Jugez-vous que le débat des parlementaires notamment à l’Assemblée Nationale a été à la hauteur de l’enjeu ?
Comment répondre oui ? Les débats , ni par leur forme , ni par leur contenu, ni par leur issue , n’ont été satisfaisants pour les Français . L’examen des articles majeurs et leur vote n’ont pas eu lieu , ce qui peut paraître incompréhensible pour le citoyen lambda qui n’est pas sensé ignoré la loi mais qui n’est pas sensé non plus avoir fait Sciences-Po !
Le fait que l’accumulation pléthorique des amendements et le recours au 49-3 mettent en échec le débat démocratique est pour le moins choquant…
Cela relève du jeu politique, les Français en ont l’habitude quelle que soit la couleur politique des obstructions …
En effet, mais c’est toujours très pénible à observer. Que pouvons-nous observer ?
Des arguments fallacieux, des raisonnements excessivement pointilleux, des subtilités vaines tenus par des élus à 4 heures du matin . Et ce n’est pas tout ! Quand l’objet de la loi concerne la retraite c’est-à-dire le droit du travailleur à se retirer pour vivre le reste de sa vie déchargé de ses contraintes , il est assez paradoxal de voir ceux-là même qui débattent de cette problématique de protection des individus offrir un spectacle de maltraitance par le travail .
Loin de moi l’idée de dévaloriser nos députés, bien au contraire, mais faire travailler des quinquagénères ( la moyenne d’âge à l’assemblée est de 48,5 ans) en séances de nuit répétées pendant des jours me laisse perplexe .
De deux choses l’une :
- soit nos élus sont des êtres extraordinaires par leur santé physique et mentale, auquel cas on peut se demander comment ils peuvent appréhender la fatigue au travail pour les simples mortels que constitue le reste de la population ,
- soit ils sont comme tout le monde à cet âge et sont alors dans un état de fatigue tel que leur lucidité peut être mis en doute.
Ce spectacle du travail à l’assemblée n’est pas du tout exemplaire.
Que pensez-vous des débats eux-mêmes ?
Là non plus, on est très loin de ce qu’il serait souhaitable. Nous avons pu observer une véritable dégradation des échanges. Le vocabulaire ordurier et les injures ont trouvé une caisse de résonnance dans les réseaux sociaux.
Friands de formules scandaleuses , ces médias ont véhiculé jusqu’à la nausée la boue langagière de l’assemblée au point de vider de sa substance le contenu politique véritable . Relayer une idée sur ce sujet complexe de la retraite que même les experts du gouvernement peinaient à maîtriser (!) , c’est très difficile .
Relayer des insultes et des effets de manche, ça , c’est facile !
Le débat s’est donc trouvé réduit à des invectives ?
Pire , il a sali le sujet … et les élus ! Je suis frappé de voir à quel point cet épisode a dégradé l’image des élus. Quand notre ministre de la justice Eric Dupond-Moretti, avocat qui doit avoir l’habitude de maîtriser ses émotions, grand pénaliste qui doit avoir suffisamment de vocabulaire pour exprimer sa colère par le vecteur du langage , se laisse aller au geste grossier du bras d’honneur, c’est toute la respectabilité des élus qui est atteinte.
Je constate combien ce qui se passe à l’assemblée reflète le climat délétère qui règne dans notre société. Les relations sociales sont rugueuses, dures , sans concession. Quelle profession ne déplore pas d’être mésestimée ? Les médecins doivent faire face aux patients violents prompts à les agresser notamment aux urgences ! La connaissance des enseignants est niée par les élèves inféodés aux influenceurs ! Les policiers ne sont plus reconnus dans leur autorité ! Au fond , tout se passe comme si chacun déplorait un manque de considération de sa profession mais aussi comme si chacun était incapable d’en donner aux autres !
Les élus souffrent injustement aujourd’hui d’une image dégradée. Ils subissent des attaques verbales et physiques alors que l’immense majorité est engagée pour la collectivité avec une ferveur et un dévouement qui les honorent . Et pourtant, au moment même où ils sont sous les feux de la rampe , le climat général délétère est tel qu’ils peuvent céder eux-aussi à la tentation de la négativité .
L’engagement des élus est donc aussi physique que politique ?
Oui, absolument ! Comme le dit l’avocat pénaliste Bertrand Perrier « la parole est un sport de combat ! » et de stratégie !
D’un côté , il y a les réformes , les idées politiques , les visions du monde qui s’opposent (ce qui n’est pas mon sujet aujourd’hui), et de l’autre, il y a le jeu politique , cette façon de se donner en représentation pour servir une idée , un public ou une ambition.