« Présider le Conseil départemental, c’est également rassembler les élus autour d’un projet co-construit, et impliquer l’ensemble de nos agents dans la mise en œuvre de notre feuille de route. »
Le Journal des Départements : Président très impliqué au quotidien. Quel est exactement votre rôle ?
Dominique Le Mèner : Comme dans chaque Département, c’est d’abord répondre aux attentes des habitants : améliorer leur quotidien, tout en construisant leur avenir. Notre rôle consiste à avoir une vision prospective, et la plus large possible, afin d’apporter des réponses concrètes et adaptées aux enjeux et aux défis de notre territoire.
C’est à mon sens, notre véritable mission d’élu. C’est un engagement que l’on prend au service du développement d’un territoire et de ses habitants.
Présider le Conseil départemental, c’est également rassembler les élus autour d’un projet coconstruit, et impliquer l’ensemble de nos agents dans la mise en œuvre de notre feuille de route.
Un départementaliste.
LJD: Vous considérez vous comme départementaliste ?
DLM : Clairement oui ! Je crois beaucoup à l’identification des Départements par nos concitoyens – c’est 233 ans d’histoire – et à leur rôle d’échelon de proximité irremplaçable. J’avais voté avec enthousiasme la réforme du conseiller territorial car on redonnait ainsi, de la consistance aux territoires ; les élus départementaux étant appelés à gérer une Région avec des intérêts communs ou partagés.
LJD : En revanche, vous vous êtes opposé à la loi NOTRe
DLM : Oui, et cela pour plusieurs raisons : d’abord, une opposition aux redécoupages, à la création de ces hyper régions si coûteuses dans leur création, comme vient de le rappeler la Cour des comptes, et éloignées par leurs superficies de nos concitoyens. Puis, le refus d’une nouvelle étape de regroupements communaux à marche forcée dont la perception et l’efficacité en termes de financement et en termes d’actions ne me semblent pas démontrées.
Pour moi, la commune doit rester l’échelon essentiel s’appuyant, notamment en zone rurale, sur des élus quasi bénévoles. A l’origine, ces regroupements devaient permettre de réduire la dépense publique.
Or, la réalité montre que les taux (commune et intercommunalités) ont augmenté parallèlement sans gain pour les contribuables.
Enfin, je continue à considérer que la suppression de la compétence économique comme celle du transport scolaire représente une tentative d’amoindrissement du rôle des Départements, même si ce n’est pas allé jusqu’à la suppression voulue par Manuel Valls. Avec les semi-réformes successives que nous avons connues depuis 2010, parfois opposées dans leurs ambitions, et concentrées sur les compétences, on a durablement mis en panne la poursuite de la décentralisation.
Aujourd’hui, force est de constater que la création des grandes régions et la gestion de la crise sanitaire sont deux éléments qui ont concouru à démontrer la pertinence de l’échelon départemental.
Le choix du Département
LJD : En 2017, Député, vous avez choisi de rester au département ?
DLM : J’ai été pendant 15 ans un parlementaire impliqué. J’ai ainsi déposé des propositions de lois, comme beaucoup de députés, telles que sur le statut des élus du monde associatif, sur l’obsolescence programmée, la reconnaissance du volontariat des sapeurs-pompiers… Mais dans la pratique, ces initiatives restent lettres mortes. Nos marges de manœuvre sont souvent réduites aux simples votes des projets du Gouvernement, mais pour ma part, j’ai toujours refusé de voter dans un sens, simplement parce que j’appartenais à une majorité ou un parti !
En outre, aujourd’hui, l’action législative consiste pour 60 à 70% en la transposition des directives européennes. Pour le reste, il s’agit des projets de lois gouvernementaux. Avec la suppression du cumul parlementaire/élu local, on a encore plus fragilisé le lien entre les territoires et l’exécutif. A l’inverse, exercer la fonction de Président du Conseil départemental, c’est avoir la possibilité de mener des réalisations concrètes pour son territoire.
LJD : Y a-t-il aujourd’hui de vraies marges de manœuvre avec les dépenses obligatoires et les contraintes financières ?
DLM: Oui, dans une certaine mesure. Cela passe d’abord par une bonne gestion : limiter les dépenses de fonctionnement, se donner des possibilités d’autofinancement, privilégier l’investissement. En Sarthe, dans notre projet stratégique, ce sont 100 M€ d’investissements que nous projetons chaque année.
Notre politique d’investissement offensive profite au territoire comme avec la fibre optique pour laquelle la Sarthe est devenue le premier département de la région des Pays de la Loire 100 % raccordable.
Il y a bien sûr les dépenses sociales qui s’imposent, mais on peut contenir le nombre de bénéficiaires du RSA avec une politique d’insertion efficace (il y a 12 personnes qui, ici, travaillent à cela en relation avec Pôle Emploi) en favorisant le retour rapide vers l’emploi.
Fibre et Chlorophylle
LJD :Vous insistez beaucoup sur l’attractivité du territoire.
DLM: Sujet essentiel effectivement. Je regrette à nouveau la suppression de la compétence économique. Notre service économique fonctionnait vraiment bien avec l’implantation de nombreuses entreprises dans des parcs d’activité chaque année.
Il existe maintenant une agence qui regroupe « attractivité et tourisme ». Elle peut s’appuyer sur la marque mondiale des 24 Heures du Mans. Une notoriété essentielle qui concerne de nombreux aspects de développement économique industriels ou touristiques. Ce sont des évènements qui attirent chaque année plus de 700.000 spectateurs, et cette année 2023 s’annonce exceptionnelle avec le Centenaire des 24 Heures et Le Mans Classic.
Mais la Sarthe c’est aussi la fibre et la chlorophylle ! Avec d’un côté, le réseau d’initiative publique départemental numérique et de l’autre une réelle qualité de vie grâce à des moyens d’accueil importants, un réseau de voies vertes et d’espaces naturels sensibles (on en a une vingtaine aujourd’hui).
Département le plus boisé des Pays de la Loire, le Conseil départemental de la Sarthe a souhaité protéger ce patrimoine en aidant le SDIS à investir dans les caméras de vidéo détection des feux de forêts qui couvrent un périmètre d’environ quarante kilomètres. Et cela grâce au très haut débit.
Ce patrimoine naturel important séduit les résidents secondaires mais aussi des navetteurs (ils sont ainsi déjà 1500 au quotidien vers Paris, situé à 55 minutes en TGV). La promotion du Département se concentre vers Paris avec des campagnes publicitaires, notamment dans le métro.
L’attractivité passe aussi par le Club des ambassadeurs qui regroupe universitaires, chefs d’entreprises, personnalités qui actionnent leurs réseaux.
Si le Conseil régional assume parfaitement son rôle pour les grosses entreprises, en revanche, il me semble que le Département est un échelon de proximité qui manque aujourd’hui pour les PME, et qu’il faudrait récupérer.
LJD : Pour l’attractivité vous assurez aussi qu’en Sarthe il fait bon vivre. Mais tous les départements ne peuvent-ils se targuer de cela ?
DLM : Ici, il y a, me semble-t-il, la conciliation d’un dynamisme économique, technologique et d’un cadre de vie préservé. Nous impliquons des personnalités qui ont fait le choix de la Sarthe et l’affichent fièrement :
« Venez réussir en Sarthe », avec des conditions propices pour l’entreprise et pour votre vie personnelle. De plus vous bénéficierez de l’un des prix de l’immobilier les plus bas de France (1 500€ du m²). Un hôtel particulier dans le vieux Mans pour le prix d’un 2 pièces à Paris !
LJD : Le Département est engagé dans un projet stratégique. De quoi s’agit-il ?
DLM : Il s’agit d’un travail lancé lors du précédent mandat, avec des objectifs à 2030, qui permet d’en voir la réalisation dans un délai raisonnable. 10 enjeux faciles à appréhender et qui s’adressent à tous les Sarthois. C’est un projet rédigé avec tous les élus responsables dans leurs compétences respectives. Il s’agit de montrer que notre action s’inscrit dans la durée.
LJD : Quelles relations entre les communes et le Département ?
DLM : Au moment de la crise de la Covid, le Conseil départemental a consacré 20 M€ pour soutenir les entreprises de moins de 3 salariés et aidé les communes, les maisons de retraite à l’acquisition de divers matériels nécessaires qui faisaient défaut.
Actuellement, le Département apporte un soutien à l’investissement durable des 354 communes grâce à un plan de 14 M€ pour tous les types de projets (sauf ce qui serait contraire à la démarche écologique), sans limite (jusqu’à 80%, plusieurs opérations possibles). Avec un dossier très simple de 3 pages, c’est le choix de la confiance envers les maires que nous portons. Cela a un effet démultiplicateur immédiat. La totalité des communes y a souscrit.
Un vrai choix numérique.
LJD : Vous parlez beaucoup du numérique. Projet essentiel pour le territoire ?
DLM : Il s’agissait au départ d’une discussion technique. Le choix de la
« montée en débit » qui confortait la position de France-Telecom Orange était-elle justifiée? Ce qu’ont pensé pas mal de Départements. On constate aujourd’hui que le choix du tout numérique s’est avéré le bon. Le Département deviendra, à terme, propriétaire de ce Réseau d’initiative publique et il encaissera tous les ans 6 millions d’euros de redevances. À l’image de ce que Joseph Caillaux, un de mes illustres prédécesseurs, a réalisé pour notre réseau électrique.
Très rapidement 2 700 entreprises, les zones d’activité, les collèges, l’université se sont raccordés au Très Haut Débit.
Malheureusement les Zones AMII, les zones Orange, ne vont pas à la même vitesse, ce qui crée une distorsion compliquée et une incompréhension de la part des habitants.
LJD : Reste un problème, comme dans de nombreux départements, celui de la santé.
DLM : La ville du Mans n’a pas de Centre Hospitalier Universitaire et se retrouve cernée par les C.H.U. de Tours, Nantes, Angers, Rennes ou Paris. Or, on le sait, les médecins privilégient une installation sur leur lieu d’études. Pour capter de nouveaux professionnels, nous avons engagé une coopération avec l’université d’Angers et mis en place des dispositifs volontaristes : aides à l’installation (soutien à 180 médecins), plan santé, médibus… Mais ce n’est pas à la mesure du problème.
Il s’agit avant tout d’un problème national et d’une compétence insuffisamment exercée par l’Etat. Dans le passé, en raison du numerus clausus, un grand nombre d’étudiants ont été éliminés au concours pour des demi-points, alors qu’ils auraient pourtant fait d’excellents médecins. Aujourd’hui, il existe un maintien de fait du numerus clausus lié à la limitation des places disponibles de formation pour les étudiants en médecine. Enfin, il y a une désaffection pour les postes de généralistes, notamment en zone rurale.
Je ne crois pas non plus à l’obligation générale d’installation dans les zones déficitaires.
En effet, peut-être faut-il réfléchir à la création de zones à discrimination positive ou interdire les installations dans les zones surdotées.
Dans la pratique, les installations s’avèrent toujours volontaires et réfléchies. De même, nous avons choisi de financer des équipements de pointe pour le centre de cancérologie de la Sarthe comme le Cyberknife, robot pour le traitement des tumeurs en trois dimensions. Évidemment cela permet le traitement des patients sur place, mais peut avoir un effet d’attractivité pour des médecins qui trouvent de nouvelles technologies et des matériels performants quand ils arrivent dans un Centre comme celui-ci. Du reste, un de nos ambassadeurs, professeur du centre de cancérologie, justifie son choix d’installation par la présence de moyens supplémentaires pour développer son activité.
Parlez-nous du domaine budgétaire le plus important, celui du social et de la solidarité.
DLM. Comme tous les Départements, nous sommes confrontés à une augmentation vertigineuse des difficultés dans le domaine de l’enfance. Entre 2017 et aujourd’hui, ce sont 600 enfants supplémentaires que nous avons dû prendre en charge, conséquence d’un délitement social et familial. Du reste, nous devons rappeler fortement la responsabilité première des parents et explorer plus encore les possibilités qui existent dans le cercle familial. Le budget de l’enfance a augmenté de 12 M€, après 7 M€ l’année précédente et s’élèvera à plus de 88 M€ cette année.
Nous continuons de chercher des solutions, notamment avec la création de petites structures qui demandent cependant des personnels plus nombreux, mais qui offrent une prise en charge plus adaptée.
A cela s’ajoute l’abandon par l’État d’un certain nombre de secteurs comme la psychiatrie et la pédopsychiatrie, ce qui vient compliquer davantage la prise en charge.
La PCH augmente aussi. Nous avons testé l’habitat inclusif avec les difficultés liées au statut des immeubles. Selon le Conseil d’Etat, ils doivent répondre à des normes spéciales. Véritable retour en arrière puisqu’on transforme un collectif d’habitations en établissement spécialisé. Les propriétaires ou co-propriétaires n’accepteront jamais d’effectuer les travaux nécessaires à de tels équipements !
LJD : Vous êtes aussi Président du SDIS. Pour suivre le budget ?
DLM : Ce service départemental joue un rôle irremplaçable au service de nos concitoyens, grâce aux femmes et aux hommes volontaires ou professionnels qui le compose. Depuis la loi de départementalisation de 1996, la gestion par les élus locaux des Conseils d’administration a fait la preuve de son efficacité, tant pour les investissements que pour le fonctionnement. Ainsi, en Sarthe la dépense s’élève à 58€ par habitant, une contribution qui n’a pas augmenté depuis 5 ans.
L’importance du capital humain.
LJD : Comment infuser le projet stratégique dans l’administration départementale ?
DLM : Il s’agit d’un sujet fondamental: l’importance du capital humain dans notre collectivité. Nous formons tous ensemble une vraie équipe engagée pour les sarthois : élus, comme administratifs. Je réunis ainsi toutes les semaines la directrice de cabinet, le DGS, les DGA et chefs de service. Si les agents doivent transposer les décisions en actions concrètes, pratiques, administratives et budgétaires, ils s’affirment aussi en forces de propositions et en ambassadeurs, grâce à leurs compétences professionnelles.
LJD : Des problèmes de recrutement ?
DLM : Oui, comme dans tous les Départements. Pour tout ce qui concerne les fonctions techniques, les grades d’ingénieur, on rencontre des difficultés liées aux statuts et aux rémunérations.
Pour le reste, peu de problèmes en dehors des difficultés à recruter de nouveaux assistants familiaux compte tenu des nombreux départs en retraite.
Enfin, pour les aides à domicile, cela est plutôt facilité par les associations, pour lesquelles nous avons décidé de financer l’acquisition de véhicules de service.