La rédaction: Comment percevez-vous le climat social ?
Cécile Delozier : Comment dire … mauvais ! L’ambiance générale entre les citoyens est chargée d’animosité .Dans les villes, les gens se plaignent des conditions de vie suffocantes : surpopulation, logements insatisfaisants et inaccessibles financièrement ,embouteillages pléthoriques , tensions communautaires … Il est vrai que tous ces éléments sont objectivement compliqués et aisément explicables dans les environnement urbains stressant par nature . En revanche, ce qui est parait moins conforme aux clichés qu’on peut avoir sur le mode de vie à la campagne, c’est le climat social qui règne dans le monde rural. Il s’est très nettement dégradé. Les élus locaux relatent des situations pour le moins tendues entre les habitants. Certes l’explosion du coût de la vie (énergie , carburant ) , la dégradation des services publics et l’impression d’être laissé pour compte a pu générer des comportements violents comme les gilets jaunes . Mais on observe au-delà de ces grands mouvements, des psychodrames ponctuels qui témoignent d’un délitement du lien social. Agressivité , incivilités, malveillances diverses se multiplient . Les élus locaux le constatent bien, les affaires de voisinage fleurissent . Le néorural venu chercher un logement bon marché et le calme de la campagne s’injurge contre la tondeuse ou le tracteur du voisin ! L’ancien citadin ne supporte ni les sangliers ,ni les chasseurs …
LR: C’est donc un problème sociétal plus que politique
CD: C’est aussi un problème politique car les collectivités locales ont perdu beaucoup de leurs ressources avec la perte notamment de la taxe d’habitation . Les élus gèrent de fortes baisses de leur budget avec des habitants toujours plus exigeants. Par exemple, le fait de rationner les passages de la relève des ordures agace considérablement le contribuable.
LR: D’où les attaques personnelles dont sont victimes certains élus
CD: Tout se passe comme si les français n’arrivaient plus à s’aimer eux-mêmes. Les différents groupes sociaux ne se supportent plus. Ils se détestent entre eux . Supporter l’Autre est devenu très difficile . Supporter ses élus, qui sont une émanation du groupe social , est devenu également difficile. Il paraît logique que ces phénomènes d’irritation réciproque gagnent aussi les élus .
LR: Les maires sont-ils les souffre-douleur de la société ?
CD: Ils sont d’une certaine manière une surface de projection fantasmatique de toutes les frustrations des habitants. Le schéma psychologique est bien connu. « Je vais mal, je cherche un responsable , le plus proche de moi est l’élu local ! ». Comme on a pu l’entendre, le maire est l’élu à portée de gifle !
LR: N’est-ce pas cruel et injuste ?
CD: Cela l’est d’autant plus que la perte de compétences des collectivités locales dépossède les responsables politiques de certains leviers d’action qu’ils avaient . Renvoyés à leur impuissance politique, ils sont pris en tenaille entre les désespérances réelles des administrés et la limitation de leurs moyens.
LR: Vous parlez de désespérances réelles . Que voulez-vous dire ?
CD: Il est absolument indéniable qu’un certain nombre de personnes vivent des difficultés économiques ou sociales importantes dans notre pays. Mais il faut aussi considérer que les actes d’agressions envers les élus ou les autres manifestations de violences entre les citoyens sont parfois étrangères à ces mêmes difficultés. On voudrait croire que les actes de violence proviennent des individus aux situations les plus dramatiques. Or c’est souvent faux … On sait qu’il s’agit souvent de « Français moyen ».
LR: Comment alors expliquer les violences ?
CD: Les analyses de Jérôme Fourquet sont intéressantes sur cette question. Pour expliquer une société de plus en plus agressive, il faudrait remonter à l’éducation reçue par les enfants durant ces dernières décennies . Selon lui, l’éducation de « l’enfant roi »aurait eu pour conséquence d’engendrer des personnes qui gèrent très mal leur frustration . J’entends déjà les détracteurs l’accuser de pensées réactionnaires … Quoi qu’il en soit , il est important d’observer cet état de fait : quand les relations interpersonnelles au sein de la société comme des entreprises sont problématiques, cela altère le contrat social ! Je pense qu’il est urgent de restaurer un lien positif entre les individus. Or les élus locaux notamment parce qu’ils sont au plus près des habitants doivent impulser cet élan . Ils se sont engagés pour mener des actions sur leur territoire. Leur challenge aujourd’hui est de redonner du sens à la manière de vivre ensemble. Gageons qu’on leur donne les moyens de porter cette flamme humaniste sur nos territoires crispés .