L’organisation de la gouvernance des mobilités en France a beaucoup évolué depuis dix ans. Elle répond à une politique publique majeure dont le financement est aujourd’hui interrogé. Le Sénat, sa commission des finances, a décidé de s’y pencher pour proposer des solutions. C’est pour moi l’occasion de faire ce focus.
«Une gouvernance qui a beaucoup évolué.
La loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs, dite LOTI, avait structuré cette gouvernance autour des différents modes de transports : création de l’ancêtre du TER (le service d’action régionale), responsabilité du transport routier non urbain et scolaire confiée au département et du transport routier urbain au bloc communal.
Les lois n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite MAPTAM, et n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, ont révisé la gouvernance des mobilités en confiant aux régions, en plus de la compétence ferroviaire, celle du transport routier interurbain et scolaire et en étendant les compétences mobilité du bloc communal aux services de transport non urbain et de mobilité solidaire, active et partagée.
Enfin, la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, dite LOM, a restructuré la gouvernance de la mobilité autour du couple structurant région – intercommunalité.
L’organisation de la mobilité en France se structure ainsi désormais autour de deux niveaux :
– les régions, dites AOM régionales ou AOMR, qui assument le rôle de chef de filât en matière de mobilité et sont, en plus du domaine ferroviaire, compétentes sur leur territoire pour tous les services de transport régulier non urbain, à la demande et scolaire qui dépassent le cadre territorial d’une AOM,
– les intercommunalités, dites AOM, compétentes pour tous les services réguliers urbains et non urbains intégralement effectués au sein de leur ressort territorial.
En Île-de-France, la gouvernance des mobilités est atypique puisqu’un établissement public local, Île-de-France Mobilités (IDFM) assume le rôle d’AOM unique sur l’ensemble du territoire régional. Les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, les métropoles et la métropole de Lyon sont AIOM de droit.
Enfin, il est à noter que l’État exerce lui-même un rôle d’AOM pour les lignes de trains d’équilibre du territoire (TET) dont il a conservé la responsabilité.
La question de la gouvernance des mobilités a été de nouveau interrogée dans le cadre des ateliers du conseil national de la refondation (CNR). Surtout la question de leur financement est au cœur de nombre de débats. La crise pandémique en particulier a profondément affecté l’équilibre du modèle de financement des AOM. La fin d’année dernière et le début d’année 2023 ont aussi été marqués par les difficultés financières d’IDFM et le signal d’alarme tiré par la Présidente de la région Île-de-France. Le 23 janvier dernier, IDFM a organisé, avec l’ensemble des parties prenantes, des assises consacrées au financement des transports en Île-de-France.
Le financement actuel des AOM dans leur ensemble provient de quatre sources distinctes : le versement mobilité dû par les employeurs (environ 50 %), le budget des collectivités locales (environ 33 %), les billets et abonnements payés par les usagers (environ 17 %), et l’État (moins de 2 %), essentiellement via les appels à projets dits TCSP (transports collectifs en site propre). Le financement des services de transports provient aussi, de façon plus anecdotique, de recettes annexes de publicité ou d’amendes.
En France, sur le long terme, concernant les parts relatives des différentes sources de financement de la mobilité, les tendances suivantes peuvent être constatées : une hausse de la participation financière des collectivités et des entreprises ainsi qu’une baisse de la participation des usagers.
La transition écologique des mobilités induit un « mur d’investissements » pour les AOM qui met sous tension leur modèle de financement.
La lutte contre le changement climatique a des implications profondes sur le domaine des mobilités. Des engagements ont été pris au niveau national comme au niveau européen pour réduire l’empreinte carbone du secteur des transports. Ces engagements induisent un accroissement indispensable et massif de l’offre de transports collectifs. Les AOM se trouvent au cœur de cet enjeu. Elles se trouvent ainsi confrontées à un véritable « mur d’investissements » tant en matière d’infrastructures que de renouvellement de leur matériel roulant. Au-delà de ce « mur d’investissements », le développement de l’offre de transports se traduira également par une augmentation des dépenses courantes d’exploitation. Cet enjeu met indiscutablement sous tension l’équilibre économique et le modèle de financement des AOM.
La mission d’information mise en place au niveau de la commission des finances du Sénat a pour objectif principal d’évaluer dans quelle mesure le modèle de financement actuel des AOM est en phase avec les perspectives d’évolution des mobilités qui découlent notamment des enjeux relatifs à l’impératif de la transition écologique. À partir de ce constat, elle envisagera des pistes visant à faire évoluer les sources de financement actuelles et la part relative de chacune d’entre-elles, et la possibilité d’introduire de nouvelles modalités de financement pour couvrir les dépenses des AOM. Elle sera organisée autour de deux axes de travail prioritaires.
D’abord, les besoins de financements pour les AOM à court, moyen et long terme :
– les impératifs de la transition écologique et le développement de l’offre de transports,
– le financement des réseaux express métropolitains,
– le fait qu’après avoir affecté les équilibres des modes de financement des transports, la crise sanitaire a induit ou accéléré des évolutions de mobilités qui ne seront pas sans conséquences sur les besoins de financement des AOM,
– la prise en compte du contexte d’inflation et de hausse des coûts de l’énergie qui affecte l’équilibre financier des AOM.
Ensuite, les leviers de financement pour couvrir les besoins de financement des AOM :
– la question du versement mobilité qui est une exception française qui pèse sur les entreprises,
– un financement accru par le budget des collectivités territoriales qui est également problématique compte tenu de leurs marges de manœuvre financières actuelles,
– un financement accru par le budget de l’État impliquant d’assumer de vrais choix budgétaires avec toutes leurs conséquences,
– un financement accru par les ressources tarifaires et la question de son acceptabilité sociale,
– la création de nouvelles ressources fiscales dédiées en plus du versement mobilité qui interviendrait dans un contexte où le taux de prélèvements obligatoires est déjà élevé.
Bref que des mauvaises réponses ! Et pourtant cet enjeu est majeur pour tous nos territoires urbains comme ruraux. Nul doute, que j’aurai à en reparler ici.
Départementalement vôtre.
Stéphane Sautarel