Claude ROMEO, Directeur Départemental Honoraire Enfance Famille de Seine St Denis et Ancien Président de l’ANDASS
« Poussé sur le chemin de l’exil, des mineurs arrivent en France seuls, sans famille ni ressources après un long parcours migratoire souvent traumatisant, fait de violences, de solitudes, de dangers » écrivait la Défenseure des Droits dans son rapport annuel 2022.
Qui sont-ils? Que deviennent-ils? C’est la réponse que j’ai essayé d’aborder au travers d’un ouvrage « Je voulais une chance de vivre. Récits de mineurs isolés étrangers » Edition l’Atelier, avec 2 anciens collègues de France Terre d’Asile, Noémie Paté, sociologue et Jean François Roger, ancien directeur régional des Hauts de France.
Ces jeunes prennent tous les risques pour arriver en Europe. Je garde un souvenir et beaucoup d’émotion, encore aujourd’hui, quand parut cette dépêche de l’AFP annonçant le 8 Janvier 2020 à 6h30 la mort d’un enfant de 14 ans retrouvé dans le train d’atterrissage d’un Boeing d’Air-France reliant ABIDJAN–PARIS. Il s’appelait Laurent Barthélemy, ses chances de survie étaient nulles en raison du froid et du manque d’oxygène à 10 000 mètres d’altitude. Pour cet enfant, quitter son quotidien compliqué et prouver sa valeur aux siens, c’était son rêve d’adolescent !
Qui sont-ils ?
En 2021, le Ministère de la justice a recensé 11 315 nouveaux mineurs non accompagnés (MNA) dont 59% âgés de 16 ans et plus et 41% de moins de 15 ans. Ils étaient 31 000 pris en charge par la protection de l’enfance l’année précédente et toujours présents. Arrivés de Guinée, du Mali, de la Côte d’Ivoire, mais aussi d’Afghanistan en raison de la situation politique, ainsi qu’une part importante du Bangladesh et d’Albanie on parle des MNA comme un bloc homogène ce qui n’est pas représentatif de leur diversité. Pour la majorité, ils cherchent à se protéger et obtenir l’asile dans un État de droit, pour s’éloigner de la violence, la guerre politique, mais aussi religieuse.
A cela ajoutons 10% de mineurs qui sont de jeunes garçons en errance, en rupture avec leurs familles, exploités par des réseaux pour commettre des vols, impliqués dans des trafics de stupéfiants, et parfois eux-mêmes consommateurs de ces produits.
Il convient donc de distinguer la délinquance des jeunes en errance qui refusent toutes prises en charge, ni de la Protection judiciaire de la jeunesse, ni par la Protection de l’enfance, des autres mineurs non accompagnés.
Quand à la situation en Outre-mer, ils ne disposent pas de structures d’accueils collectives, particulièrement en Guyane et à Mayotte, et recourent aux familles d’accueils qui peuvent se voir confier chacune jusqu’à 8 à 10 enfants. Précisons que seuls 20% des signalements font l’objet d’une prise en charge. Nombreux restent longtemps dans les rues où les parcs à Cayenne.
Ces situations différentes n’empêchent pas certains politiques de faire l’amalgame en parlant de tous ces jeunes comme des « voleurs, des assassins, des violeurs », propos fort heureusement condamnés par les tribunaux.
Accueillir et protéger en France
Ces jeunes que les guerres du Proche Orient et de la Corne de l’Afrique de l’Ouest jettent sur les routes de l’exode, sont seuls ou confiés à un parent ou un membre de la communauté dont ils perdent parfois la trace au cours du périple, sans parler de certains passeurs peu scrupuleux qui les abandonnent à leurs sorts !
Comment penser, qu’après avoir traversé plusieurs continents dans des conditions inhumaines qui parfois peuvent durer 12 à 18 mois, que ce soit pour des raisons futiles qu’ils veuillent rejoindre l’Europe. Souvent à l’arrivée c’est la désillusion, ils devront connaître encore la survie dans les rues.
Je pense à l’histoire de Samin, jeune Afghan de 16 ans dont le père a été fusillé par les Talibans. Une nuit des hommes armés frappent à sa porte et l’enjoignent d’aller déposer des mines au passage de camions militaires, ce qu’il ne peut envisager. Sur les conseils de son oncle, sa seule solution est un départ immédiat d’Afghanistan avec un passeur d’un village voisin.
C’est le début d’un voyage qui va durer 18 mois, durant lesquels il va connaître la violence, la prison en Iran, les chemins montagneux durant plusieurs semaines, pour passer les frontières, grelottant de froid, épuisé, affamé. Il arrive enfin en France avec peu de ressources financières, ignorant la langue française, perdu à Paris alors que sa destination initiale était la Suisse, avant de rejoindre Calais pour être accueilli dans un établissement de France Terre d’Asile à Saint Omer.
Malgré cette situation faite d’espoir et de déceptions, de petits moments de plaisirs attrapés au vol et d’effondrement quand rien ne semble possible, Samin refuse de baisser les bras.
Aujourd’hui il pratique correctement la langue française, a suivi des formations en alternance et a eu la chance d’être recruté comme médiateur participant à la maraude dans les « jungles » de Calais pour France Terre d’Asile. Cela va lui permettre de rembourser les 15 000 euros que son oncle a payés pour son voyage.
Il a construit sa vie à Saint Omer, obtenu un logement social, la nationalité française. Samin sait que tous les jeunes qu’il a rencontrés n’ont pas sa chance.
Une protection conforme aux droits de l’enfant
Arrivés en France, ces jeunes vont subir d’abord une évaluation pour prouver leur minorité et leur isolement. Plusieurs de leurs droits risquent déjà d’être bafoués par la contestation de leurs papiers d’état civil, leurs cartes d’identité et par les soupçons sur leurs récits de vies dont on exige qu’ils soient très précis, la moindre erreur pourra entraîner le doute sur sa minorité.
Certains d’entre eux devront subir un examen d’âge osseux de recherche de minorité, contesté par l’Académie de Médecine, car trop imprécis et présentant une marge d’erreur de 18 mois. Le doute devrait bénéficier à l’intéressé, ce n’est pas le cas, la conclusion tombe « trop proche de la majorité pour être certain de sa minorité ». Cette affirmation va entraîner la suspension de la prise en charge de l’Aide Sociale à l’Enfance. Seul recours possible : solliciter la cour d’Appel des tribunaux.
Pour les mineurs, les difficultés se poursuivent avec l’accès à la scolarisation, à la santé, à l’acco
mpagnement juridique et au passage à la majorité pour obtenir un contrat jeune majeur de 18 à 21 ans.
S’ajoute le fichage de tous ses jeunes par les services préfectoraux suite à la mise en œuvre du fichier biométrique dit « d’appui à l’évaluation de minorité (ARM) » avec le risque, d’être considéré comme majeur et donc expulsable.
Au niveau institutionnel l’Etat n’a pas été un soutien financier pour les Conseils Départementaux, comme le reconnaissait Adrien Taquet, secrétaire d’Etat à l’enfance lors d’un débat au Sénat « l’Etat n’a pas toujours été au rendez-vous de ses propres responsabilités », malgré une évolution via la Ministre de la Justice Christiane Taubira, on est encore loin des dépenses réelles et les Conseils départementaux qui refusent ces fichiers sont déchus de la participation financière de l’Etat.
En 2019, l’Etat finançait 93 millions d’euros, alors que le coût évalué par l’Assemblée des Départements de France s’élevait à 1 milliard d’euros. Pourtant le Président de la République Emmanuel Macron leur avait promis en 2017 que l’Etat prendrait en charge 100 % des coûts liés à l’accueil des Mineurs non accompagnés.
Respecter la Convention internationale des Droits de l’enfant dont la France est signataire devrait guider les pouvoirs publics. Dans ce sens, il faut saluer l’initiative prises par 25 associations Nationales dont l’UNICEF pour mettre fin aux violations des droits des mineurs isolés en rendant public 90 propositions pour une meilleure protection. J’y ajouterai une priorité : que l’Europe se dote d’un statut des Mineurs accompagnés, afin d’éviter des mesures différentes selon les pays d’accueils.
Une conclusion s’impose, essayons d’anticiper, de coordonner, de mieux accompagner ces jeunes afin que l’investissement réalisé à leur profit ne soit pas perdu pour leur avenir au risque de s’apparenter à un gâchis pour les Droits de l’Enfant.