Dans sa quête perpétuelle d’esthétisation du réel, le cinéma fonctionne comme une lorgnette à travers laquelle des territoires sont perçus, jugés et, éventuellement, élus comme destinations touristiques.
Les impacts des films et des séries ont fait l’objet d’attention toute particulière chez les chercheurs en Science de Gestion, et plus particulièrement en Tourisme où le cinéma entretient un lien étroit avec cette discipline, conceptualisé sous le nom de « film-induced tourism » (Beeton, 2016*), « ciné-tourisme » en français (Grenier, 2011**).
En effet, les conséquences de la mise en lumière cinématographique d’un territoire sont nombreuses et très souvent positives : l’impact économique est souvent immédiat et substantiel (hébergement, restauration, locations de biens, de services, monétisation de l’espace public), la notoriété et l’image du territoire peuvent-être grandement valorisées par les œuvres post-diffusion, tout comme l’attractivité touristique, bien que plus difficilement quantifiable. Prenons l’exemple de la Nouvelle-Zélande et « Le Seigneur des Anneaux »/« Le Hobbit » : grâce à la position proactive du pays, cette trilogie puis son préquel ont généré une hausse du tourisme entre 2000 et 2017, le nombre de touristes internationaux est passé de 1,78 million à 3,73 millions.
Bien évidemment, les succès ne sont pas systématiques et les feux de projecteurs ne sont pas dénués de conséquences négatives.
Nombreux sont les films à dépeindre une image faussée ou négative de la ville dans laquelle le film se tourne (ou dans lequel il est censé se tourner si le placement du territoire est travesti), comme le film « Bac Nord » et ses images dépréciatives de la ville de Marseille. Néanmoins l’effet inverse, c’est-à-dire des images trop envoûtantes, et une maîtrise limitée des pouvoirs publics peuvent entraîner des conséquences négatives, liées au surtourisme. Alors que la série Netflix « Lupin » (Omar Sy) a boosté le tourisme à Etretat, certains habitants dénoncent les ravages sur leur environnement (jusqu’à 15 000 touristes par jour pour ce village de moins de 1 500 habitants), où l’authenticité naturelle est sacrifiée au profit des marées de touristes en quête de quelques clichés des célèbres falaises. L’augmentation rapide des flux touristiques peut entraîner une série d’externalités négatives : dégradation des sites naturels, inflation des prix de l’immobilier et des commodités, perturbation de la vie locale. Le risque de réduire la richesse culturelle et identitaire d’un territoire à quelques images stéréotypées, participant ainsi à appréhender le territoire et sa population via des préjugés (les différences territoriales en terme de goûts cinématographiques), ne saurait par ailleurs être écarté.
La symbiose cinématographique-territoriale
Pour les territoires, l’opportunité réside dans la capacité à engager une symbiose entre l’industrie cinématographique et la territorialité. L’enjeu n’est pas uniquement et simplement d’offrir des décors pittoresques, mais de réunir les conditions propices au bon déroulement des tournages, et créer une véritable mise en scène de l’identité locale qui puisse attirer à la fois les réalisateurs et – éventuellement – des futurs touristes.
Bien qu’au premier abord le pouvoir des collectivités territoriales semble limité dans le choix des productions, leur rôle est pourtant décisif. C’est d’ailleurs l’objectif de la thèse de doctorat de Manon Châtel, portant sur « L’attractivité des territoires au travers des productions cinématographies », qui interroge les rôles et les pratiques des Commissions du Film dans l’attractivité du territoire sur lequel elles sont implantées.
Attirer, faire venir et faire rester les productions est un enjeu pour bon nombre de villes, mais l’interaction entre cinéma et territoire est une lame à double tranchant dont la gestion requiert une stratégie éclairée et multidimensionnelle. Il est important de garder à l’esprit que si le secteur public à ses contraintes, le monde de l’industrie cinématographique à les siennes également : les délais d’autorisation, les subventions publiques, les espaces de stockages, les personnes ressources, etc. sont des points essentiels et trop souvent oubliés des managers territoriaux. L’interface entre cinéma et territorialité est une dialectique complexe qui, si elle est maniée avec art et sensibilité, peut ouvrir de nouveaux horizons pour les territoires en quête de différenciation et de notoriété. Pour les élus et managers territoriaux, il s’agit donc moins de séduire l’objectif des caméras que de comprendre comment le cinéma peut être un levier d’attractivité pour leur territoire. Les départements ont leur carte à jouer dans cette symbiose, créatrice de valeur économique, sociale, et culturelle !
Références :
*Beeton, S. (2016). Film-Induced Tourism. Bristol, Blue Ridge Summit: Channel View Publications.
**Grenier, A. A. (2011). « Ciné-tourisme: Du concept au fan, au coeur de l’expérience. » Téoros, 30(1), 79-89.