Matthieu Wildhaber est un architecte du discours. Détenteur d’une solide formation universitaire, il s’est également formé en France et en Belgique pour comprendre les discours au travers des cultures. Fondateur d’un cabinet de conseil en rhétorique et communication publique, il conseille aujourd’hui les partis politiques et les entreprises aux techniques oratoires qui mettent les foules en mouvement. Chaque année, il transmet sa passion au monde estudiantin, en tant que chargé de cours en art oratoire et en relations publiques.
En 2007, Joshua Bell, génie du violon, se produit dans la station de métro L’Enfant Plaza à Washington DC, accompagné de son Stradivarius à plus de 3 millions de dollars. La foule lui prête à peine quelques attentions. C’est avec 32 dollars qu’il quittera ce lieu de concert insolite. Maintenant, laissez le temps à Joshua Bell d’enfiler un smoking et de se produire dans une salle de concert aux moulures soignées, et la foule paiera cher le ticket d’entrée. Le contexte importe beaucoup dans la réussite d’un discours. Quintilien, rhéteur et pédagogue du 1er siècle apr. J.-C., nous a légué un acronyme pour contextualiser un discours : QQOQCP (qui, quoi, où, quand, comment et pourquoi).
Le « qui » questionne les capacités et les acquis de l’émetteur du message. Que vous soyez introvertis ou rompus à l’exercice, vous devez capitaliser sur vos acquis. Ce « qui » est aussi essentiel, car il va vous pousser à identifier votre cible. La rhétorique cartographie cinq catégories d’audience, de celle qui est acquise jusqu’à celle qui vous déteste.
Le « quoi » pose votre sujet sur la table. Il doit tenir en une seule et unique phrase pour assurer la plus grande des clartés. Un bon sujet répond toujours à une problématique. La prise de parole n’est pas un bon sujet. Les défis de la conviction et de la persuasion le sont.
Le « où » passe souvent à la trappe. Maîtriser le lieu permet d’anticiper la gestion de l’espace et la relation à construire avec le public. Quoi de pire qu’une salle dont les dimensions vous obligent à parler à moins d’un mètre de la première rangée, ou encore cette place publique dont la rue adjacente est occupée par un chantier bruyant ?
Le « quand » se mesure sous deux angles. Le premier est celui de la montre. Prendre la parole à 07h30 ne se fait pas de la même manière qu’à 17h45. Mais là où la temporalité est redoutable, c’est sous l’angle historique. Barack Obama n’aurait jamais pu prononcer le même discours d’investiture en tant que deuxième Président noir. C’est la temporalité historique qui a influencé ses mots. Dans votre pratique, vous devez sans cesse questionner le contexte dans lequel votre sujet s’intègre. Parler des limitations des SUV en centre-ville ne se fait pas de la même manière aujourd’hui qu’il y a dix ans.
Le « comment » cartographie le mode opératoire du discours. Combien de temps dure votre discours ? Utilisez-vous un support ? Prenez-vous la parole à plusieurs ? Allez-vous interagir avec votre public ? Ce mode opératoire est fortement influencé par la réponse apportée aux autres questions. Un public hostile (qui) nécessitera une approche très particulière. Un discours transmis en distanciel (où) exigera un grand travail de concision.
Le « pourquoi » est sous-estimé ; c’est pourtant la porte qui s’entrouvre sur le lendemain d’un discours. Prenez-vous la parole pour sensibiliser ? Est-ce pour vendre ? Est-ce pour obtenir des signatures ? Votre pourquoi vous indiquera les efforts à déployer dans le « comment ».
Contextualiser son discours change absolument tout. Pourtant, beaucoup d’élus et de chefs d’entreprises font encore la brillante erreur d’économiser le temps de préparation en argumentant qu’ils « ont de l’expérience ». Ils acceptent alors de placer leur réputation dans les mains de l’imprévu.