La Collectivité européenne d’Alsace est née de la volonté des élus locaux alsaciens de reprendre leur destin en main.
LJD : Frédéric Bierry, vous êtes président de la Collectivité européenne d’Alsace. Pouvez-vous présenter en quelques mots, votre parcours, vos engagements et vos passions ?
Frédéric Bierry : Je viens d’une région montagneuse en Alsace appelée la vallée de la Bruche, qui était autrefois un centre industriel textile majeur. Mon engagement est né de la volonté d’aider une vallée en difficulté. Quand j’étais jeune, le taux de chômage était élevé, en raison de la fermeture des industries textiles, j’ai vu mes parents perdre leur emploi. Cela m’a profondément marqué et m’a poussé à m’engager dans la vie publique pour lutter contre les injustices économiques et sociales territoriales.
Mon premier engagement fut social, notamment comme président d’une association de RMIste puis d’une mission locale.
J’ai eu la chance d’avoir des parents très impliqués dans la vie municipale et associative locale. J’ai baigné dans cet environnement d’engagement.
Après une maîtrise en droit privé et un DEUG en administration économique et sociale, j’ai enseigné les sciences économiques et sociales pendant trois ans.
Passionné de football, j’ai également joué au football à Wisches, où j’ai rencontré Alain Ferry, qui était alors maire de Wisches et plus tard député. Il m’a encouragé à m’engager en politique. À 29 ans, j’ai été élu maire de la commune de Schirmeck, responsabilité que j’ai assumée pendant près de 20 années. En parallèle, j’étais attaché parlementaire en circonscription. Deux expériences majeures qui m’ont permis de construire un lien privilégié avec mes concitoyens.
En 2004, je deviens conseiller général du Bas-Rhin et l’on me confie assez rapidement la politique jeunesse. Je suis élu ensuite président de la commission des affaires sociales et vice-président en charge des politiques sociales.
Vous m’avez demandé mes passions, initialement le football, mais j’ai également pratiqué la planche à voile. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir une famille avec trois filles, deux belles-filles, et une compagne merveilleuse qui m’entourent. Ma famille est très importante pour moi, même si mes fonctions m’accaparent beaucoup.
LJD : La Collectivité européenne d’Alsace semble l’enfant naturel de la réforme de la création des grandes régions. S’agit-il là d’une évolution naturelle, êtes-vous un précurseur d’une évolution institutionnelle, de regroupement possible des départements ? Où est-ce simplement une particularité due à l’identité forte de l’Alsace ?
Frédéric Bierry : En Alsace, la population n’a pas accepté la réforme des régions telle qu’elle a été imposée. Une reconfiguration difficile à comprendre, pour nous, car l’Alsace est naturellement tournée vers l’espace Rhénan, tant géographiquement qu’historiquement et culturellement et la Champagne-Ardennes naturellement tournée vers Paris. C’est un mariage contraint. Pensez-vous qu’un mariage contraint puisse durer sans consentement ?
La Collectivité européenne d’Alsace est née de la volonté des élus locaux alsaciens de reprendre leur destin en main. Elle porte un modèle d’avenir si le processus de décentralisation enclenché peut aller à son terme avec en perspective le statut de collectivité unique réunissant des compétences départementales et régionales.
La Collectivité européenne d’Alsace a été créée pour garantir une action publique plus efficace et plus humaine, ainsi que pour renforcer la démocratie. Elle se caractérise également par un lien fort avec les communes et intercommunalités. Cela se traduit par des financements de projets d’initiative locale, par une ingénierie forte (19 structures pour répondre sur des thématiques comme le développement économique ou touristique, l’habitat, le foncier, l’urbanisme, l’aménagement, la gestion de l’eau, l’environnement, la qualité architecturale, l’archéologie préventive) aux côtés des communes, et une présence renforcée des services publics sur près de 400 sites en Alsace.
La Collectivité européenne d’Alsace a été créée pour garantir une action publique plus efficace et plus humaine, ainsi que pour renforcer la démocratie.
Nous voulons profiter du Congrès des Départements de France pour porter le projet Alsace, celui d’une collectivité unique qui réunira les compétences départementales et régionales.
LJD : Pensez-vous que votre démarche puisse être le début d’une évolution institutionnelle ? Quel type de décentralisation pourrait être envisagé ?
Frédéric Bierry : Les décentralisations de 2015 et 2017 ont été le plus souvent contraintes, technocratiques, artificielles et imposées : régions XXL, fusions d’intercommunalité et grands cantons. Elles s’avèrent coûteuses écologiquement au regard des déplacements trop longs qu’elles génèrent pour les élus, les agents des collectivités concernées et la société civile en général, coûteuses financièrement (contrairement à ce qui avait été annoncé) et coûteuses démocratiquement car elles éloignent les décisions des habitants. Elles n’ont pas fait la démonstration de leur pertinence et ne suscitent toujours pas l’adhésion des populations.
Avec la création de la Collectivité européenne d’Alsace, un nouveau processus de décentralisation a été enclenché. Il répond d’abord au désir d’une Alsace institutionnelle pour les habitants. Les expériences suisses de votation nous inspirent. Nous avons réalisé une consultation qui a montré avec plus de 153 000 votants et 92,4 % en faveur d’une région Alsace à part entière, que les Alsaciens souhaitent le retour d’une Alsace institutionnelle.
Pour retrouver un élan démocratique, il faut absolument une organisation territoriale à la bonne échelle dans laquelle les habitants se reconnaissent, dans laquelle ils ont envie de s’investir et de se projeter. Chez nous, c’est l’Alsace. Nous pourrions servir de laboratoire pour repenser la décentralisation à partir de la volonté populaire territoriale. Notre force c’est l’organisation territorialisée de l’action publique en résonance avec les attentes du terrain en bottom up.
Nous voulons profiter du Congrès des Départements de France pour porter le projet Alsace, celui d’une collectivité unique qui réunira les compétences départementales et régionales. Avec une strate en moins, c’est plus simple à comprendre pour nos concitoyens, on ne se demande plus qui fait quoi entre les collectivités.
C’est aussi la garantie d’une plus grande efficacité de l’action publique car on traite les problèmes dans leur globalité à 360°. C’est une façon également de ressouder l’attelage élu-citoyen. De manière générale, c’est contribuer à redonner confiance dans nos institutions républicaines.
Pour réussir la décentralisation, il faut absolument nous assurer le pouvoir d’agir c’est-à-dire le droit d’agir, les moyens d’agir et la maîtrise des moyens.
LJD : C’est quoi la Collectivité européenne d’Alsace ? Un Département, une Région, un objet institutionnel non identifié ?
Frédéric Bierry : Aujourd’hui, il s’agit d’une collectivité qui a à la fois les compétences d’un Département, mais aussi des compétences supplémentaires confiées par la loi, notamment le chef de filât sur le transfrontalier, très important pour l’Alsace car la vie quotidienne des Alsaciens s’organise sur le périmètre du Rhin supérieur. Si les Alsaciens sont profondément attachés à leur pays la France, à la République, c’est sur le périmètre alsacien et rhénan que se construit notre dynamisme.
Le premier, c’est le retour à l’Alsace institutionnelle, devenir une collectivité unique à statut particulier.
Pendant 3 jours, l’Alsace sera le laboratoire des expériences éclairantes, des bonnes idées, des bonnes pratiques de tous les Départements de France. Nous partagerons ce que nous faisons de meilleur en lien avec les communes et les intercommunalités.
LJD : 3 projets que vous aimeriez avoir menés à la fin de votre mandat ?
Frédéric Bierry : Le premier, c’est le retour à l’Alsace institutionnelle, devenir une collectivité unique à statut particulier. Cela existe déjà avec la Corse ou dans les Dom Tom. Nous avons aussi notre singularité, pas insulaire mais transfrontalière qui justifie cette démarche : l’Alsace est une région naturelle !
Le 2ème enjeu, c’est la qualité du service public rendu à tous nos concitoyens dans leur vie quotidienne. Efficacité des interventions et respect des délais dans tous nos domaines de compétences : protection de l’enfance, vieillissement, handicap, routes, collèges, etc.
C’est une démarche fondamentale pour permettre à nos concitoyens de retrouver confiance dans la démocratie, dans leurs institutions.
Le 3ème consiste à satisfaire les besoins de la vie quotidienne des habitants : se loger, se nourrir, se soigner, se chauffer, se vêtir, s’éduquer….
LJD : Dans quel état d’esprit accueillez-vous les Assises de Départements de France ?
Frédéric Bierry : L’enthousiasme d’abord, c’est un honneur pour mes collègues de la Collectivité européenne d’Alsace et moi-même d’accueillir plus de mille congressistes avec qui nous partageons nos réflexions mais aussi à qui nous feront découvrir les atouts de l’Alsace.
Un des enjeux est de faire entendre la voix des territoires de France : en tant que vice-président de Départements de France en charge des Solidarités, de la Santé et du Travail, j’ai l’occasion de rencontrer régulièrement mes collègues et je sens un besoin d’être davantage entendu sur tous les sujets qui concernent la vie quotidienne des gens.
Les Départements sont l’échelon de la proximité et de la solidarité à tous les âges de la vie, de l’accompagnement des personnes fragiles à la réussite de nos collégiens, de la gestion des routes à la transition écologique et énergétique. Des conséquences du réchauffement climatique à la flambée des prix liée à l’inflation, sur tous les sujets qui impactent la société, nous sommes en première ligne.
Pendant 3 jours, l’Alsace sera le laboratoire des expériences éclairantes, des bonnes idées, des bonnes pratiques de tous les Départements de France. Nous partagerons ce que nous faisons de meilleur en lien avec les communes et les intercommunalités.
Il est essentiel de capitaliser dans les bonnes pratiques à laisser infuser dans l’ensemble des Départements. Comme pour vos lecteurs qui cherchent des idées ailleurs, les récupérer, les adapter, les mettre en œuvre.
Donc j’accueille les Assises avec un grand plaisir et une vraie fierté. J’ai voulu, compte-tenu de tout ce que j’ai dit plus haut, leur donner des couleurs européennes en organisant une journée au Parlement européen, parce que je me suis rendu compte que beaucoup d’élus n’avaient jamais visité le Parlement européen, et ensuite parce qu’en France, on n’a qu’une capitale européenne, c’est Strasbourg : il faut la conserver !
C’est ici, en Alsace, à Strasbourg, que bat le cœur démocratique de l’Europe. Nous sommes la capitale internationale des Droits de l’Homme.
C’est ici, en Alsace, à Strasbourg, que bat le cœur démocratique de l’Europe. Nous sommes la capitale internationale des Droits de l’Homme. Nous sommes une terre blessée et tiraillée par l’Histoire devenue terre de réconciliation et de coopération transfrontalière entre la France, l’Allemagne et la Suisse. Dans le contexte international actuel, marqué par des conflits inquiétants, en Ukraine comme au Proche-Orient, où des murs et des barbelés écorchent l’âme et les corps, ces Assises prennent forcément un sens particulier, au milieu des drapeaux du Parlement européen, qui réunira pour la première fois les délégations des 101 départements de France.