Quels qu’aient été les choix de chacun lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron avait pu faire naître un espoir, une perspective de modernisation du pays, d’adaptation de notre modèle, de mise en œuvre des réformes dont le pays a tant besoin et qu’il a depuis souvent trop longtemps repoussées. Cet espoir vite évanoui, malmené par des événements extérieurs mais aussi par un mode de gouvernance très vertical, a laissé la place à une incompréhension grandissante, à un « désamour » réciproque, à une résignation qui s’est récemment transformée en colère.
Le premier quinquennat Macron n’a guère tenu ses promesses et pourtant il a conduit à une réélection inédite.
On peut bien-sûr citer quelques mesures libérales : la « flat tax » sur les revenus du capital, les ordonnances travail qui ont élargi le pouvoir décisionnel des accords d’entreprise, la loi PACTE, la réforme de l’apprentissage…
La baisse considérable du chômage, bien réelle, n’est même plus saluée. Elle doit d’ailleurs autant à ces mesures de liberté, bienvenues et encore insuffisantes, qu’à une démographie qui nous montre chaque jour davantage que l’actualité est bien plus à trouver des salariés qu’à lutter contre le chômage, bien plus à s’interroger sur un nouveau rapport au travail qu’à s’inquiéter du chômage, bien plus à encadrer une immigration économique qu’à rester sur des postures dogmatiques, bien plus à vivre décemment de son travail qu’à accroître les transferts sociaux.
A cet égard on peut s’interroger sur ce qui semble à la fois nécessaire et anachronique dans les annonces récentes du Président visant à bâtir « un pacte de la vie au travail » ?
Le « quoiqu’il en coûte », s’il a sauvé des emplois et des entreprises, a instauré une approche profondément viciée de la dépense publique et une addiction à celle-ci dont il va être plus cruel encore de se défaire. Pour autant, le Président a été réélu, même s’il semble davantage avoir été élu pour 10 ans dès 2017 que réélu pour 5 ans en 2022
L’absence de réelle campagne présidentielle en 2022, l’absence de véritable débat et donc de véritable choix, le manque de cap, pèsent cruellement sur ce début de quinquennat.
On peut dire que depuis lors, rien n’a réellement débuté, Ludovic Vigogne a même parlé de manière juste et documentée des « sans jours ».
Rien n’a fonctionné comme prévu : un gouvernement de continuité pour l’essentiel avec peu d’élans nouveaux, une majorité relative issue des élections législatives, une orientation très internationale du Président qui a donné l’impression aux Français qu’il ne s’intéressait pas vraiment à eux… Et puis est venu l’acte lourd, et pourtant banal, de ce second mandat : cette réforme des retraites, si mal « emmanchée », si sévèrement perçue par les Français.
Les ratés de communication ont tout de suite donné un sentiment de tromperie sur la marchandise et cette réforme a finalement mis fin à l’immunité présidentielle dont disposait Emmanuel Macron. L’Institut Rexecode a publié trois jours seulement après la promulgation de loi une étude qui indique que le déficit va rester considérable, entre 7 et 20 milliards d’euros en 2030, malgré la réforme, venant confirmer ce sentiment général de « Tout ça pour ça » !
Ainsi, on baigne dans une ambiance qui rappelle les fins de règne, alors qu’on est tout juste à la fin de la première année du second quinquennat !
C’est ce qui rend les choses très inédites. Le Président vient à son tour de parler des « Cent jours », référence funeste à la fin de règne de Napoléon, comme si ce quinquennat débutait pour 4 ans. Rendez-vous est pris pour le 14 juillet prochain pour voir si le rebond est encore possible ou si l’enlisement est notre horizon.
Pourtant les défis qui nous attendent sont considérables, et le Président en a lui-même rappelé quelques-uns comme s’il venait tout juste d’accéder au pouvoir.
Ces défis sont connus, documentés, partagés : transformer une école publique qui nous place actuellement au 26e rang dans les classements Pisa ; mettre un terme aux déserts médicaux ; reconstruire un hôpital public qui se détériore et encourage un nombre croissant de médecins et de personnels hospitaliers à se tourner vers le privé ; réindustrialiser notre économie pour réduire un déficit commercial qui demeure abyssal ; s’attaquer au malaise de nos concitoyens au travail, lequel explique largement les tensions autour de l’âge minimum de la retraite et plus généralement de tout ce qui touche à la durée du travail ; répondre aux attentes d’une jeunesse qui se sent trop souvent laissée-pour-compte ; sans parler de l’urgence à répondre aux problèmes de pouvoir d’achat des français ou encore à la nécessaire réforme de nos institutions pour relégitimer l’action publique.
Ces défis appellent courage et humilité bien sûr, mais d’abord nouvelle méthode.
Si les réformes de libéralisation de l’économie durant le premier quinquennat ont pu être engagées à la hussarde par un exécutif bénéficiant d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, le second quinquennat ne pourra pas réussir sans que nos concitoyens, leurs représentants élus, et les corps intermédiaires ne se sentent davantage impliqués dans le processus de décision. Et c’est là que le bât blesse, en particulier depuis ces derniers mois.
D’un côté, l’exécutif a activé ce que d’aucuns décrivent comme un « empilement » de procédures législatives comme jamais sous la Ve République : tout d’abord le recours au PLFSSR, puis l’usage de l’article 47.1 pour limiter la durée du débat parlementaire, puis le 44.2 et le 44.3 pour bloquer le vote au Sénat, puis enfin le 49.3 pour empêcher le vote final sur la réforme des retraites à l’Assemblée nationale. Si aucun de ces dispositifs pris individuellement ne viole la lettre de la Constitution, leur usage cumulé en viole l’esprit dès lors qu’il entrave le débat parlementaire sur une réforme qui affecte la vie de tous les Français. Plusieurs constitutionnalistes parlent d’« abus de droit constitutionnel » à propos de cet empilement.
De l’autre côté, il y a eu cette surdité de la part de l’exécutif face aux organisations syndicales, y compris les plus réformatrices, symbolique d’une absence de prise en compte des corps intermédiaires et des territoires, et aux manifestations, toutes pacifiques, organisées par elles. Celle-ci traduit plus largement un refus ou une ignorance des règles de notre République sociale et décentralisée, d’un réel contrat avec le pays profond, de notre régime parlementaire aujourd’hui mis à mal alors que c’est cette construction du compromis raisonnable et responsable que notre pays appelle.
Notre pays dispose de tous les atouts pour rattraper ses retards et aller de l’avant.
Mais il ne peut avancer que si l’on rétablit la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions. Les semaines à venir seront, à cet égard, déterminantes. Celui qui y préside se doit d’écouter de penser contre lui-même pour nous permettre d’y parvenir. Mais le « Roi est si nu », sans aucune marge budgétaire, avec un déficit qu’il a lui-même contribué à creuser sans pour autant répondre aux besoins d’investissements du pays, qu’on peut s’interroger sur notre réelle capacité à rattraper le temps perdu par notre pays. Et les propos condescendants du Président sur la ruralité et le périurbain, ne sont pas vraiment rassurants.
Pourtant le temps presse avant 2024, les Jeux Olympiques et sans doute la fin du « temps utile ». Parce que notre pays ne peut faire autrement s’il veut sauver son modèle social, sa souveraineté et rouvrir des possibles. « Si on ne produit plus assez et qu’on se laisse affaiblir, on sera pris à la gorge par le système financier et, à un moment donné, les Chinois et les Américains nous diront : ‘On ne vous finance plus.’ D’ores et déjà, notre dette est financée à majorité par l’étranger », a expliqué le Président, toujours aussi fin analyste, en marge de son voyage en Chine. « On ne peut pas vivre comme si on était coupé de cette réalité. Sinon, c’est comme si notre débat ressemblait à ces mobiles sur coussin d’air, dans les expériences de physique. Le mouvement peut être perpétuel, car il n’y a pas de résistance, le mobile n’est jamais arrêté, car il n’y a pas de frottements. C’est vrai en labo, ce n’est pas vrai dans la réalité. »
Chiche, Monsieur le Président !
Entendez simplement que vous ne pouvez prétendre résoudre cette équation seul, que le temps de la toute puissance est dépassé, que seule l’acceptation de l’interdépendance, du bottom-up et de la subsidiarité, peuvent encore nous éviter le pire.
Départementalement vôtre.
Stéphane Sautarel