Le mois de Septembre a mis la protection de l’enfance sur le devant de la scène.
Selon les Conseils Nationaux de Protection de l’enfance(CNPE) et de l’adoption (CNA) « l’impossibilité de garantir la protection des enfants en danger sur de nombreux territoires nécessite un plan Marshall ».
24 Présidents des Conseils départementaux ont rencontré la Secrétaire d’État à l’enfance, pour insister sur la tenue des États Généraux réunissant : État, Départements, Associations, Professionnels, Familles et Enfants protégés.
Pourquoi en est-on arrivé là ?
La commission des Affaires Sociales du Sénat s’était inquiétée qu’un an après le vote de la loi de protection de l’enfance du 7 Février 2022 seulement 37 % des décrets réglementaires ont été pris.
Les raisons invoquées par la Secrétaire d’État de l’élection présidentielle et l’approximation financière présentée au Parlement n’ont pas convaincu, bien au contraire !
Le Sénat a lancé une mission d’information sur l’application des lois relatives à la protection de l’enfance de 2007-2016-2022. Elle a rendu son rapport le 5 juillet 2023.
Selon le rapporteur Bernard BONNE, la mission s’est attachée à évaluer le décalage entre « des lois ambitieuses et leur mise en œuvre très imparfaites ». Elle a relevé que les réformes législatives intervenaient alors que la mise en œuvre des précédentes lois étaient incomplètes.
Je me réjouis de cette affirmation sur la nécessité de ne pas engager de réforme tant que les lois en vigueur ne sont pas abouties.
DES LOIS AMBITIEUSES EN DECALAGE AVEC LA RÉALITÉ
3 lois successives en 15 ans forment un ensemble cohérent et ambitieux s’inscrivant dans la continuité.
LA LOI DU 5 MARS 2007 à laquelle j’ai contribué auprès du Ministre Philippe BAS a donné la primauté à la prévention sur les mesures éducatives judiciaires.
Malheureusement 16 ans après, nous sommes en échec sur la prévention car 75% des actions éducatives sont judiciarisées faute d’intervention en amont et parfois par opposition des parents.
Elle a aussi mis l’accent sur la coopération des institutions par la création des cellules départementales de recueil des informations préoccupantes (CRIP) et les observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE), mais les objectifs fixés restent à atteindre.
Elle acte la création du Projet pour l’Enfant (PPE) qui envisageait une démarche participative avec ceux qui connaissent l’enfant :
– parents pour indiquer leurs problèmes, identifier leurs compétences et leurs souhaits,
– les professionnels où leurs institutions,
– l’enfant pour exprimer ses besoins et être acteur de son devenir.
En 2019, 27 départements sur 83 interrogés l’utilisaient, mais cela reste souvent un document administratif qui associe peu les parents et les enfants concernés.
LA LOI DU 14 MARS 2016 a conforté l’approche de la protection de l’enfance par les besoins fondamentaux de l’enfant. Elle a renforcé l’anticipation de la sortie de l’aide Sociale à l’enfance en regrettant qu’un tiers des départements n’aient pas encore mis en place ces entretiens. Plus inquiétante, la révélation que 145 mil-lions d’Euros dorment à la Caisse des dépôts correspondant à l’allocation de rentrée scolaire non versée à la sortie du jeune de la protection de l’enfance.
LA LOI DU 7 FÉVRIER 2022 a encouragé l’accueil dans la famille ou chez un tiers de confiance. Cela ne représente que 6,5 % des accueils, cette disposition n’a donc pas été suivie d’effet.
La loi interdit l’hébergement à l’hôtel sans présence éducative concernant principalement les Mineurs non accompagnés (MNA) qui représentait 5% des jeunes pris en charge à l’ASE.
Adrien TAQUET, Secrétaire d’État s’était engagé sur une interdiction totale en Février 2024 dans des hôtels dignes souvent de « marchands de sommeils ».
La prise en charge des jeunes majeurs en difficultés est globalement décevante selon les professionnels qui dénoncent dans certains départements « les sorties sèches ».
Enfin la mission pointe la prévention des maltraitances et violences sexuelles qui restent un chantier inachevé ainsi que l’accueil des enfants en situation de handicap (32 % des enfants accueillis souffrent de troubles psychiques sans suivi par la pédopsychiatrie, faute de places).
En 2023 naissent des Comités départementaux de protection de l’enfance (CDPE) réunissant le département, les services de l’État, la justice et l’Agence régionale de santé (ARS) qui devraient s’étendre à l’ensemble des territoires pour permettre des décisions collectives quant à l’orientation de la politique de protection de l’enfance.
Cela ne semble pas contradictoire avec la recommandation de Juillet 2022 de la Cour des Comptes d’avoir un interlocuteur unique des services de l’État en désignant un Préfet délégué à la protection de l’enfance.
APPLIQUER LES LOIS DOIT DEVENIR RÉALITÉ
Un débat s’engage régulièrement sur le bilan des 40 ans de gestion de la protection de l’enfance par les Départements où l’État s’est désengagé de la responsabilité de détenteur du pouvoir réglementaire.
Certains pensent même que la protection de l’enfance pourrait être recentralisée …quand on se souvient de la période enfants de la DDASS !!!
Adrien Taquet a souligné lors du débat au parlement que « la politique de la protection de l’enfance n’était pas une compétence décentralisée, mais partagée… ajoutant « que cet investissement partagé entre l’État et les Départements, chacun doit prendre ses responsabilités ».
L’État doit accompagner les Départements dans leurs efforts financiers, comme cela aurait dû être le cas pour le fonds national de financement de la protection de l’enfance (FNFPE) prévu dans la loi du 5 Mars 2007 constitué d’un versement de la CAF.
La Cour des Comptes a jugé sévèrement ce détournement de la mission des fonds qui n’ont jamais été utilisé à cet usage.
L’État doit aussi assumer ses responsabilités dans le contrôle conjoint des structures d’accueils.
Quant aux Départements, ils ne peuvent négliger la protection de l’enfance ou la considérer comme un seul coût financier.
C’est un investissement auprès des enfants en difficultés. Il est pour le moins choquant que ces enfants en danger soient moins bien pris en charge selon le territoire dans lequel ils vivent.
Les professionnels de la protection de l’enfance doivent devenir, selon les auteurs du rapport, des acteurs des ambitions législatives.
Pour cela, il faut revoir la formation initiale des travailleurs sociaux inadaptée aux situations qui se complexifient, en développant davantage une formation de terrain.
La situation des 30 000 postes vacants nécessite des mesures exceptionnelles de formations rémunérées par les Départements et les Régions, contre une obligation de servir de 3 à 4 années après le diplôme, comme le propose la Seine-Saint-Denis et le département du Nord comme je l’avais défendu lors de la Loi de 2007, il convient de rendre obligatoire la formation continue des travailleurs sociaux.
Enfin la priorité doit être donnée à l’évaluation des lois en vigueur. Souhaitons que la mise en place du nouveau groupement d’intérêt public (GIP) France Enfance Protégée présidée par Florence Dabin, Présidente du Conseil Départemental du Maine-et-Loire puissent mener des évaluations régulières des politiques publiques.
En conclusion, si on peut se féliciter des travaux de la mission d’information Sénatoriale il n’en reste pas moins que le Président de la République s’était engagé à faire de la protection de l’enfance une priorité de son second quinquennat.
L’absence de réponse de l’État aboutit à une situation de crise grave sans précédent, qui nécessite des mesures fortes, urgentes et durables à l’issue des États généraux pour un véritable plan Marshall.