Le Journal des Départements : Quelle actualité terriblement tragique ce mois-ci ! Comment analysez-vous les commentaires politiques ?
Cécile DELOZIER : Au lieu d’évoquer des analyses verbales foisonnantes , je voudrais prendre un moment pour examiner les silences et leurs significations car il y a eu énormément de silences autour ou à côté des différentes déclarations qui ont accompagné la guerre et les attentats. Beaucoup de silences et beaucoup d’interprétations de ces silences.
Des silences coupables ou des silences respectueux.
Des silences indifférents peut-être.
Pour commencer, après le 7 octobre lors de l’attaque du Hamas, certaines voix se sont fait entendre, d’autres se sont tues.
Il a notamment été reproché à de nombreuses personnalités artistiques leur silence.
Comment pouvez-vous rester muets face à l’attaque terroriste du Hamas ? semblaient s’insurger certains. Ce silence a été perçu comme coupable.
LJD: C’est une interprétation très dure à l’égard d’artistes qui n’ont pas forcément à donner leur avis…
CD: L’artiste par définition ne peut pas être indifférent.
Il occupe une place dans la société qui a du sens.
On se souvient de la formule de Sartre : « quand bien même l’artiste resterait-il coi comme une pierre, son silence serait assourdissant ! ». L’artiste est donc par nature engagé.
Son silence est donc parlant.
Mais s’il n’est pas forcément coupable, il est peut-être prudent. Si l’on dénonce l’attentat du Hamas, il faut aussi compatir avec les habitants de Gaza.
Si l’on se tait sur tous les sujets, on est peut-être tout simplement pragmatique ou opportuniste. Pourquoi prendre le risque de perdre une partie de ses fans…
LJD: Le silence est donc politique et économique ?
CD: Absolument. C’est d’ailleurs ce que le ministre de l’intérieur reproche aux footballeur Benzema : son silence sur la mort de l’enseignant d’Arras.
Se taire lui semble être une prise de position complice.
Ce silence serait plus coupable que des mots.
La communication, c’est un jeu d’ombre et de lumière, de bruit et de silence.
LJD: Que penser de la réaction de notre pays à cet horrible attentat ?
CD: Au moment de l’assassinat du professeur à Arras, l’institution a programmé une minute de silence.
Une minute de silence respectueux dont l’éventuelle perturbation aurait été jugée durement. Mais répondre à la barbarie par le silence, est-ce pertinent ? Certains ont pu penser que ce silence était un signe de faiblesse, qu’au fond il était un outil de paix face à des forces en guerre contre notre démocratie laïque. Ce silence a pu paraître dérisoire.
LJD: Le silence recouvre donc de nombreuses réalités différentes.
Mais que disent les mots ?
CD: L’actualité nous a montrés également qu’au-delà des silences , il existe des mots qu’on refuse de prononcer.
Les mots qui diraient la dimension terroriste du Hamas par exemple.
Mots indicibles pour certains au point qu’ils préfèrent les circonvolutions de la syntaxe et des apories pour ne pas les prononcer.
Ce n’est pas cette fois le silence qui prime mais c’est une telle stratégie d’évitement langagier que la parole se fait chaotique et parfois incompréhensible.
LJD: Entre les silences si bigarrés et les mots si torturés, que devons-nous retenir de tout ce qui s’est dit ?
CD: Je pense que le langage a ses limites et qu’il peut échouer à dire l’horreur des tragédies humaines.
J’ai voulu parler du silence aujourd’hui car c’est aussi celui que nous éprouvons dans l’état de sidération, de stupeur et de colère qui nous assaille face à la haine qui ravage les cœurs, supplante la raison et détruit la paix.