Dans un rapport qui a fait beaucoup de bruit en mars 2022, le Sénat, sous la plume d’Arnaud Bazin, président LR de la commission d’enquête, et d’Eliane Assassi, rapporteure communiste, a estimé excessive l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. La mission s’étant concentrée sur les politiques conduites par l’Etat, on ignore si le constat et le verdict auraient été les mêmes s’agissant des collectivités locales, et tout particulièrement des départements qui nous intéressent ici au premier chef.
Pour mémoire, on rappellera le résumé de ce rapport, tel qu’il figure sur le site du Sénat :
En 2021, l’État a dépensé plus d’un milliard d’euros en prestations de conseil.
Ces dépenses ont plus que doublé depuis 2018, ce qui interroge à la fois notre vision de l’État et de sa souveraineté face à des cabinets privés et la bonne utilisation de nos deniers publics.
Après quatre mois d’investigation et 7 300 documents recueillis, la commission d’enquête démontre que des pans entiers des politiques publiques ont été sous-traités à des cabinets privés crise sanitaire, réforme de l’aide juridictionnelle, radars routiers, évaluation de la stratégie nationale de santé…:
Le recours aux consultants est ainsi devenu un réflexe pour un État qui donne parfois l’impression qu’il « ne sait plus faire », malgré le dévouement de ses propres agents.
Bien que discrète, l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques est avérée. Les consultants proposent des solutions «clés en main» aux décideurs, que les agents publics sont sommés de mettre en oeuvre.
Au terme de cet exercice de transparence démocratique, la commission d’enquête formulent 19 propositions pour en finir avec l’opacité des prestations de conseil, mieux encadrer le recours aux consultants, renforcer les règles déontologiques applicables et mieux protéger les données de l’État.
Ce rapport n’est pas une fin en soi, mais plutôt un commencement. Sa vocation est d’alimenter le débat public à partir de faits à la fois concrets et documentés.
Ce rapport a généré nombre de commentaires vertueux sur la nécessité pour les collectivités publiques de recourir à leurs ressources propres (corps d’inspection internes, ou externes, tels les grands corps interministériels et les agences régionales de santé (ARS), en complément des injonctions que leur adressent, suite à leurs contrôles, la Cour des comptes et les Chambres régionales des comptes.
En effet, pourquoi faire appel à des cabinets privés, grassement rémunérés, et circonstance aggravante, souvent anglosaxons, plutôt que d’utiliser les moyens de la République, des hauts-fonctionnaires ou des magistrats, compétents et désintéressés, animés par la seule ambition de « servir » l’intérêt général ?
Mais la publication du rapport sénatorial est à peine postérieure à la sortie, en janvier 2022, du remarquable ouvrage « Les fossoyeurs », de Victor Castanet, qui met en lumière un système de maltraitance organisé dans certains EHPAD, notamment parmi les plus chers du marché.
Comment ne pas en tirer la conclusion que le système public de contrôle des EHPAD, mais on peut sans doute étendre ce diagnostic sévère aux établissements accueillant des enfants (les crèches par exemples), est défaillant ? Dès lors, l’affirmation péremptoire de la qualité incomparable des contrôles et audits publics par rapport à leur sous-traitance au secteur privé est difficilement entendable.
C’est bien ce qu’ont compris les présidents de conseils départementaux qui, alertés par l’ouvrage de Victor Castanet, se sont décidés sans plus attendre, à s’assurer que les EHPAD et autres établissements sanitaires et médico-sociaux placés sous leur responsabilité n’étaient pas maltraitants.
Ne disposant pas des ressources en personnel suffisantes pour réaliser ces audits et ces contrôles et ayant fait appel en vain aux ARS pour les suppléer ou au moins les assister dans ces tâches essentielles et urgentes, plusieurs départements ont eu recours à des cabinets privés pour réaliser des audits et pour participer à ces contrôles.
Mais c’est là que l’Etat se réveille. Incapable de mobiliser des moyens pour aider les départements, il fait usage de ses « super pouvoirs de police ». Alerté par les directeurs d’établissements, au moins aussi soucieux de leur tranquillité personnelle que de la régularité des contrôles, le Secrétariat Général des Ministères Sociaux semble vouloir reprocher aux départements d’avoir fait le choix de se faire assister dans leurs missions de contrôle sur les établissements, par des cabinets privés, au motif qu’une collectivité publique ne peut pas déléguer des missions de police qui relèvent de leur pouvoir régalien (CE Ass. 17 juin 1932, p. 595, Commune de Castelnaudary ) .
Ainsi, si l’on comprend bien, les départements ont aujourd’hui le choix entre ne rien faire, et susciter le juste courroux des familles et des médias, ou d’associer des cabinets privés d’audit à leurs contrôles et subir la foudre de l’administration de l’Etat et peut-être pour leurs président et DGS de risquer des sanctions pénales.
Rapport n° 578 (2021-2022), tome I, déposé le 16 mars 2022 Arnaud Bazin, Eliane ASSASSI Jeudi 17 mars 2022, Éliane ASSASSI, rapporteure de la commission d’enquête sur l’influence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques
Inspection Générale des Finances (IGF), Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), inspection Générale de l’Administration (IGA), inspection Générale de l’Environnement et du Développement Durable ( IGEDD, inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC), Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche (IGESR), Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux (CGAAER), …
On notera, pour s’en amuser que « Servir » est le nouveau nom de la Revue des anciens élèves de l’ENA depuis la décision de supprimer l’école et de recruter les futurs hauts-fonctionnaires par l’intermédiaire de l’INSP (Institut National du Service Public)
Il résulterait de la lecture combinée des articles L313-13 et L133-2 du code de l’action sociale et des familles que « si le département peut réaliser un contrôle pour ce qui concerne la dépendance et l’aide sociale relevant de sa compétence, seuls des agents départementaux sont habilités pour effectuer lesdits contrôles, sans délégation à un tiers ».