement de départements, nouvelle étape de la décentralisation, réforme fiscale ?
Je reste convaincu que l’échelle départementale est la bonne pour garder le lien avec nos concitoyens. Les Départements ont été créés juste après la Révolution pour placer l’administration centrale de l’époque à un temps de trajet à cheval raisonnable. Depuis, nous avons changé de mode de déplacement mais nos modes de vie se sont accélérés aussi, tant et si bien que le Département reste l’échelon de proximité par excellence. Je ne suis donc pas pour une modification du fonds des Départements. La loi NOTRe a créé des Régions gigantesques. Il faut veiller à ne pas faire le chemin inverse à celui qui a été fait à la fin du 18è siècle.
Vous comprenez donc que je suis entièrement favorable à une nouvelle étape de décentralisation. Je pense que rien ni personne ne peut mieux que les représentants des territoires décider pour le territoire. La connaissance des personnes et des enjeux locaux éclaire, à mon sens, la prise de décision. C’est comme ça que l’on gagne ou regagne la confiance.
Par la proximité. Donc, oui à plus de décentralisation, dans tous les domaines possibles. Et avec les moyens nécessaires au bon fonctionnement des services publics français. Je pense à la dernière tentative de transfert des routes nationales, en début d’année 2023. L’État ne s’est clairement pas donné les moyens d’y parvenir.
L’important en matière de décentralisation reste la méthode. Je ne considère pas aujourd’hui que l’on ait fait un grand pas en avant avec la loi 3DS de février 2022. Elle prévoyait pourtant la différenciation et appelait à l’expérimentation des territoires dans un grand nombre de domaines. Concrètement, ça n’est ni plus ni moins qu’infaisable une fois qu’on est sur le terrain parce que les services de l’État ne suivent pas. Si on parle du Conseiller territorial, je suis clairement contre parce qu’il reviendrait à concentrer à l’échelle régionale les missions des Départements. C’est l’exact inverse d’une décentralisation.
La question des moyens pour travailler est donc centrale à la décentralisation. Faut-il une réforme fiscale ? Les Départements sont aujourd’hui dans une situation complètement absurde : les représentants sont élus au suffrage universel direct ; mais les Départements n’ont plus aucun moyen d’agir sur leurs ressources. C’est le fameux ‘‘no taxation without representation’’ américain qui a mené à l’indépendance des États-Unis… mais tout à l’envers. Il faut retrouver un peu de bon sens en redonnant aux Départements les moyens d’agir et de décider pour eux-mêmes.
Ce numéro est distribué lors des assises de DF, avez-vous un message à faire passer ?
‘Je connais bien Départements de France. J’y préside le groupe de travail ‘‘montagne’’. Cette Assemblée offre à ses membres – Présidents de Départements – des ressources techniques, notamment, et c’est un lieu d’échange des pratiques et savoir-faire très précieux. Je salue donc le travail fait par son Président, François Sauvadet, et le Président du groupe DCI, Nicolas Lacroix. Et je souhaite de très bonnes Assises à l’ensemble de ses membres. Je ne doute pas un instant que notre travail collectif permettra aux Départements de grandir encore.