La prévention spécialisée vise les jeunes en difficulté. Elle repose, comme le fait remarquer la mission d’information du Sénat de Juin 2016, sur une présence dans l’espace public d’éducateurs allant auprès des jeunes pour établir par leur libre adhésion, une relation d’accompagnement afin de prévenir la rupture où d’engager une démarche d’insertion sociale.
Elle prend donc des formes diverses, des modes d’interventions peu normalisés, adaptés aux besoins de ses territoires d’intervention.
En Zone urbaine, le contact se fait en fin de journée voire la nuit, à des horaires décalés par rapport aux services qui leur sont destinés.
En zone rurale, c’est plutôt à proximité des collèges, dans les intercours où lors des transports.
On est loin des « foyers de prévention » expérimentés en 1940 par Fernand DELIGNY à Lille, qui embauchait ouvriers et chômeurs pour fraterniser avec les petits délinquants et leur inculquer une conscience de classe !
L’arrêté interministériel de juillet 1972 et le code de l’action sociale et de la famille définissent cette action éducative comme visant à faciliter une meilleure insertion des jeunes là où le phénomène d’inadaptation sociale est particulièrement développé.
Au cours des années 80 et surtout 1990, de nombreux acteurs de prévention, de médiation et d’insertion sont apparus dans les quartiers en liaison avec la politique de la Ville, les politiques nationales de prévention et de sécurité et les politiques municipales de tranquillité publique.
Le métier s’est professionnalisé mais ne s’est guère développé. La prévention spécialisée rattachée au Service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ne représente que 3 % de ses dépenses qui ont nettement diminué au cours des dernières décennies.
Une étude de l’ODAS de 2022 montre un budget de 250 millions d’Euros sur un budget de 9 milliards, fort contrasté selon les Départements.
Certains ont significativement augmenté comme la Loire Atlantique qui passe de 2 à 3,2 millions d’Euros en 2023, la Seine Saint Denis qui consacre 15,9 millions d’Euros, ou la Savoie qui passe de 2,3 à 2,5 millions d’Euros.
D’autres se désengagent voire disparaissent pour 17 d’entre eux, provoquant de très fortes disparités territoriales.
Au moment où les pouvoirs publics réinventent l’importance « d’aller vers » et en font un nouveau mantra (essentiel) il est triste qu’ils ne soutiennent pas plus la prévention spécialisée qui a inventé « l’aller vers ».
Protéger les enfants ou protéger la société des enfants ?
Pour le sociologue Laurent Mucchelli, Chercheur au CNRS « la prévention spécialisée se trouve entre le marteau (de l’idéologie sécuritaire et les politiques répressives qui en découlent) et l’enclume (de l’exclusion et des conséquences en terme de délinquance) ».
Elle contribue à la prévention de la délinquance, si elle conserve son rattachement à la protection de l’enfance qui encadre son intervention. Le jeune concerné est d’abord considéré comme en danger et non comme un danger.
En 2021, le déploiement de « bataillons de prévention » dans les quartiers « de reconquête républicaine » a ravivé les inquiétudes des professionnels, qui étaient contents des effectifs supplémentaires, mais souhaitent plutôt un cadre et un temps suffisant et non limité à 18 mois pour s’ancrer dans un territoire.
Lors des émeutes de Juin 2023 après le décès de Nahel, jeune homme de 17 ans, la violence s’est apparentée à une attitude suicidaire.
Sans dialogue, la violence devient le moyen de s’exprimer pour ces adolescents en pleine construction identitaire facilement sous influence. La prévention spécialisée ne pouvait seule éteindre les braises.
On retiendra de cette période une image de jeunes proférant des violences verbales, brûlant des voitures, pillant les commerces, contrôlant les trafics et plus récemment adoptant des pratiques religieuses fanatiques. Leur histoire personnelle est souvent reléguée au second plan, créant une forme de fatalisme, de résignation qui produit ensuite une expression plus violente là où les voies pacifiques n’ont rien donné. Répondre par la force à la détresse des jeunes de banlieue n’a jamais résolu la situation !
Aussi, la prévention spécialisée ne peut rester le parent pauvre du travail social et attend des moyens humains et financiers. Attentive à la singularité des parcours, la prévention spécialisée privilégie la relation de confiance que les éducateurs(trices) cherchent à établir dans une approche globale.
Son caractère pivot et transversal permet d’assurer l’équilibre et la régulation des autres politiques de la jeunesse.
Implanter un Club de prévention ? comment ?
Implanter un club de prévention spécialisée, asseoir une légitimité d’éducateurs dans un quartier où tout ce qui représente les institutions peut être vécu comme une intrusion et une tentative de contrôle social.
Il peut se traduire par de fortes résistances, des évitements voire des confrontations, de la violence et des échecs. C’est pourquoi l’implantation d’un club de prévention doit être précédée d’un diagnostic préalable du territoire, qu’il s’agisse d’une implantation nouvelle, une extension ou une reconduction d’action sur un ou des quartiers. Ce diagnostic sociologique se fonde sur des entretiens avec les acteurs de terrain, leurs partenaires privilégiés (ville, institution, département) dans les actions menées auprès des jeunes et surtout des entretiens menés directement auprès d’un nombre significatif de jeunes présents dans le quartier.
Ces éléments repris et analysés, sont discutés avec le comité de pilotage où l’on retrouve les acteurs de base concernés par la mise en place d’actions de prévention. De ce travail et de cette concertation, des préconisations doivent ressortir prenant en compte les besoins identifiés, le point de vue des jeunes rencontrés et l’état des ressources existantes pour définir des projets d’actions préventives adaptées qui pourront intégrer le contrat d’objectif à valider par la ville, le département et l’association en prenant en compte les autres politiques publiques existantes au niveau local.
Enfin, à côté des suivis individuels, l’action publique éducative a donc pour mission de s’exercer dans des contextes, sur des familles, sur des groupes, sur des quartiers en rencontrant tous les acteurs publics et surtout associatifs y compris religieux, qui veulent s’inscrire dans la même démarche, se mobiliser collectivement, se solidariser, défendre les droits de chacun à la citoyenneté, à exister réellement dans la société.
Quand elle est mal comprise (action centrée sur les franges problématiques considérées comme marginales) cela tend à réduire l’efficience et à légitimer les réductions budgétaires. Alors que la prévention spécialisée peut assurer, quand on lui en donne les moyens et qu’il n’y a pas trop de postes vacants (donc des salaires décents pour les éducateurs et un cadre d’emploi valorisé,) un levier essentiel pour l’impulsion d’une dynamique locale et de réduction des vulnérabilités.
A l’inverse, elle peut perdre son crédit et être contre-productive si son inscription dans la coordination préventive (école, culture, santé mentale, insertion) n’est pas effective. Cela suppose des professionnels qui développent leur action en s’appuyant sur des références déontologiques spécifiques (refus de discrimination, neutralité, secret professionnel, obligation de moyens, respect de la volonté de la personne).
Protéger les enfants ou protéger la société des enfants ?
La mission d’information du Sénat est convaincue que la mission éducative de la prévention spécialisée bénéficie aux jeunes de moins de 21 ans. Le centre national de liaison des actions de prévention spécialisée (CNALPS) pense qu’elle est concentrée sur les mineurs de 11-15 ans, les années collèges. L’ANDASS de son côté a indiqué que « les actions devraient viser en priorité les jeunes de 11-15 ans et en second lieu les 16-18 ans, alors que les jeunes adultes n’apparaissent pas prioritaires » du fait d’un rajeunissement du public exposé précocement aux risques de décrochage scolaire et à la marginalisation.
François CHABEAUX, responsable des CEMEA (Centre d’entraînement aux méthodes d’éducatiown active) ajoute «la prévention spécialisée n’a pas de prise sur ceux qui ont déjà franchi le pas, que ce soit dans le deal professionnel où la radicalisation. »
Mais elle peut aussi aller plus loin, comme à Issy les Moulineaux où les équipes participent à une expérience communale avec le CLAVIM (Culture, loisirs, animations de la Ville d’Issy les Moulineaux) au sein de la Maison des Adolescents qui accueille des jeunes pour des problèmes de santé de faible intensité.
Développer des partenariats et des complémentarités
Par un maillage territorial permettant une prise en charge adaptée, les partenariats et la complémentarité entre les dispositifs des jeunes vulnérables est primordial.
Les établissements scolaires apparaissent comme un lieu incontournable puisque la grande majorité des jeunes suivis sont en situation de rupture et de décrochage scolaire.
Plutôt que d’afficher 5000 vidéos en Île de France dans les collèges, il serait plus judicieux d’y accueillir des éducateurs qui pourraient intervenir à l’entrée des établissements, en lien avec la prévention spécialisée dans le quartier pour mieux connaître les adolescents hors du milieu scolaire, au moment de la restauration scolaire et au sein des locaux dans les lieux sensibles comme les sanitaires où les tensions et les délits se produisent hors de vue.
La coopération entre la prévention spécialisée et l’éducation s’est développée autour de la pacification de l’espace scolaire, de la prise en charge « des décrocheurs » et la réponse aux comportements répréhensibles comme le harcèlement scolaire.
Par des conventions entre les associations de prévention, le Département et l’Inspection Académique, des éducateurs participent aux instances scolaires, notamment celles liées à l’exclusion où ils proposent des actions visant à aider les jeunes collégiens à trouver de l’intérêt à la scolarité. Pour les Principaux c’est la souplesse de l’intervention, sa capacité à intervenir hors temps scolaires et à mobiliser certaines ressources internes, notamment par le repérage précoce des souffrances psychiques.
En conclusion
D’autres sujets interrogent : l’impact des réseaux sociaux, le partage du secret professionnel, la formation au travail de rue, la rédaction d’un guide national d’évaluation de la prévention spécialisée.
Pour les professionnels concernés, seule une politique publique dépassant les clivages, assises sur les réalités de terrain permettra de répondre aux problématiques des jeunes vulnérables. Sortons des discours théoriques et du saupoudrage pour faire de la prévention spécialisée un axe central, indissociable du curatif, au cœur des décisions.