C’est le festival de Cannes avec son faste , ses stars mais aussi ses scandales et ses controverses politiques . Comment analysez-vous les discours des uns et des autres ?
Nous observons plusieurs niveaux de discours : le discours politique propre ( celui de Catherine Deneuve sur l’Ukraine ), le discours politique implicite porté par la participation ou non à l événement ( Adele Haenel et sa radicalité dans son boycott / Virginie Eiffira et son pragmatisme dans sa participation à l’événement ) et enfin le discours politique indirect , celui porté par la fiction. En ce qui concerne le film de Maïwen « Jeanne du Barry », on retrouve plusieurs niveaux de sens . La réalisatrice, en engageant dans son film Jonny Depp embourbé dans son procès de violences conjugales, s’est trouvé associé au camp ennemi du mouvement « metoo » qui avait dénoncé les violences faites aux femmes dans le monde du cinéma . Coupable de défendre les agresseurs et plus largement le patriarcat, elle s’est défendue en affirmant avoir choisi l’icône avant ses procès. On pourrait dire beaucoup de choses sur les arguments des uns et des autres, sur la surenchère et l’hystérie médiatique générées par ces stars du des cinéma. Mais intéressons-nous plutôt aux messages envoyés par le film lui-même .
C’est un film d’époque !
Justement c’est passionnant d’observer combien il parle du 21 eme siècle. Une première chose frappante à remarquer et fort peu évoquée par les critiques est le casting de …Maiwen! Qu’une femme de 46 ans incarne au cinéma Jeanne Du Barry, une femme de 25 ans dont la beauté était tellement extraordinaire qu’elle fut considérée la femme la plus belle du royaume, voilà qui n’est pas commun et qui peut être une réponse féministe aux détracteurs de Maiwen! Quand on connaît la rareté des rôles de femmes mûres au cinéma, cette distribution est vraiment remarquable. Ensuite, de quoi nous parle le film ? D’une femme roturière cultivée, belle et ambitieuse mais pauvre et sans statut. Devenue favorite du roi grâce à sa beauté mais aussi à son intelligence, elle est sans cesse humiliée en raison de son extraction populaire. Pourtant, comble de l’ironie, les révolutionnaires qui verront en elle une représentante de cette même classe aristocratique la guillotineront sans vergogne. Quel message politique ! Être femme et pauvre, c’est la double peine. Cette histoire illustre la vulnérabilité de la femme et sa servitude sociale. À Versailles cette femme paya chaque jour le prix d’être mal née. En 1793 pendant la Terreur, elle paya par la mort son désir d’élévation sociale. Ce film raconte donc une histoire éminemment politique sur la condition humaine.
Le pouvoir est lui aussi représenté d’une manière originale ?
En effet , la représentation du pouvoir dans « Du Barry » me semble parler d’aujourd’hui . D’abord , l’un des sujets récurrents du film est de railler les usages du protocole. A la cour de Louis 15, les impertinences de Jeanne quant aux usages me paraissent être un écho de nos démocraties occidentales devenues allergiques à la verticalité, à la hiérarchie. Comme dans ce film, une partie de la population ne comprend plus les signes extérieures de la hiérarchie sociale. Voire, elle les conteste. Que le port de la cravate soit contesté, que le président soit insulté, que nos élus se trouvent conspués témoignent de cet étiolement latent de la hiérarchie sociale. Ce qui peut paraître amusant et sans réelle conséquence à la cour de Louis XV, s’avérera tragique pour l’ancien Régime quelques années plus tard à la cour de Louis XVI quand la bourgeoisie s’emparera du pouvoir au détriment de la noblesse en jouant du populisme. Qu’en sera t’il pour notre société ?
Donc ce film historique vous paraît prémonitoire ?
Je n’espère pas! Je veux dire que ce film historique parle autant du 18 eme siècle que de 2023. De la même manière , j’ai été frappée par un autre film : « les trois mousquetaires ». Dans ce film, aucun des mousquetaires ne portent l’uniforme : point de pourpoint, point de vestes bordées avec la croix , point de chapeaux majestueux . Ce sont des héros vêtus comme des gueux … J’y vois la même expression de la vision égalitariste à outrance de notre époque comme si tout se valait, comme si on ne pouvait pas manifester , arborer la fierté de son engagement. Le prestige de l’uniforme a été remplacé parfois par la haine de l’uniforme, celui de la police, celui de l’infirmière assassinée il y a quelques jours . Plus généralement, on dédaigne la cravate, on abandonne dans le langage les signes de respect en appelant les gens par leur prénom quand bien même ils occupent une fonction prestigieuse. Même s’il rêve de retrouver « le double corps du roi » cher à Kantorowicz, Emmanuel Macron n’échappe pas à ce phénomène, il incarne aujourd’hui une fonction présidentielle qui a perdu une grande partie de sa crédibilité, au point d’en être insultée et même giflée.
Il y a donc une forme d’ érosion de l’image du pouvoir
Oui ! Et si on gomme en permanence les rites , les codes , les signes distinctifs du pouvoir , on prend le risque de décourager les bonnes volontés mais aussi de détruire le pouvoir lui-même qui comporte , y compris au 21 eme siècle , à travers tous ces symboles, protocoles et autres signes , une part de majesté qui participe à son autorité.