Le père du marketing moderne, Philip Kotler, affirme que « le positionnement le plus efficace et le plus fructueux, c’est celui des entreprises qui réussissent à être à la fois uniques et très difficiles à imiter ». Conseil à mémoriser par les acteurs du développement des territoires, histoire d’avoir conscience que le plus grand risque est la banalisation des arguments.
Promouvoir un territoire ne consiste pas à tenter de cocher les cases de ce qui serait le « portrait idéal », et à la mode, d’un territoire fantasmé, mais bien de révéler son identité réelle, son authenticité. En somme, ce qui fait qu’un territoire est ce qu’il est et diffère donc des autres. Au risque, sinon, que tout le monde dise la même chose. L’uniformisation des discours entraînant, de fait, l’invisibilité de tous.
Dans un article du Monde du 1er décembre 2012, « Les villes se rêvent uniques », l’auteur alertait en ces termes : « Car avec la mondialisation, une gigantesque machine à broyer les différences s’est mise en branle. Dans un contexte d’hyper-compétition à l’échelle européenne et mondiale, les cités ne peuvent plus se contenter d’être belles. Elles doivent « parler » : se réinventer, se bricoler une identité bien à elles, pour échapper à l’uniformisation ».
De plus récents propos de l’essayiste et géographe Christophe Guilluy, dans L’inspiration politique (7 mars 2023), vont dans le même sens : « En fait, le développement proposé consiste à diffuser le modèle métropolitain à l’ensemble des territoires avec un risque de dépossession et d’uniformisation des lieux […] Les métropoles sont aujourd’hui toutes les mêmes, avec les mêmes commerces, les mêmes habitants, les mêmes lieux culturels, culturels, les mêmes modèles de smart cities […] (Pour les villes moyennes, cela nécessite) de mettre en avant l’identité locale et de ne pas plaquer les mêmes aménagements, les mêmes rues piétonnes partout. ».
Si ces réflexions semblent principalement évoquer les villes, parions qu’elles restent valides en ce qui concerne les départements. Si nous reprenons les signatures promotionnelles des départements mises au service de leur attractivité, il est frappant de constater qu’une grande majorité est substituable. On peut en effet penser que l‘on peut « tout vivre », « vivre vrai » ou « vivre en grand » partout, que tous les départements peuvent se revendiquer être « terres de (quelque chose) » ou « cœur de (quelque chose) », ou bien encore qu’ils sont « irrésistibles » et parfois « sans limite ».
Bien sûr, si l’on constate que tel ou tel slogan peut servir plusieurs territoires, alors on sait immédiatement qu’il convient de l’abandonner et de se remettre à cogiter pour aller chercher comment révéler la « personnalité » du département. Celle que l’on va assumer de mettre en avant et de partager. Celle qui va prouver que l’on est unique. Celle qui va crédibiliser l’argumentaire. Celle qui, enfin, parle aussi en local, puisqu’il est vain de promouvoir un territoire sans l’agrément du terrain lui-même.
Alors, parfois, le seul nom du département peut suffire, puisqu’il est unique et qu’il porte en lui-même ce préalable exceptionnel : un univers spécifique, non échangeable, fait de valeurs collectives, d’histoires petites ou grandes, d’hommes et de femmes, d’éléments matériels ou symboliques, de paysages naturels ou construits, de cultures de toutes sortes, des réussites et d’accidents, etc … En somme, il est un espace de projections, positives et réservées à lui seul. Quand les marques privées cherchent coûte que coûte, à grand renfort de storytelling, à se construire un univers, s’inventer un passé voire une mythologie, les territoires ont cet immense avantage d’avoir déjà tout cela en eux, et parfois depuis des siècles. Ils sont déjà des marques, c’est une force extraordinaire. À eux de se comporter comme tel.