Manque de reconnaissance, faibles rémunérations, complexité des publics, recrutement difficiles, les métiers du social peinent et souffrent d’un manque d’attractivité que la crise sanitaire a accentué.
Si les difficultés du travail des soignants ont été mises en lumière, celles des personnels du secteur social sont restées dans l’ombre, ignorées du grand public,, des discours de nos gouvernants et même parfois des Conseils Départementaux.
LA PROTECTION DE L’ENFANCE EN CRISE
Les lois de protection de l’enfance réaffirment l’intérêt supérieur de l’enfant à être pris en charge par des professionnels qualifiés.
Pourtant si rien n’est fait aujourd’hui, les 340 000 enfants accueillis au quotidien ne seront plus protégés, la qualité de l’accompagnement sera altérée.
Cette situation inquiétante se concrétise par un déficit de candidats (souvent sans formation, avec de l’expérience sans diplôme) pour les postes d’éducateurs spécialisés dans le secteur associatif habilité.
Ajoutons le recours aux intérimaires et les reportages à charge et l’image de ces métiers est ternie.
La question de l’attractivité doit s’inscrire immédiatement dans une réflexion globale sur la formation, la rémunération, la reconnaissance et les conditions de travail des professionnels.
DES SALAIRES FAIBLES
Leur revalorisation est soulevée par les professionnels avec un début de carrière qui se situe à +15% du SMIC au lieu de +30% il y a 20 ans !
Par ailleurs les associations habilitées vivent comme une concurrence déloyale, le différentiel entre les salaires de leurs éducateurs et ceux des Conseils départementaux qui en moyenne de 300 euros.
Il faudrait atteindre un salaire de 2000 euros mensuels, comme celui envisagé pour les enseignants Avec des salaires de 1477 euros net mensuel, difficile de se loger dans les zones urbaines. En milieu rural avec la flambée du coût des carburants, certains éducateurs ne peuvent plus faire 30 Km par jour pour aller travailler car ils perdent de l’argent.
LES CONDITIONS DE TRAVAIL DANS LES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
En 20 ans, le périmètre de la protection de l’enfance s’est élargi pour plus de transversalité, une meilleure prise en compte des parcours et coordination entre les intervenants sociaux et éducatifs.
Mais l’épuisement professionnel devient une constante, il est dû à la montée de la précarité, la violence, la maltraitance, la souffrance psychique qui peut conduire au burn-out. Ces professionnels voient leurs statuts dégringoler au fil des ans.
Lorsque le juge pour enfants ordonne une mesure éducative, selon les départements, elle n’est pas exécutée avant un délai de 6 â 12 mois.
Si les travailleurs sociaux disposaient des moyens financiers et humains, de politiques sociales efficaces, l’attractivité ne serait plus un sujet.
Bertrand RAVON, sociologue pour le livre blanc du travail social disait «il y a deux types de travailleurs sociaux, ceux qui sont démontés, ils ne parlent plus et s’en vont à bas bruit ils sont dégoutés ou du moins désabusés, puis il y a ceux que l’on entend les « remontés » ils parlent fort pour esquiver une plainte ».
Des solutions existent : l’introduction de normes d’encadrement ou d’éléments de pondération pour soulager les structures prenant en charge des situations lourdes, des moyens humains et financiers supplémentaires, car l’environnement du travail fait partie intégrante de l’attractivité.
REPENSER LA FORMATION DES TRAVAILLEURS SOCIAUX.
Les diplômes d’Etat se sont développés et la formation s’est beaucoup transformée avec l’institution de référentiels (de compétences, de formation, de certification…), la validation des acquis, l’apprentissage. Ce paysage segmenté est de moins en moins lisible.
Les réformes successives des diplômes du travail social ont contribué à la désaffection pour les formations du secteur. Partout en France, les Établissements de formation en travail social (EFTS) tentent d’endiguer la chute des candidatures de formation qui en 2022 aurait diminué de 20% (10 % des étudiants abandonnent durant leurs formations selon le Directeur de l’IRTS PARMENTIER â Paris).
Par ailleurs, la précarité des étudiants est telle que ces derniers ne peuvent assumer financièrement la formation pendant 3 années, d’où l’importance pour les Conseils départementaux de mettre en place des bourses d’études avec un contrat de 5 ans à servir après le diplôme. À cela doit s’ajouter l’accès au logement sociaux facilités, comme vient de le mettre en place pour son personnel soignant l’APHP.
DÉVELOPPEMENT DE L’APPRENTISSAGE
Aujourd’hui le diplôme de travailleur social est trop universitaire et manque de pratique professionnelle.
Il faudrait réfléchir au développement de l’apprentissage ou de l’alternance.
L’IRTS PARMENTIER a mis en place un CFA du social qui forme à 11 métiers avec 103 apprentis. Les étudiants et apprentis éducateurs spécialisés ont les mêmes cours théoriques et sont sur le terrain une semaine sur deux où ils acquièrent plus vite la culture de Protection de l’enfance.
Avec un statut de salarié à mi-temps dès le début de la formation l’apprenti s’engage sur 3 ans avec un employeur. Il participe à la vie de l’établissement, à l’analyse des pratiques. On lui confie un peu de responsabilités sous le contrôle d’un maître d’apprentissage formé et il développe une vraie connaissance du travail éducatif.
Seul regret, la limite du contrat sur 3 ans qui bloque les éventuels redoublements et le prix de journée qui n’est pas réévalué dans l’attribution des dotations pour compenser le coût de cette supervision.
Enfin, il y a lieu de développer les relations avec les universités, les forums des métiers et d’orientation pour communiquer sur l’intérêt du travail social notamment sur la protection de l’enfance.
Comme le souligne le CNAPE « la réflexion doit réinterroger dans une logique systémique les processus de sélection, l’adéquation des compétences des niveaux de formation et des attentes sur le terrain ».
NOUVELLES ASPIRATIONS CHEZ LES JEUNES PROFESSIONNELS.
Dans un contexte difficile nous devons entendre les aspirations des jeunes générations dont le rapport au travail a changé pour un modèle plus conciliable avec leur vie privée.
La crise des métiers du social, c’est également l’appauvrissement des ressources territoriales : 3 ans d’attente pour consulter un orthophoniste, 12 mois pour une admission en centre médico psychologique. Que faire face à un enfant qui a des troubles du langage, qui voit son état se dégrader et sa souffrance psychologique croître ?
Et pourtant ce métier de Travailleur social me faisait souvent dire « nous savons quand nous rentrons dans la protection de l’enfance mais on ne sait jamais quand on en sortira » Ce métier passionnant, il faut le réinventer, se le réinventer chaque jour !